Un Pays à l'Aube

Dennis Lehane

Rivages / Thriller - Février 2009 - Traduction (anglais) : Isabelle Maillet

Tags :  Roman historique Polar politique Polar social Discrimination Flic Quidam Etats Unis Historique (avant 1930) Plus de 400 pages

Edition originale

Un avis personnel...

Publié le : 15 mars 2009

1918. En Europe, la guerre est sur le point de se terminer. Aux États-Unis, on s'apprête à recevoir le flot des troufions rentrant au pays alors que l'économie, malgré la révolution industrielle, a tendance à battre de l'aile.
Pour Luther Laurence, qui habite Columbus, dans l'Ohio, ce sera synonyme de licenciement et un prétexte tout trouvé par ses employeurs pour le virer ; il faut faire de la place pour les Blancs qui rentrent. Avec son amie Lila, il quitte la ville pour rejoindre Tulsa, dans l'Oklahoma, un coin où grâce au pétrole le boulot ne manque pas et où les Noirs ont, une fois n'est pas coutume, la possibilité de vivre quasiment comme les Blancs…
Dany Coughlin, quant à lui, est flic à Boston. Avec son coéquipier et ami Steve Coyle — ils pratiquent la boxe ensemble — ils sont chargés d'une mission délicate : escorter des militaires malades débarquant d'un cargo en provenance d'Europe vers un camp médicalisé de l'armée. On soupçonne une grave infection.
Troisième personnage, en marge : Babe Ruth. Joueur de baseball, il est une célébrité, mais aussi un grand gamin un peu naïf…

C'est à une grande épopée historique et sociale que nous convie Denis Lehane dans ce pavé de sept cent soixante pages. Nous sommes en 1918, les États-Unis ne sont pas encore le centre du monde, mais travaillent à le devenir, fort des vagues d'immigration qui les ont peuplés. Dans la vieille Europe, la guerre se termine, et renvoie chez eux des soldats mal en point. L'hiver sera rude, traversé par une épidémie de grippe espagnole qui fera autant de ravages, sinon plus, que la guerre elle-même ; les troufions rapatriés en Amérique transportant dans leur bagage le virus mortel. Un peu plus tôt, un peu plus loin, à l'est de l'Europe, en Russie, a eu lieu une révolution.
C'est dans ce contexte que Lehane ouvre son roman.
Trois personnages principaux sont au cœur du récit. Deux d'entre eux en sont les acteurs — Luther Laurence et Dany Coughlin —, le troisième — Babe Ruth — spectateur.
Il faudra du temps pour qu'ils se croisent. Le temps de mettre en perspective le climat de l'époque, de le retracer au travers des parcours de chacun.

Luther est Noir. Il vit, comme ses "frères", à l'ombre des Blancs qui concentrent tous les pouvoirs, subissant sans broncher le mépris, les brimades, les humiliations, les injustices. Situation aussi infamante que courante dans une Amérique en crise. À part, peut-être, du côté de Tulsa, où le roi pétrole et ses richesses semblent masquer les différences, les aplanir.
C'est là que débarque Luther, découvrant une communauté noire qui participe, à sa manière, au rêve américain, même si c'est de "son" côté de la rivière. Mais Luther n'a que faire de cette vie bien rangée qu'on lui propose. Lui qui, lorsqu'il court, se met à voler comme le vent, aspire à plus de liberté, plus de folie.
Délaissant sa compagne Lila, enceinte, il la trouvera dans les bars, auprès de Jessie, dans des entourloupes foireuses qui les mèneront au drame. Recrutés comme encaisseurs de loteries clandestines, tentant un "écrémage" risqué, ils en viendront à un face à face mortel avec leur patron, le Bedeau. Jessie n'y survivra pas, Luther sera contraint de fuir là où personne ne le connaît, abandonnant sa femme et son futur enfant. Il choisira Boston…

Dany Coughlin est Blanc. Irlandais pour tout dire. Fils d'une dynastie de flics. Son père, son oncle, sont parmi les chefs de la police de Boston, son frère appelé à devenir un des principaux adjoints du procureur. Promis à un bel avenir, Dany est cependant, par choix, flic dans la rue.
Comme ses collègues, il subit de plein fouet la crise traversée par l'Amérique, l'augmentation des prix, la stagnation des salaires, la non reconnaissance, les promesses jamais tenues par la hiérarchie ou les pouvoirs politiques ; pour ainsi dire : la misère. Certains, dans la police, pensent même à créer un syndicat, malgré les interdictions, c'est dire !
Dans les usines, la colère gronde. Dans la rue, les anarchistes, communistes et autres bolcheviks se réunissent, lancent des bombes.
À la demande de ses chefs, Dany va tenter d'infiltrer ce milieu. Certains pensent qu'un complot majeur se prépare en coulisse…

