Parigramme - Février 2012
Tags : Roman noir Polar social Quidam Paris Années 2010 Littéraire Populaire Moins de 250 pages
Publié le : 17 mars 2012
Frédéric Haltier est un trentenaire qui travaille pour la télévision. Directeur de programme pour Canal 7, assistant du grand Jean-Michel Auriol, la star de la télé réalité, il sert de rabatteur, chargé de trouver pour son patron de bons clients aux histoires biens salaces.
Haltier est d'un grand cynisme. C'est un pur produit du néo-libéralisme, blasé par la vie et les facilités qu'elle lui procure, attaché au pouvoir et à l'argent plus qu'à ses propres filles qu'il ignore, dirigé par un cerveau en forme de bite, et au final ne trouvant des sensations que dans la violence — il est pour ça un supporter anonyme du PSG, pratiquant régulièrement la baston post-match en compagnie d'un kop aviné.
Haltier est aussi brimé par un Auriol plus haut et plus fort que lui — une belle ordure parmi les déchets — tous deux n'offrant que mépris pour le public qu'ils servent ; on a la rançon de ce qu'on sème… Alors Haltier de rabat sur plus petit que lui : un responsable de l'informatique, ou quelques pseudo mannequins ambitieuses, pour montrer son pouvoir…
Ça vous viendrait à l'idée, vous, de prendre comme narrateur et personnage principal un être infâme ? Je suppose que non, qu'à priori lorsqu'on lance sa plume sur la page blanche (ou plus prosaïquement lorsqu'on enfonce la première touche du clavier) on est plutôt enclin à chercher du côté "positif", quitte à par la suite noircir un peu le tableau.
Et bien pour Joseph Incardona, c'est une bonne idée. Il prendrait même comme un certain plaisir à se couler dans la peau de cette belle ordure qu'est Frédéric Haltier. Mieux qu'une idée, il en fait même un livre…
Trash Circus se déroule donc dans la tête de ce personnage ignoble qui sévit dans le monde de la télé réalité. Il est l'archétype du gagneur. Pas tout à fait en phase terminale, mais sur la voix du sommet. Il lui reste naturellement quelques obstacles à éliminer au fur et à mesure que la voie se fait plus étroite, ainsi que quelques suiveurs à bousculer pour ne pas se faire rattraper. Pour ça, tous les coups sont permis. Bienvenue dans le monde moderne…
Mais ces jeux malsains ont leur revers. On a beau côtoyer l'élite, les sensations s'amenuisent, perdent de leur authenticité, alors notre homme a recours à quelques subterfuges pour sentir encore l'adrénaline couler dans ses veines, ou accessoirement arriver à bander…
Les cons dans leurs tribunes sont les derniers à nous rappeler que l'âge de pierre côtoie l'ère numérique quand ils se donnent rendez-vous sur un parking. Ce sont les derniers de la chaîne du libéralisme, les derniers qui n'ont rien et n'auront jamais rien, le fruit pourri dans le panier, la conséquence contre laquelle on envoie les flics, tandis que plus haut, plus haut, très haut, des type organisent une Coupe du monde, enculent l'Afrique du Sud et roulent en limousine. Tout ça au nom de la putain d'émancipation et de la liberté. »
Les groupes de jeunes sont des grappes de consommateurs, iPod Nano aux oreilles, iPhone au bout des doigts, le pouce flexible qu'arrête pas de tapoter sur les touches de leur merde, s'envoient des messages débiles, fans de la « Star Ac' », fans de rappeurs à la con, banlieue pourrie, ville pourrie, avenir pourri, dents bientôt pourries, tout ça finira en kebab, en graisse et en frustration. Miroir aux alouettes de l'hypercentre à consommer : fringues, multimédia, bouffe, bêtise. Hypercentre de la frustration, ils sont juste bons à enrichir les multivitaminés du libre-échange, à se faire baiser dans les grandes largeurs…
Dans la peau de Frédéric Haltier, Joseph Incardona s'en donne à cœur joie et trouve un biais de choix pour dresser le portrait, de l'intérieur, vu par un de ses acteurs, d'une société en pleine déliquescence. Bien sûr il n'est pas le premier à exposer tout le mal qui peut être fait par les chantres du libéralisme, mais sa stratégie s'avère payante, d'autant qu'il réserve quelques surprises à son "héros".
Malgré son côté répugnant, Haltier est un personnage qu'on suit avec intérêt, conscient des failles qui fragilisent sa stature. Il est un homme seul, terriblement seul malgré la foule qui l'entoure. Une fragilité qui, au terme du roman, pourrait, presque, lui donner un côté sympathique.
Joseph Incardona est à mon sens un adepte des postures littéraires. Il compose ses romans comme des exercices de style et réussit en général assez bien dans ce domaine. Cet homme-là est doué. Reste que depuis Remington, je peine à retrouver dans ses pages les accents de sincérité qui habitaient ce précédent roman.
Si Trash Circus est incontestablement un livre réussi, il lui manque ce petit souffle supplémentaire qui en ferait un grand roman.
Le jour où Joseph Incardona cessera de se cacher derrière ses personnages, il nous livrera j'en suis sûr le meilleur.
Quelques pistes à explorer, ou pas...
À ma connaissance, je ne vois pas d'autres polars ayant pris pour environnement le monde la télévision. Mais je suis sûr qu'ils existent…
Sinon, du même auteur, ne passez pas à côté de Remington.
Les dix premières lignes...
Entre deux auvents, une pluie froide et grasse mouille son visage, mais il s'en fout. Il a replié son bonnet sur la tête de façon à laisser les oreilles dégagées tout en protégeant son crâne. À l'intérieur de son bomber il a chaud. Et à l'intérieur de lui-même il bouillonne malgré l'air humide et les rafales de vent : la défaite à domicile contre Auxerre (2-3) et cinq babys d'après-match avec les gars du Kop> ont fini de lui retourner le cœur et l'estomac (…)
Quatrième de couverture...
Frédéric Haltier travaille dans l'univers schizophrène de la télé réalité. Version trash. Argent, sexe, drogue, cynisme… Mais ce jeune homme moderne entretient également une passion secrète pour les rassemblements hooligans, leur violence et leur sauvagerie. Tout irait pour le mieux dans cette existence soigneusement compartimentée si Haltier n'avait la malencontreuse idée de mélanger travail et plaisir.
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...