Le Silence

Un avis personnel...

Publié le : 31 août 2023

Dennis renoue avec Boston, sa ville natale. Mieux, avec le quartier où il est né.

Nous sommes en 1974, dix ans après la signature du Civil Rights Act censé mettre fin à toute forme de ségrégation raciale aux États-Unis. Reste que les « mauvaises habitudes » perdurent et qu’un juge vient de statuer sur ce sujet en inventant le « busing ». La ségrégation restant de mise dans les écoles publiques, il s’agit de transférer un contingent de collégiens et de lycéens d’un établissement à un autre afin de rétablir un semblant d’équilibre. Pour ce premier test, sont choisis d’un côté un quartier à majorité noire, de l’autre un secteur pauvre peuplé d’Irlandais.
C’est là que vivent Mary Pat Fennesy et sa fille, directement concernées par cette nouveauté qui approche à grands pas et dont personne ne veut.
En Amérique, on pratique encore plus qu’ailleurs le « chacun chez soi ». Quand bien même on a la même couleur de peau, les communautés sont fermées, voire étanches. Alors si en plus on vous impose d’en haut un mélange avec les Noirs, rien ne va plus.
Mary Pat est active dans son quartier. Moins qu’avant, mais elle n’en participe pas moins à l’organisation de la manifestation organisée pour lutter contre cette mesure.
Quant à sa fille, Jules, elle vit sa vie d’adolescente au milieu de son quartier, comme l’ont fait toutes les générations qui l’ont précédée.

Survient un fait divers. Un jeune Noir est retrouvé mort dans une station de métro, sans doute percuté par un train. Il s’agit du fils d’une collègue de travail de Mary Pat. Une connaissance, tout au plus. Mais ce même jour, Jules n’est pas rentrée…

Dennis Lehane n’est jamais aussi à l’aise que lorsqu’il dépeint de l’intérieur le monde qui l’a vu grandir. On plonge avec lui au cœur de cette communauté irlandaise aux revenus modestes, une population dure au mal, soudée, solidaire, avec à sa tête un certain Buttler, le caïd local qui organisent les magouilles et gère les éventuels conflits. Ici, tout se règle en famille.
Mary Pat est une femme solide, un bloc qui a compris très vite que la vie ne lui ne ferait pas de cadeaux. Elle élève seule sa fille Jules, après que son fils soit décédé d’une overdose quelques temps après son retour du Viet Nam. Elle mène sa barque, sans trop se soucier des apparences et sans grand espoir, mais il n’est pas question de voir sa fille disparaître sans qu’elle remue ciel et terre pour la retrouver.

Mary Pat est-elle raciste ? Non, sûrement pas, mais elle a appris qu’ici on ne se mélangeait pas et que si chacun restait chez soi tout irait bien. C’est quasiment inscrit dans ses gènes.
Tel est le sujet de fond auquel s’attelle Dennis Lehane dans ce roman magistral. À travers ce contexte historique et ce personnage magnifique, il dresse le portrait d’une Amérique morcelée qui entretient à ses dépens la haine de l’autre. L’ensemble est mené avec une fluidité de tous les instants, servie par un style percutant.
Mary Pat emporte tout sur son passage. Femme et mère, elle va lutter, à son corps défendant, avec toute sa colère, toute sa hargne, pour qu’un semblant de justice émerge enfin de ce chaos.

Dennis Lehane, à son meilleur niveau, nous livre un récit puissant avec quelques scènes épiques dont il a le secret et dominé par une réflexion profonde sur cette Amérique déboussolée qui, aujourd’hui encore, n’en a toujours pas fini de se débattre avec la ségrégation. Indispensable.

Le Silence a été couronné du Grand Prix de Littérature Policière 2023 dans la catégorie romans étrangers, au côté de Colin Niel pour Darwyne

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Lehane, Lehane, et encore Lehane… Et peut-être, pour la force des portraits féminins, un détour chez Marion Brunet.