Dennis Lehane met en scène, en fond de décor, une classe dirigeante qui, sous couvert de la liberté d'entreprendre, s'est arrogé tous les droits dans ce pays en construction. La révolution industrielle, les grands espaces, ont bâti des fortunes, mais si les miettes sont suffisantes pour la piétaille dans les périodes fastes, elles ne sont plus suffisantes lorsque vient la disette. Avec l'exemple venu de Moscou, l'arrivée d'immigrants russes en Amérique répendant la bonne parole, la classe ouvrière réclame sa juste part du gâteau. La lutte des classes transposée de l'autre côté de l'Atlantique…
La lutte des classes… une affaire de Blancs. Pour Luther, comme pour sa communauté, la situation est différente. Il ne s'agit pas tant de partager une part des richesses que de faire avant tout reconnaître son droit à y accéder. L'assimilation des Noirs en tant que simples êtres humains est encore à obtenir… On en vivra ici les prémisses.

Un Pays à l'Aube se lit comme une grande fresque historique, extrêmement documentée, qui à travers quelques personnages, quelques épisodes marquants, retrace sur la longueur quelques épisodes de la construction d'une nation et d'un système économique. Il y a dans ces pages comme un souffle romantique, quelque chose comme Autant en Emporte le Vent, avec ses images chocs, ses grands sentiments, ses personnages forts, les "petites" histoires qui éclairent la grande Histoire, et l'amour…
On pourrait s'en contenter. Mais Dennis Lehane n'est pas seulement un grand peintre, il est aussi un observateur avisé de son époque et, par certains égards, on peut trouver dans ce roman d'étranges résonances dans le présent.
Que dire de cet attentat meurtrier contre un commissariat, à Boston, attribué aux anarchistes ?
Que dire de l'obstination de MacKenna et d'une partie du monde politique à croire résolument au complot contre les États-Unis ? Leurs États-Unis ?
Que dire de cette guerre sans merci, sans vainqueur, qui va opposer les deux camps ?
Que dire de la puissance des services secrets ?

Au final, si la peinture sociale est passionnante, le contexte historique suffisamment documenté pour donner envie d'en apprendre un peu plus, les personnages emblématiques, on regrettera l'absence de véritable intrigue au récit. L'intérêt se maintient tant que l'on est dans le roman, mais disparaît vite la dernière page tournée pour se diluer au fil des jours dans l'air du temps. Quant aux interrogations suscitées, elles restent sans réponse.
Faut-il prévoir une seconde lecture ?
Oui, mais sept cent soixante pages… c'est long.


Vous avez aimé...

Quelques pistes à explorer, ou pas...

Un certain Claude Mesplède apparaît comme personnage dans le roman ; incontestable clin d'œil de Dennis Lehane à notre pape hexagonal et interplanétaire…

Le début...

Les dix premières lignes...

En raison des restrictions sur la liberté de circulation imposées à la ligue majeure de base-ball par le ministère de la Défense pendant la Première Guerre mondiale, les World Series de 1918 furent programmées en septembre et divisées en deux séries de matchs à domicile : les Chicago Clubs devaient organiser les trois premiers et Boston les quatre derniers. Le 7 septembre, après la défaite des Clubs au terme de la troisième rencontre, les deux équipes montèrent donc ensemble à bord du Michigan Central pour un trajet de vingt-sept heures, et Babe Ruth, passablement éméché, se mit à faucher des chapeaux (…)


La fin...

Quatrième de couverture...

L'Amérique se remet difficilement des soubresauts de la Première Guerre mondiale. De retour d'Europe, les soldats entendent retrouver leurs emplois souvent occupés par des Noirs en leur absence. L'économie est ébranlée, le pays s'est endetté et l'inflation fait des ravages. La vie devient de plus en plus difficile pour les classes pauvres, en particulier dans les villes. C'est sur ce terreau que fleurissent les luttes syndicales, que prospèrent les groupes anarchistes et bolcheviques, et aussi les premiers mouvements de défense de la cause noire.
En 1918, Luther Laurence, jeune ouvrier noir de l'Ohio, est amené par un étonnant concours de circonstances à disputer une partie de base-ball face à Babe Ruth, étoile montante de ce sport. Une expérience amère qu'il n'oubliera jamais.
Au même moment, l'agent Danny Coughlin, issu d'une famille irlandaise et fils aîné d'un légendaire capitaine de la police de Boston, pratique la boxe avec talent. Il est également chargé d'une mission spéciale par son parrain, le retors lieutenant McKenna, qui l'infiltre dans les milieux syndicaux et anarchistes pour repérer les « fauteurs de troubles » puis les expulser du territoire américain.
À priori Luther et Danny n'ont rien en commun. Le destin va pourtant les réunir à Boston en 1919, l'année de tous les dangers. Tandis que Luther fuit son passé, Danny cherche désespérément le sens de sa vie présente, en rupture avec le clan familial. Dans une ville marquée par une série de traumatismes, une ville où gronde la révolte, la grève des forces de police va mettre le feu aux poudres…


L'auteur(e)...

Sa trombine... et sa bio en lien...

Dennis Lehane










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