Finitude - Août 2025
Tags : Roman noir Polar militant Vengeance Quidam Années 2020 Littéraire Moins de 250 pages
Publié le : 14 septembre 2025
Il est des auteurs avec qui on sait où on va, quels personnages vont entrer en scène, quel type de récit on va suivre ; un peu comme des retrouvailles en famille. Et puis il y a ceux qui vous embarquent, leur intelligence et leur créativité en bandoulière, à chaque roman vers des ailleurs différents. Joseph Incardona fait incontestablement partie de cette seconde catégorie, et c’est tant mieux. Chaque année ou presque, il est la surprise de la rentrée, cet air frais qui renouvelle la respiration.
Êve (avec un accent circonflexe) est une sirène professionnelle qui tarifie grassement ses prestations. Il faut dire qu’elle est très demandée par les millionnaires et leurs progénitures pourries gâtées.
Mais Êve est aussi, en secret pour ses clients, une survivante qui a subi dans sa chair la violence. Trois ans de coma, deux en rééducation, visage reconstruit, prothèses de jambes high-tech, elle ne vit que pour assouvir sa vengeance envers le responsable de son état et ; accessoirement, retrouver sa fille Maëva…
Matt Mauser, ami et détective, l’aide dans cette tâche. Il vient d’ailleurs de localiser la gamine au Japon.
Attention, que ce soit bien clair : il n’y a aucun mal à attendre d’Êve, elle n’a aucune volonté de nuire. Ce n’est pas une femme fatale, c’est la fatalité qui a une dette envers elle. Êve n’en veut pas aux hommes en général, elle n’en veut qu’à un seul en particulier.
On sent une infinie tristesse chez Êve, liée bien sûr aux conséquences de son accident, qui la prive notamment de toute rencontre amoureuse, de toute tendresse. Elle est une belle jeune femme, mais les hommes se dérobent face à ses cicatrices, la laissant seule avec son spleen. Êve est une femme brisée, tant moralement que physiquement, mais elle est devenue une guerrière.
Les bassins qu’elle emprunte à travers le monde sont ceux des grandes fortunes, ceux-là mêmes qui peuvent s’offrir tous les excès, fers de lance de l’épuisement de la planète, toujours prêts à montrer le mauvais exemple.
Êve est leur jouet, évoluant dans leur proximité, mais pas dans le même élément. Elle y cherche pourtant activement le responsable de son malheur, observant de son point de vue liquide la déliquescence de notre environnement.
Depuis plusieurs romans, Joseph Incardona met en scène avec brio des femmes en lutte contre la société et cette sirène ne déroge pas à la règle. Reste qu’ici le ciel s’assombrit et que les espoirs s’amenuisent. Le Monde est Fatigué est un roman bien sombre, même s’il est parsemé de moments de poésie intenses.
Un auteur n’écrit pas que pour lui ou pour le bien de la littérature, il officie également pour ses lecteurs. Et Joseph Incardona — c’est une sorte de marque de fabrique — installe une forme de complicité avec celui-ci, il l’interpelle, le considère, lui montrant qu’il fait partie du récit, du tout. C’est pour lui, ou elle que l’histoire d’Êve est contée.
L’équilibre de l’ensemble du roman est parfait, naviguant avec subtilité entre l’implacable et le sensible, où la noirceur du monde contemporain s’entrelace avec la résilience d’une héroïne profondément attachante. Même après un final en apothéose, Le Monde est Fatigué n’offre ni consolation ni échappatoire facile, mais une immersion saisissante dans les zones d’ombre de nos sociétés et de nos vies intérieures. En donnant voix à Êve, femme meurtrie et combative, Joseph Incardona confirme une nouvelle fois son talent à créer des personnages inoubliables, aptes de laisser trace dans la mémoire du lecteur. Un récit puissant, comme une respiration suspendue entre douleur et beauté.
Quelques pistes à explorer, ou pas...
J’avais découvert Joseph Incardona à ses débuts en 2008 avec Remington qui déjà m’avait beaucoup plu. La suite de sa carrière n’a fait que confirmer cette première impression.
Comme Êve, ses derniers romans présentent des personnages féminins en lutte : Les Corps Solides (2022) et Stella et l’Amérique (2024), tous deux très réussis.
Les dix premières lignes...
Signe des temps, le Uber qui la conduit est un véhicule hybride et le chauffeur métis s’oriente avec un GPS. Son prénom à elle, Êve, est un pseudonyme avec circonflexe sur le premier « e » : chacun est différent, unique à sa façon, et il faut le faire savoir.
On le voit : tout est mélangé, incertain, en devenir. Seule la richesse est un socle immuable et fiable, comme la pierre dans laquelle on investit. Maisons de maître, villas modernes, pavillons contemporains. Dans ce quartier chic de la commune de Vandœuvres (mais œuvrer à quoi ?), sur la rive gauche du Léman, les propriétés se succèdent comme dans un Beverly Hills des fortunés anonymes.
Quelques chiffres :
90 300 millionnaires.
345 centimillionnaires.
16 milliardaires.
Après New York, San Francisco, Londres et Los Angeles, Genève est au cinquième rang des villes du monde où vivent les personnes les plus aisées.
Là où se trouve Êve aujourd’hui.
Parce que dans rêve, il y a Êve.
Quatrième de couverture...
Êve est une sirène professionnelle qui nage dans les plus grands aquariums du monde. Mais personne n’imagine la femme brisée, fracassée, que cache sa queue en silicone. Quelqu’un lui a fait du mal, tellement de mal, et il faudra un jour rééquilibrer les comptes.
En attendant, de Genève à Tokyo, de Brisbane à Dubaï, elle sillonne la planète, icône glamour et artificielle d’un monde fatigué par le trop-plein des désirs.
À travers un destin singulier, Joseph Incardona revisite le mythe de la sirène et nous donne à voir une humanité en passe de perdre son âme.
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...