Fleuve Noir - Janvier 2011
Tags : Polar politique Quidam Futuriste Entre 250 et 400 pages
Publié le : 20 janvier 2011
Dans un futur proche, Thomas Zigler est un chasseur indépendant qui sévit dans la Zone Est, une enclave bétonnée renfermant ce qui reste de vie sur terre. Alors qu'il attrape un certain Konig — un informaticien spécialisé dans les jeux à réalité augmentée — pour lui voler un peu de sa mémoire, il découvre, en vérifiant les données collectées avant de les transmettre à son commanditaire, l'image d'une femme biologiquement intacte franchissant le mur d'enceinte qui protège la Zone. Inconcevable !
Il n'existe plus d'humains biologiquement "purs" depuis que les virus ont attaqué, trente-cinq ans plus tôt, et de plus, le mur — d'une centaine de mètres de hauteur — est réputé infranchissable…
Traqueur d'informations, pirate de données; hacker, parasite, chasseur de têtes, trompe-la-mort, suceur de cerveaux, les qualificatifs ne manquent pas, tous aussi méprisants les uns que les autres. Et tous aussi incomplets. Ce que je vends ? Une certaine compétence à trouver la bonne personne, à la traquer si nécessaire, et au final à lui prendre par tous les moyens ce qui vaut de l'or pour moi et mes commanditaires. Leur âme. Une sorte de chasseur d'âme, voilà ce que je suis. Ou tout comme. Données neuronales, fichiers administratifs, actes de naissance, codes génétiques, carnets d'adresses, réseaux de relations, toute information susceptible d'être craquée ou stockée relève de mes compétences.
Ainsi se définit lui-même Thomas Zigler. Un chasseur d'âme. Un voleur, qui reporte la responsabilité de ses actes sur ses donneurs d'ordre.
Nous sommes dans les années 2040/2050. La Zone Est compte environ trois millions d'habitants et se situe en gros entre Lyon et Valence. Une zone protégée par un haut mur, immense. Attaquées par les virus qui les rongent, les populations survivent à coups de prothèses, de greffes, de nanotechnologie, vivant dans des sous-sols surpeuplés.
Dans cette ambiance à la Blade Runner, pas étonnant que la vision, même "virtuelle", d'une femme "intacte" interpelle Zigler. Aidé de son ami Stix, un fourgue cyborg dealer à ses heures perdues et sans aucun état d'âme, et chaperonné par Sylia en guise de garde du corps, le voilà sur la piste de ceux qui auraient échappé à la contamination.
Continuant son exploration des mondes du polar, Marin Ledun pose cette fois ses valises au pays du techno-thriller futuriste, et il le fait bien. L'environnement est glauque à souhait entre pollution, virus malsains, miliciens aux aguets, nature inexistante ; on n'est pas loin du chaos. Et pourtant la vie continue. Les gens travaillent, produisent, font tourner la machine…
Marin Ledun projette l'image de notre société contemporaine dans un futur proche. Il en teste certains développements à l'aune des évolutions de ces dernières décennies. Ainsi la chasse aux données est-elle devenue une réalité concrète, mais si aujourd'hui elle se pratique avec l'assentiment général par l'intermédiaire de réseaux soi-disant sociaux, dans la Zone Est, c'est à l'aide d'un extracteur, le Ruxid MS280. Les jeux vidéo du début du XXème siècle se sont développés et ont permis l'émergence de la réalité alternée où tout à chacun peut plonger, mais qui est aussitôt détournée et peut devenir une méthode managériale.
L'assujettissement à la technologie est total. Quand aujourd'hui personne ne peut plus se passer de son portable et que grâce à cela on peut pister tout le monde, demain c'est une prothèse oculaire qui rend le même service. Les puces électroniques qu'on trimbale de nos jours sur un bout de plastique sont désormais implantées directement dans le corps, mais ce qui pouvait passer hier pour un détournement de la fonction première est au sein de la Zone totalement assumé : surveiller, pister, tracer. Personne n'est à l'abri.
Bien sûr, en haut de l'échelle, un pouvoir. Là, il est celui de l'industrie pharmaceutique ; pas étonnant en ces temps de virus. Pas étonnant non plus, dès lors qu'apparaît cette image d'une femme que le virus n'atteint pas, que ce pouvoir se défende, par tous les moyens, lui qui ne vit que de la maladie et de ses conséquences, et n'a donc aucun intérêt à ce qu'elle disparaisse. Zigler et sa bande l'apprendront à leurs dépends…
Difficile de vous en dire plus sans dévoiler les surprises que réservent Marin Ledun à ses lecteurs, mais en observateur avisé de nos travers actuels, il nous livre avec Zone Est de nombreuses pistes de réflexion sur notre avenir, nos modes de pensée, de fonctionnement actuels, de résignation. Et le tableau n'est pas particulièrement idyllique.
S'il s'attache au fond et réussit son "coup", Marin Ledun n'en oublie pas pour autant de soigner la forme. Le personnage de Zigler en chasseur baroudeur solitaire est bien campé avec son œil artificiel et ses armes de guerre — très cinématographique — d'autant qu'il est accompagné d'une véritable amazone qui le protège autant qu'elle le réconforte. Le récit est rythmé, structuré, laissant peu de répit aux acteurs comme au lecteur, et s'il se pare parfois d'une saveur ésotérique, c'est juste pour vous dérouter un peu, avant l'assaut final.
En résumé, un excellent moment de lecture.
Quelques pistes à explorer, ou pas...
Roman après roman, Marin Ledun pose les jalons d'une œuvre globale qui observe avec acuité le monde dans lequel nous vivons.
Mon petit doigt m'a laissé entendre qu'il s'intéresse de près au monde du travail et que 2011 devrait voir la parution d'un second roman, Les Visages Écrasés. On en reparlera sûrement…
Les dix premières lignes...
Mes globes oculaires me démangent depuis trois jours et trois nuits. La sensation insupportable que des centaines de vers microscopiques grouillent le long des filaments de mes implants deuxième génération et s'attaquent au nerf optique artificiel, avant de redescendre dévorer mon cerveau. À intervalles réguliers, des interférences électriques parasitent ma vue. À la place du halo rose dans lequel baigne d'habitude cette partie de la Zone Est, le ciel semble traversé de zébrures violacées et noires. Comme si une soudaine augmentation de l'activité magnétique de l'atmosphère permettait aux rayons du soleil de percer le Dôme, le nuage de pollution qui ceinture la ville de part en part (…)
Quatrième de couverture...
Thomas Zigler n'aurait jamais dû regarder dans la carte-mémoire de sa victime. Ce qu'il y a vu est inconcevable pour les habitants de la Zone Est : une femme, belle, sans artifices et épargnée par le virus. Pourtant, Thomas sait que personne ne peut survivre sans organes artificiels et autres prothèses. Alors d'où vient-elle ? De l'autre côté du Mur qui emprisonne à jamais la Zone Est ?
Thomas n'a pas le temps de se poser de questions. Les criminels sans visage pour lesquels il travaille sont déjà à ses trousses. Thomas est bien décidé à sauver sa peau et à découvrir ce qui se trame dans cette communauté coupée du monde. Car ce qu'il a vu, c'est un espoir, un mince espoir…
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...