Un Jour en Mai

George Pelecanos

Seuil Policiers - Septembre 2009 - Traduction (anglais) : Etienne Menanteau

Tags :  Roman noir Polar urbain Discrimination Psychologie Quidam Washington Années 2000 Entre 250 et 400 pages

Edition originale

Un avis personnel...

Publié le : 26 septembre 2009

Washington, 1972. John Pappas est un homme comblé. À quarante-huit ans, cet ex-marines, bel homme, est propriétaire d'un coffee shop qui fait sa fierté, heureux en ménage et père de deux gaillards dont il espère bien qu'au moins l'un des deux prendra sa succession. Alex, seize ans, le plus jeune des deux, a d'ailleurs déjà commencé à travailler au restaurant, assurant les livraisons lorsqu'il n'est pas en train de traîner avec ses potes, Pete et Billy.
À la même époque, dans la même ville, vivent James et Raymond Monroe — dix-huit et quinze ans — et leur ami Charles Baker. Eux sont noirs, et habitent le quartier délabré de Heathrow Heights, rebaptisé Negro Heights.

Dans l'entame de son roman, George Pelecanos retrace le quotidien de deux communautés d'adolescents qui vivent quasiment au même endroit mais qui se croisent à peine. Alex Pappas, bien qu'issu de l'immigration grecque, fait partie de la population blanche et son père, à sa manière, vit le rêve américain. Son fils est un jeune homme rêveur qui cherche son chemin, délaisse l'école et écoute de la musique en fumant quelques joints. James et Raymond Monroe quant à eux, souffrent des relents de ségrégation qui subsistent et vivent au jour le jour le racisme ambiant, la mise à l'écart de la société.
Cependant, d'un côté comme de l'autre, on a affaire à de bons garçons, ni plus ni moins délurés que d'autres, avec sans doute un peu plus de colère et de rage au ventre côté "noir", et c'est tout "naturel".

Raymond avait relevé les incidents survenus ces derniers temps dans le quartier — des jeunes Blancs qui le traversaient en voiture, baissaient les vitres et criaient « Nègre », passaient en trombe et regagnaient en vitesse le boulevard. C'était arrivé deux ou trois fois en un an. D'une certaine façon, ça durait depuis des générations. Leur mère avait été en butte à ce genre d'avanies quelques semaines plus tôt. James et Raymond en étainet malades qu'on puisse ainsi l'insulter. Les seuls Blancs qui avaient une raison de venir dans le quartier étaient ceux qui relevaient les compteurs, distribuaient le courrier, faisaient du porte à porte pour vendre des bibles ou des encyclopédies ou appartenaient à la police, quand ils n'étaient pas garants de cautions ou bien huissiers de justice.

La rencontre, la confrontation des deux groupes, prendra la forme de cette provocation ridicule : Alex se laissant entraîner par ses amis — bande de coquelets apeurés jouant les fiers — à débouler dans le quartier Noir pour y clamer bêtement, lâchement, des insanités. Une rencontre qui se terminera mal, très mal, puisqu'un des participants est malheureusement armé.
De "l'incident", on ne saura pas grand-chose, ni des circonstances, ni des conséquences. George Pelecanos choisit de laisser cette part du récit dans le flou avant de faire basculer l'intrigue dans le présent. On y apprend qu'Alex est resté marqué à jamais au visage par cet événement dont il porte la cicatrice, qu'il a finit par reprendre le magazi de son père, qu'un de ses enfants est mort en Irak tandis que l'autre, cuistot, travaille de plus en plus avec son père. Raymond Monroe, lui, est un kiné qui travaille dans un hôpital militaire où il tente de soigner les grands blessés. Son fils est actuellement en Afghanistan. Enfin, Charles Baker, après un long parcours en prison, est resté un "dur" qui entraîne de jeunes branleurs dans son sillage, les initiant aux trafics. Grâce à Internet, cherchant une vengeance, Charles finit par retrouver les protagonistes de "l'incident" : Peter Whitten et Alex Pappas, celui qu'il a défiguré.
La confrontation semble inévitable…

