Finitude - Août 2022
Tags : Roman noir Polar social Psychologie Quidam France Années 2020 Entre 250 et 400 pages
Publié le : 25 novembre 2023
Dans son coin de sud-ouest, Anna est une ancienne surfeuse qui tente de survivre en compagnie de son fils adolescent Léo. Veuve, elle trouve de quoi subvenir à leurs besoins au volant de sa camionnette pourrie en vendant des poulets rôtis sur les marchés environnants. Ils ne roulent pas sur l’or, mais la complicité qu’il partage leur fait oublier leur précarité, leur fragilité.
Cette dernière sera mise à mal lorsque survient un accident de la circulation qui immobilise son instrument de travail. Malgré ses tentatives, Anna ne trouve pas de solutions pour remédier au problème. La spirale infernale est lancée.
Son fils Léo lui fait entrevoir une possible porte de sortie : bientôt, dans la région, est organisé un jeu télévisé. Le principe en est des plus simplistes : être le dernier parmi vingt candidats à garder la main posée sur un véhicule pour le gagner, le tout filmé vingt-quatre heures sur vingt-quatre par une myriade de caméras avec prime time quotidien et sous les regards des touristes de retour de la plage.
Dans un premier temps, Anna refuse d’envisager cette mascarade, mais il faut bien vivre. Léo inscrit sa mère et malgré ses réticences, après qu’elle ait été retenue comme candidate, la partie s’engage.
Vous savez quoi ? Le pire, c’est que ce jeu débile a réellement existé. Touch the Truck a fait le bonheur de Channel 5 à la télévision britannique au printemps 2001, avant d’être décliné dans d’autres pays, notamment en Russie où il a connu quelques excès. Joseph Incardona s’en est directement inspiré pour en faire un des cœurs de son intrigue.
Pour Anna, elle est tout sauf la candidate idéale pour ce genre de programme. Sa présence n’est le fruit que d’une urgence sociale. Ce véhicule, elle en a besoin pour travailler, pour vivre, pour subvenir aux besoins de son fils Léo, lui apporter une vie matérielle « normale ». Elle se retrouve là, sous les projecteurs, comme une étrangère, hostile à ce qui l’entoure, mais portée par un projet. Et par son fils.
Pour le reste, elle est parfaite. Parfaitement à sa place.
Face à elle, la production. Les ignobles qui ont pondu cette idée, le présentateur mégalo, les têtes pensantes qui organisent l’abjection.
Face à elle, le public, accouru en masse pour assister au massacre, voyeur impénitent de la misère du monde.
Face à elle, les candidats, chacun avec sa propre motivation qui cache toutes sortes de drames.
Joseph Incardona est un observateur attentif de l’humain. Il met en scène une certaine paupérisation de notre société tout en intégrant à son « intrigue » d’autres sphères : celles du pouvoir, manipulatrices. Pouvoir économique, pouvoir politique, pouvoir médiatique. Les Corps Solides est un roman qui montre, expose et questionne. Un roman noir de la plus belle facture.
Mais l’auteur — il le dit lui-même — aime ses personnages. Tous ses personnages. Alors il nous mitonne aussi une fable qui recèle espérance et humanité. Le monde est fou, mais pas seulement…
Les Corps Solides a été sélectionné pour le prix Les Inrocks, roman étranger, en 2022.
Quelques pistes à explorer, ou pas...
Pour l’analogie du rapport mère-fils, pourquoi pas le très bon roman de Marion Brunet, Vanda.
Et du côté de l’absurdité du jeu, un détour par le Marche ou Crève de Stephen King, même si on pense surtout à On Achève bien les Chevaux de Horace McCoy.
Les dix premières lignes...
Les phares de la camionnette éclairent la route en ligne droite. On pourrait les éteindre, on y verrait quand même, la lune jaune rend visibles les champs en jachère aussi loin que porte le regard. La nuit est américaine. La fenêtre côté conducteur est ouverte, il y a l’air doux d’un printemps en avance sur le calendrier.
De sa main libre, Anna tâtonne sur le siège passager et trouve son paquet de cigarettes. À la radio, une mélodie lente accompagne le voyage ; et quand je dis que la nuit est américaine, c’est qu’on pourrait s’y croire avec le blues, la Marlboro et l’illusion des grands espaces (…)
Quatrième de couverture...
Anna vend des poulets rôtis sur les marchés pour assurer ¬l’essentiel, pour que son fils Léo ne manque de rien. Ou de pas grand-chose. Anna aspire seulement à un peu de tranquillité dans leur mobile-home au bord de l’Atlantique, et Léo à surfer de belles vagues. À vivre libre, tout simplement.
Mais quand elle perd son camion-rôtissoire dans un accident, le fragile équilibre est menacé, les dettes et les ennuis s’accumulent.
Il faut trouver de l’argent.
Il y aurait bien ce « Jeu » dont on parle partout, à la télé, à la radio, auquel Léo incite sa mère à s’inscrire. Gagner les 50 000 euros signifierait la fin de leurs soucis. Pourtant Anna refuse, elle n’est pas prête à vendre son âme dans ce jeu absurde dont la seule règle consiste à toucher une voiture et à ne plus la lâcher.
Mais rattrapée par un monde régi par la cupidité et le voyeurisme médiatique, a-t-elle vraiment le choix ?
Épopée moderne, histoire d’amour filial et maternel, Les Corps Solides est surtout un roman sur la dignité d’une femme face au cynisme d’une époque où tout s’achète, même les consciences.
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...