Calmann-Lévy - Février 2013 - Traduction (anglais) : Elsa Maggion
Tags : Roman d'enquête Drogue Quidam Washington Années 2010 Moins de 250 pages
Publié le : 10 mars 2013
Au cours de sa carrière, Georges Pelecanos a beaucoup pratiqué — avec talent, il faut bien le reconnaître — les personnages récurrents et les romans se déclinant en série de trois ou quatre épisodes. Il s'était un peu écarté de ce schéma ces derniers temps (depuis Drama City, 2007) pour nous livrer des récits du type "one shot". Il revient aujourd'hui avec le premier volet d'une nouvelle série qui met en scène le personnage de Spero Lucas.
Spero Lucas est un ex-marine qui a connu les campagnes d'Irak et qui, de retour à la vie civile, s'est reconverti en enquêteur. Il vit en solitaire, mais garde une attache solide avec les membres de sa famille. On ne sait pas vraiment si Spero est blanc ou noir — il faudra d'ailleurs attendre quasiment les deux tiers du roman pour avoir une certitude — et au fond, Pelecanos nous fait bien comprendre que c'est sans importance. Il est en enfant adopté par un couple d'origine grecque qui reste très lié à sa mère adoptive depuis que son père est décédé, de même qu'à son frère Leo, lui aussi adopté. Ces deux-là sont ses repères, sa famille.
Sur son séjour en Irak, sur la guerre qu'il a mené, Spero, tout comme ses anciens camarades de combat, reste silencieux. Il est des souvenirs qui ne se partagent pas, ou seulement en silence avec ceux-là mêmes qui les ont vécus.
Pelecanos effleure à travers Spero les reconversions difficiles de ces combattants, comment ils sont pour certains en constant décalage, déphasé, incapables de reprendre pied dans la réalité américaine.
Spero a choisi une réinsertion en demie teinte : enquêteur pour un avocat pénaliste le jour, enquêteur à son propre compte pour une commission de 40% la nuit. Spero joue avec ses propres règles, son propre code, ni tout à fait dans la légalité, ni tout à fait en dehors. Un soldat sorti du rang…
Comme souvent chez Pelecanos, l'intrigue en elle-même tient en quelques lignes.
Après avoir sauvé du procès un adolescent voleur de voiture en décrédibilisant la déclaration du flic qui l'avait arrêté, Spero est contacté par le père de ce dernier, Anwan Hawkins, notoire dealer actuellement derrière les barreaux. Cet homme-là, qui a confié ses affaires à ces jeunes bras droits et se fait livrer sa "marchandise" par FedEx, s'est fait voler récemment quelques "colis". Moyennant ses incontournables 40%, Spero est chargé de retrouver les paquets disparus, ou au moins l'argent qu'ils représentent.
L'enquête amène vite les soupçons sur les adjoints d'Hawkins, Tavon Lynch et Edwin Davis, mais lorsque les deux sont retrouvés assassinés, Spero comprend qu'il a affaire à du plus solide. Et du plus méchant…
Washington est une nouvelle fois au cœur du récit. Les descriptions des pérégrinations de Spero Lucas sont incroyablement précises, au point qu'il est possible de suivre aisément ses itinéraires, voire de retrouver les endroits qu'il fréquente :
(…) il décida d'aller se promener. Il aurait pu prendre à l'est jusqu'à Crestwood, le joli quartier autour de la 16e Rue, où vivait le maire et où le taux de criminalité était faible. Mais en quittant la maison, il se dirigea vers l'ouest, remonta Colorado Avenue vers la 13e, traversa à la nuit tombée le terrain envahi de mauvaises herbes de Fort Stevens Park, puis le parking sombre de l'église méthodiste Emory pour finir par descendre les marches menant à Georgia Avenue.
Pelecanos crée avec Spero Lucas un personnage qui est à la frontière des univers qu'il a pris l'habitude de mettre en scène. C'est un pur produit de Washington, ni noir, ni blanc, ni immigré, et pourtant un peu de tout cela à la fois ; il navigue à la frontière de la légalité tout en respectant une sorte de code d'honneur qui lui est propre. Comme depuis plusieurs roman, le rapport père-fils est également une des clefs du récit, décliné ici sur deux versants : père présent même si pas biologique avec Spero ; père absent quand bien même biologique avec Larry Holley. Et puis il y a cette guerre si marquante et pourtant indicible, cette période de sa vie qui construit Spero tout en le détruisant et lui donne l'étoffe d'un personnage suffisamment ambigu pour être suivi de près.
Sans aller jusqu'à penser que Georges Pelecanos renoue (avec) les ficelles qui ont fait son succès, on peut penser que le personnage de Spero Lucas est à même de donner à son auteur quelques belles pages et que cette Balade dans la Nuit de Washington ne sera sans doute pas la dernière.
Quelques pistes à explorer, ou pas...
À propos des séries de Georges Pelecanos, rappelons le personnage de Nick Stefanos qui apparaît dans Anacostia River Blues (1999), Nick La Galère (2001) et Liquidation (2003), ou encore celui de Derek Strange dans Blanc Comme Neige (2002), Tout se Paye (2003) et Soul Circus (2004).
Les dix premières lignes...
Au premier étage d'une maison d'angle située à proximité des tribunaux fédéraux, dans un bureau dont les fenêtres donnaient sur le croisement de D street et de la 5e, Tom Petersen, un grand blond, était installé à sa table. Il portait des bottes et une chemise à imprimé cachemire sur son jean. Spero Lucas, en Carhartt, était assis en face de lui sur une chaise inconfortable. Petersen était avocat pénaliste, à son compte. Lucas, un de ses enquêteurs.
Il tenait à la main un carnet de Moleskine noir, ouvert, de la taille d'une bible de poche, où il griffonnait quelque chose.
— Tout se trouve dans les documents que je vais te remettre, dit Petersen, qui commençait à s'impatienter. Tu n'as pas besoin de prendre de notes.
— Je préfère (…)
Quatrième de couverture...
Internet et le suivi en ligne des livraisons de colis offrent aux trafiquants de drogue d’aujourd’hui un moyen idéal de faire transiter la came sans éveiller le moindre soupçon. Jusqu’au jour où le paquet tombe entre les mains de la mauvaise personne. C’est la triste expérience dont est victime le dealer Anwan Hawkins, qui dirige les opérations depuis sa prison. Résultat : 130 000 dollars envolés. Excédé, il embauche Spero Lucas, un ex-marine revenu d’Irak dont il a entendu dire beaucoup de bien tant ses dons d’observation et de déduction sont affûtés. Et il ne se trompait pas : Spero comprend vite que ce sont Tavon et Edwin, les assistants du dealer, qui ont « perdu » le colis.
Spero se retrouve alors confronté aux milieux les plus violents de Washington D.C. Le prix à payer pour toucher sa commission de 40%.
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...