Au Diable Vauvert - Avril 2007
Tags : Roman noir Thriller Polar social Psychologie Flic France Années 2000 Littéraire Entre 250 et 400 pages
Publié le : 03 juin 2007
Ça ne va pas très fort pour l'inspecteur Éric Darrieux. Le voilà confronté à une enquête difficile, psychologiquement, pour lui déjà fragile, à la limite... Une disparition d'enfant qui ne ressemble pas à une fugue, puis une seconde. Deux adolescents fréquentant le même collège du quartier des Eaux Claires à Grenoble, ce collège dans lequel lui-même a étudié quelques années plus tôt. Darrieux se remémore son enfance, il pense à sa femme, à ses filles, dont il s'est isolé le temps de résoudre ce dossier. Seuls les antidépresseurs et la bouteille de whisky l'accompagnent, souvent ensemble. Un ménage à trois...
Avec l'accord de sa hiérarchie et compte tenu de sa connaissance du terrain, il est convenu que l'inspecteur travaillera seul et en sous-marin, un parallèle à l'équipe d'enquête officielle :
— Tu es plus efficace dans ces conditions, de toute façon. Tu es un papillon de nuit, Éric, tu n'aimes pas la lumière.
Marin Ledun entame son récit par la présentation d'un personnage de flic qui est loin de respirer la santé. Éric Darrieux apparaît vite comme un homme fragile, mal dans sa peau, qui se débat dans un univers glauque, sombre, et pas vraiment rassurant. D'ailleurs, son environnement n'a rien à lui envier et Grenoble, sous la plume de l'auteur, prend une drôle de couleur :
Voie sans issue pour les demandeurs d'emploi, carrefour de trois vallées industrielles plus sinistres les unes que les autres et rendez-vous des sinistrés de l'or blanc, voilà ce qu'est Grenoble. Une ville où les alluvions drainées par le Drac et l'Isère forment un immense marécage dans lequel les humains s'enlisent sans même s'en apercevoir. Après elle, il n'y a plus rien.
N'empêche, on s'attache vite à cet inspecteur déboussolé que cette enquête ronge. Il y a quelque chose qui le hante dans cette histoire d'enfants disparus, peut-être quelque chose de très personnel. On ne sait pas vraiment.
Malgré les abus d'alcool, il enquête, il fouille, se replonge dans ce quartier qui l'a vu grandir. Les Eaux Claires, historiquement un haut lieu de l'immigration italienne, mais depuis que le prix du mètre carré a flambé, à Grenoble comme ailleurs, les ouvriers ont été "priés" de s'installer ailleurs, les immeubles ont été ravalés — couleur saumon — et la middle class s'est installée ; les magouilles immobilières aussi.
Sous couvert d'enquête, Marin Ledun se livre à une autopsie du quartier, une opération à cœur ouvert à travers laquelle se dévoile les petits et grands secrets qui constitueront autant de fausses pistes pour l'inspecteur.
Reste qu'après une troisième disparition et un dossier qui n'avance pas, on penche de plus en plus pour la version des enlèvements à caractère pédophile. La hiérarchie, la presse s'en mèlent. La pression monte, même si personne ne vient aider Darrieux. On lui mettrait même plutôt des bâtons dans les roues, au point de lui retirer l'enquête...
Marin Ledun aborde ce sujet délicat qu'est la pédophilie. Il la montre de "l'intérieur", tentant une approche où chacun est victime. Il évoque la déresponsabilisation de l'agresseur qui transpose la "faute" sur l'agressé. Il rappelle les antécédents primordiaux, le poids du passé, les ravages de l'avenir.
Modus Opérandi est une chronique sociale, la peinture d'une ville, d'un quartier, d'une société ; c'est aussi un roman noir, sombre, qui évoque avec beaucoup de finesse l'enfance maltraitée, sous diverses formes, mais qui toutes laissent des traces indélébiles. Un récit qui insiste aussi sur les méfaits des regards extérieurs, ou le peu d'importance accordées parfois à ces affaires reléguées au rang de simples faits divers. Une disparition d'enfant — trois même — mais pour le commissaire, le préfet, il s'agit de penser à l'avenir de leurs carrières respectives ; pour le principal du collège, il y va de la réputation de son établissement qui ne saurait être ternie ; pour les journalistes, rien ne compte plus que de surveiller les chiffres des ventes. Qui se soucie des enfants ? Qui ?..
Il y a aussi dans ce texte certains mécanismes du thriller, l'auteur sachant ne jamais se laisser aller aux exagérations du genre ni à l'utilisation des sempiternelles grosses ficelles.
Attention, je ne parle pas là d'un collage hétéroclite, d'une juxtaposition d'éléments de construction. L'ensemble est d'une rare cohérence, d'une écriture fluide, et vous mènera sans coup férir vers un final particulièrement étonnant quoique d'une logique infaillible.
Marin Ledun ne viendrait-il pas d'inventer le thriller noir ?
Au fond, peu importe après tout, du moment qu'il revient vite.
Quelques pistes à explorer, ou pas...
Il est des premiers romans qui sont de grandes réussites. Celui de Marin Ledun m'a rappelé, par sa chronique sociale, par la peinture d'un environnement, par la qualité de son écriture, de sa construction, le premier opus de Léo Lapointe, Le Vagabond de la Baie de Somme. Beaucoup moins sombre, je l'avoue, mais tout aussi agréable à lire.
Les dix premières lignes...
« Cette ville pue la mort, marmonne l'inspecteur Éric Darrieux, adossé à la portière de sa vieille Peugeot. Tu m'entends, Grenoble ? Le mort par tous les trous ! »
Dimanche 15 janvier 2006, une avenue, quelque part entre un bar et son appartement.
« Plus de quarante ans que je roule pour toi. »
Darrieux siffle le fond de sa bouteille de whisky. Les immeubles valsent autour de lui. Il tente de se retourner, trébuche sur le trottoir et se fend la lèvre supérieure sur le capot. Les mains à plat sur le bitume gelé, il étouffe un juron et part à la recherche des ses clefs.
« Quarante ans que j'use mes semelles dans tes rues et tes escaliers en or gris. Et que m'as-tu donné en échange (...) »
Quatrième de couverture...
« Cette ville pue la mort, marmonne l'inspecteur Éric Darrieux, adossé à la portière de sa vieille Peugeot. Tu m'entends, Grenoble ? Le mort par tous les trous ! Plus de quarante ans que je roule pour toi. Quarante ans que j'use mes semelles dans tes rues et tes escaliers en or gris. Et que m'as-tu donné en échange ? »
Marginal, opiniâtre et alcoolique invétéré, Éric Darrieux enquête sur des disparitions d'enfants à Grenoble. Témoins fuyants, preuves confuses... À travers les brouillards de l'alcool, il poursuit un passé tourmenté dans les méandres de la mémoire urbaine.
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...