Au Diable Vauvert - Mai 2008
Publié le : 29 mai 2008
Premier janvier 2008, dans les Cévennes. Plongée immédiate. Première scène qui frise avec l'horreur. Gros plan : insectes grouillants, punaises, fourmis, vers blancs, chairs meurtries, décomposition. Plan large : un corps recroquevillé, déformé, bardé de nanotechnologie, agonise dans une mort qui n'a plus rien d'humaine. À son chevet, un jeune homme observe la scène en tenant la main d'une fillette au regard halluciné. Plus loin, un couple nu, crotté par quarante-huit heures de fuite à travers les bois :
— Mais tu ne vois pas que nous allons tous terminer comme lui ! Tu te crois encore humain ? Ce qu'ils ont fait à ta femme et à ton fils ne t'a pas suffi ? Leurs corps rongés par les vers dans une tombe, ça te dit rien ? On n'aurait jamais dû t'écouter et te suivre dans cette folie… j'aurais dû me tuer tant que j'en avais la possibilité… mieux valait crever là-bas, vite, plutôt que cette fuite et cette… cette attente morbide !
Plus bas, deux véhicules noirs patrouillent. Les fuyards sont repérés. Une balle fuse, puis une seconde qui blesse légèrement la femme. La traque reprend. Quatrième tentative d'évasion en trois semaines…
La suite se fait en flash-back, six mois plus tôt, du côté de Grenoble où on découvre le personnage de Nathan, professeur à l'université et chercheur au laboratoire d'études des rapports sociaux. Ses étudiants sont en vacances et lui-même va pouvoir reprendre tranquillement ses travaux. En matière de recherche, la spécialité de Nathan, c'est le sexe :
Évidemment pas le sexe rose et cuir des boudoirs ou des magasins spécialisés. Pas non plus le sexe que l'on vend ou que l'on achète à la sauvette au sud de Grenoble, près de la station d'épuration (…). Rien à faire du coït, de l'éjaculation précoce, du Kama-Sutra, de la lambada et des godemichés à paillettes parfum banane de la rue Guétal.
Non, ce qui nourrit ses recherches, ce sont les discours sur le sexe. Le sexe que l'on parle, que l'on dit. Le sexe des hommes et des femmes tels qu'ils le racontent, avec la pudeur maladive de la vieille fille ou le détail clinique du gynécologue. Celui dont on tait les pratiques pour en révéler les soubassements sociaux ou psychiatriques. Ce sexe moche que l'on esthétise en le rationalisant. Ce sexe beau que l'on formalise et frigorifie avec les mots (…)
En exploration dans les différentes publications sur le sujet, Nathan et son équipe dénichent une recrudescence d'articles divers et variés, abordant différents domaines, qui ont pour point commun de provenir ou de faire état d'une sorte de laboratoire privé, le Cerimex. Ils décident ensemble d'en savoir plus sur la question et se répartissent les tâches.
Mais Nathan n'est pas vraiment à son travail. Il pense constamment à cette étudiante, Laure, pour qui il a eu le coup de foudre et dont il est sans nouvelles. De plus, sa cousine Camille débarque chez lui pour quelques semaines. Il délègue beaucoup.
Bientôt, Bahia, une de ses collaboratrices qui concentre ses recherches sur le Cerimex est retrouvée morte à son domicile, atrocement mutilée, puis c'est au tour d'un de ses anciens camarades de promo, auprès de qui il s'est rapproché pour des renseignements administratifs sur le fameux labo, de subir le même sort. Nathan prend peur, mais veut aller au bout de son enquête malgré tout, prudemment.
Marin Ledun ouvre son récit sur trois axes majeurs, trois axes divergents qui empruntent à différents genres. Thriller à tendance fantastique pour commencer (les premières scènes évoquent les nanotechnologies) ; puis à suivre, sans transition, une chronique sociale, politique, sociologique, qui évoque les problèmes liés à la recherche, ses buts, ses budgets, son organisation ; pour se poursuivre sans tarder vers un personnage en forme de gourou ésotérique (un des patrons du laboratoire Cerimex) qui emprunte à la mythologie religieuse les justifications de ses délires. L'auteur arrivera-t-il à conclure ces fiançailles précoces en un mariage réussi ? C'est la question que l'on se pose à l'ouverture de ce pavé de près de cinq cents pages.
Côté thriller, les amateurs ne seront sûrement pas déçus, tous les ingrédients du genre sont réunis : traque, suspense, rebondissements, tension, mais si elle occupe une grande part (à mon goût trop grande, et qui aurait mérité un sérieux élagage) elle ne constitue pas la partie la plus intéressante du récit.
La réflexion qu'engage Marin Ledun avec ce roman (qui semble-t-il n'est que le premier d'une série) s'attache plus particulièrement aux manipulations dont peut être l'objet l'humain. Avec d'un côté Nathan Seux qui étudie l'utilisation du sexe dans la marketing — forme industrielle de manipulation — et de l'autre ce gourou déjanté qui a fait de l'eugénisme son credo : « des esprits meilleurs, des corps meilleurs et des vies meilleures », et du marketing son vecteur, poussant ses recherches sur une utilisation scientifique du phénomène (d'où l'évocation des nanotechnologies et le côté fantastique que prend parfois l'intrigue).
Marin Ledun tente de cerner la question. Il pointe le doigt sur les développements de certaines recherches (manipulations génétiques), sur les risques encourus, sur les volontés de ceux qui les soutiennent, leurs motivations, et d'une certaine manière, il arrive à faire peur…
À la fois, la fiction se fait trop évidente et les "délires" de Cerimex, ses expériences, trop proches d'un caractère "fantastique" pour qu'on puisse les rapprocher d'une réalité plus concrète, ce qui semble pourtant être la volonté de l'auteur.
Marketing Viral porte une réflexion ambitieuse, globale, étayée, sur la destinée humaine, mais qui se retrouve noyée dans les exagérations du scénario. Pas sûr que la forme choisie, celle du thriller, soit celle qui convienne le mieux au sujet.
Quelques pistes à explorer, ou pas...
Bien sûr on pense au Babylon Babies de Dantec, ou encore à Transparences de Yal Ayerdhal, deux romans cités par l'éditeur…
Pour ma part, j'ai préféré le premier roman de l'auteur, Modus Operandi, mais je lirai sans doute les suites de Marketing Viral. Marin Ledun a tout de même une manière bien à lui d'aborder le thriller…
Les dix premières lignes...
Vallée du Chassezac, Grevières, 1er janvier 2008.
Début janvier, l'air est doux. L'hiver tarde à s'aventurer sur les terres cévenoles. Une punaise noire avance sur le tapis d'aiguilles de pin en décomposition avec une pugnacité que seule explique sa mission génétique d'insecte. Elle escalade, descend à tâtons, griffe le sol comme si la gravité ne la préoccupait pas. Ses pattes dérapent sur les grains d'argile verte entre deux tas d'aiguilles. Elle recule de deux centimètres, perd l'équilibre puis le retrouve, poursuivant avec obstination (…)
Quatrième de couverture...
À l'université de Grenoble, Nathan Seux travaille sur la sexualité. Ses recherches convergent vers un étrange laboratoire qui semble utiliser génétique et nanotechnologies dans des buts alarmants : marketing, manipulation, contrôle du corps et de l'esprit, « amélioration de l'homme ». Bientôt, ses étudiants sont assassinés les uns après les autres et toutes ses pistes débouchent sur des bains de sang…
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...