Avec Un Jour en Mai, George Pelecanos renoue dans la première partie de son roman avec la communauté grecque qu'il a déjà si bien su mettre en scène, ainsi qu'avec les années soixante-dix qui l'ont vu grandir. La bande originale, ou la play-list qu'il propose est impressionnante et constitue un florilège de l'année 1972 (avec en prime quelques concerts mythique comme celui des Stones à Washington), la précision des ses portraits reconstitue parfaitement l'ambiance, mélange d'insouciance blanche et de colère noire. On repense inévitablement à King Suckerman, l'un de ses précédents romans.
C'est lorsque le récit bascule vers le présent qu'il trouve son originalité. On pourrait parler de rédemption (qui reste un des sujets centraux du récit), mais il me semble que l'auteur va plus loin dans sa réflexion. Ses thèmes majeurs sont toujours présents — Washington et la confrontation Noirs/Blancs — mais ici, il n'est pas vraiment question de coupables ou de victimes. Les rôles se mélangent et une certaine confusion est entretenue.
Ainsi, de "l'incident" (c'est ainsi qu'il est nommé) qui est au cœur de l'intrigue, on ne sait quasiment rien et il faudra attendre les deux tiers du roman pour être un peu plus éclairé, comme si au fond celui-ci n'avait pas tant d'importance.
En 1972, certains sont les agresseurs (même par bêtise), dont fait partie Alex ; et d'autres les agressés (même violents). Coupables et victimes. Trente cinq ans plus tard, on retrouve les mêmes protagonistes, mais les rôles s'inversent, sans qu'il ne se soit rien passé. Le gentil Alex apparaît comme une victime (potentielle), tandis que le méchant Charles Baker est un coupable tout trouvé. Tout au long de son récit, Pelecanos va tenir l'équilibre sur ce fil tendu entre deux époques, sur l'ambiguïté de la perception, un équilibre qu'il maintient sans faillir.
Là-dessus, il greffe en aparté quelques réflexions sur l'armée, très présente — John Pappas est un ancien marines ; Alex Pappas a perdu un fils en Irak ; Raymond Monroe s'inquiète pour le sien en Afghanistan et travaille au milieu des grand blessés qui en reviennent. Mais au fond, la boucle est bouclée quand il souligne quelques traits à travers on retrouve ses interrogations :

Quand il allait dans des endroits comme Chevy Chase et Bethesda, il ne voyait jamais aucine sorte de bureau de recrutement. Mais c'était normal. Pourquoi l'armée de terre, la marine ou les marines auraient-il voulu perdre du temps, de l'argent et de l'énergie avec des jeunes qui n'allaient jamais s'engager et servie sous les drapeaux ? Ces jeunes-là iraient à la fac. Ces jeunes-là avaient des parents qui pouvaient payer leur droit d'inscription et leur hébergement et les aider à se placer sur le marché du travail par le biais de leurs réseaux d'amis qui avaient réussi.
Il regarda par la devanture du bureau de recrutement et vit deux figurines de soldats en carton grandeur nature, un Noir et un latino en grande tenue.

Là ou ailleurs, on en revient toujours au même…
Un Jour en Mai vient rappeler, si c'était encore nécessaire, que George Pelecanos est un des grands auteurs américains de romans noirs, et que son souffle est encore puissant.


Vous avez aimé...

Quelques pistes à explorer, ou pas...

Incontestablement King Suckerman qui se déroule en 1976 et place la musique au cœur du récit, comme ici dans toute la première partie. En n'oubliant pas qu'il n'est que le premier volet d'une indispensable trilogie…

Le début...

Les dix premières lignes...

Pappas et Fils, c'est comme ça qu'il avait appelé le coffee shop. Quand il avait ouvert, en 1964, ses fils n'avaient que huit et six ans, mais il escomptait que lorsqu'il vieillirait l'un d'eux reprendrait le flambeau. Comme tous les pères qui n'étaient pas des malakas, il avait envie que les fistons s'en sortent mieux que lui. Il voulait qu'ils fassent des études. Mais bon, on ne sait jamais ce qui va se passer. Il y en aurait peut-être un qui serait doué pour les études, et pas l'autre. Ou bien ils iraient tous les deux en fac et décideraient ensuite de reprendre l'affaire ensemble. En tout cas, il avait veillé au grain en les mentionnant eux aussi que l'enseigne (…)


La fin...

Quatrième de couverture...

Washington, printemps 72. Ivres et drogués, trois jeunes Blancs, Billy Cachoris, Peter Whitten et Alex Pappas, vont provoquer des Noirs dans leur quartier.
L'affaire tourne mal lorsqu'ils font face aux frères Monroe et à Charles Baker. Peter s'enfuit, mais Billy est tué et Alex y perd presque un oeil.
James Monroe sera condamné à dix ans de prison.
Trente-cinq ans plus tard, Alex gère le restaurant hérité de son père. Son fils cadet est mort en Irak et son aîné se forme à la restauration. De son côté, Raymond Monroe, qui est inquiet pour son fils, soldat en Afghanistan, travaille à l'hôpital Walter Reed où l'on soigne les blessés de guerre. Alex et Raymond se retrouvent. Charles Baker, lui, a passé l'essentiel de sa vie en prison. Et n'a qu'une envie : se venger de 72. La confrontation semble inévitable…


L'auteur(e)...

Sa trombine... et sa bio en lien...

George Pelecanos










Edition(s)...

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Du même auteur...

Bibliographie non exhaustive... Seuls sont indiqués ici les ouvrages chroniqués sur le site.

Le Chien qui Vendait des Chaussures King Suckerman Anacostia River Blues Suave comme l'Éternité Un Nommé Peter Karas Funky Guns Nick La Galère Blanc Comme Neige Tout se Paye Liquidation Soul Circus Hard Revolution Drama City Les Jardins de la Mort Mauvais Fils Une Balade dans la Nuit