Gallimard / Série Noire - Septembre 1982
Tags : Roman historique Polar militant Vengeance Historique (avant 1930) Littéraire Populaire Moins de 250 pages
Publié le : 30 novembre 2005
1918, l'armistice vient d'être signé, la guerre est terminée, la "der des ders"... Pourtant, les stigmates, les séquelles sont nombreux, comme pour Michou et sa mère dont le père/mari a été fusillé en 1917 pour avoir refusé de charger inutilement. Famille de mutiné, ça n'est pas vraiment une sinécure en ces temps de gloire nationale et l'enfant, du haut de ses huit ans et demi, et surtout sa mère, subissent continuellement les quolibets, les vexations, les insultes, voire les coups du voisinage :
Rien de tel que les femmes de héros pour suer la vengeance.
La mère de Michou n'est pas de celles qui se cachent face à la vindicte générale, elle rend coup pour coup et entretient la mémoire de son homme, "anarcho-syndico", dans celle de son fils :
Il faut être fier de lui, tu m'entends ! Il était contre ce côté moche de n'importe quelle guerre, qui donne tout pouvoir à des petits péteux, qui leur permet d'envoyer des hommes se faire massacrer pour rien, tandis qu'ils se gagnent des galons et des étoiles."
Mais s'il ne faut pas renier le père, il n'est pas non plus question d'oublier ceux qui l'ont mené là :
Rappelle-toi de ces noms-là, mon petit bonhomme ! Souviens-toi du Mangin, du Pétain qui ont tout laissé faire et qui se voulaient des "morts pour l'exemple". Souviens-toi du général de division Des Gringues, avec ou sans rotule. Des Gringues qu'on appelle encore le Boucher des Hurlus, où il a gagné ses étoiles. Tu vas grandir, tu vas devenir fort. Ces gens-là, il faudra les tuer !
Malheureusement, à l'occasion d'une altercation plus violente que les autres, la mère de Michou est internée et le gamin placé dans un orphelinat...
Jean Amila retrace avec une exceptionnelle consistance un parcours qui lui est très proche. Il mêle son expérience personnelle à l'Histoire, celle des mutins de 1917, celle des fusillés pour l'exemple, pour écrire un roman rageur, véritable réquisitoire contre cette guerre de position qui a décimé une génération entière par bêtise. Mais s'il s'insurge (le mot est faible...) contre l'hypocrisie de la société, il n'en oublie pas pour autant la populace bien-pensante, elle-même victime, parfois planquée, souvent résignée, qui soutient ses propres bourreaux, les respecte...
Le style de l'auteur fait ici merveille, vif, concis, chaque mot est à sa place, chaque phrase claque, chaque tournure est pesée pour que la colère de Michou, sa rage viscérale transpire au fil des phrases. D'ailleurs, Jean Amila ne rechigne pas devant les inventions : il signe quelques néologismes bien sentis qui viennent rehausser sa langue déjà si fleurie.
La lâcheté humaine, son penchant à se rassembler derrière un chef, vus à travers le regard d'un enfant, prennent ici une dimension supplémentaire, et bien peu nombreux son ceux, sur la route qui mène Michou à la vengeance, qui respirent encore la bonté. Ce petit bonhomme qui prend la misère humaine en pleine figure et ne veux pas plier, empli de ses exigences d'enfance, de son intransigeance, de son absence d'arrières pensées, de préjugés, est exemplaire, et l'analyse d'Amila n'en apparaît que plus sombre...
Bien sûr, l'église, béquille de l'armée, en prend elle aussi pour son grade lorsqu'elle enjoint les orphelins à prier pour les morts au champ d'honneur, ou pour que le virus de la grippe espagnole les épargne. Deux institutions "jumelles" qui transforment la guerre, l'ignominie, en victoire, oubliant les cadavres dans la boue, les squelettes blanchis, les estropiés, les gazés, les infirmes, transformant les revenants en héros médaillés :
Mais on ne bêtifie pas impunément, surtout devant des mômes.
Une œuvre puissante, haletante, sans illusion, dont l'intensité et l'énergie ne faiblissent jamais, et tout à la fois traversée par le regard d'enfance, quand bien même violée.
Indiscutablement indispensable !..
Quelques pistes à explorer, ou pas...
Le père de Jean Amila fut lui même fusillé à la fin de la première guerre mondiale et sa mère internée pendant que lui-même passait son enfance dans un orphelinat. Beaucoup pensèrent donc, après la parution de ce roman, qu'il s'agissait, entre autre, d'une œuvre autobiographique et rangèrent le père de l'auteur parmi les mutins de 1917.
Jean Amila laissa planer le doute et l'éditeur, au moins dans l'édition de poche, accrédite encore cette "thèse" pourtant erronée. L'histoire (sans majuscule) est moins glorieuse...
Que cette "demi" vérité ne vous empêche pas de lire cet auteur à la colère et à l'indignation intactes, grand pourfendeur de toutes les hypocrisies.
Les dix premières lignes...
La mère était rentrée tard et elle avait directement filé à la cuisine.
Il n'y avait pas de salle de bains et le petit garçon pouvait entendre qu'elle se lavait à l'évier. Il faisait ses devoirs et n'avait pas voulu intervenir, mais il se doutait qu'on baignait encore dans le drame.
Plusieurs fois déjà des commères avaient jeté des œufs pourris ou des immondices sur la Maman. Alors elle revenait toute sale et, simplement, elle lavait sa peau, son linge, sa coiffure (...).
Quatrième de couverture...
Convient-il de condamner un général dont la gloire repose sur le massacre inutile de dizaines de milliers de Poilus et qu'on appelle le Boucher des Hurlus ? Dans les réjouissances de l'Armistice les adultes timorés n'y songent plus guère. Mais quatre mômes de huit à treize ans, au crâne tondu parce que fils de mutins fusillés en 1917, ne pensent qu'à ça. Il y a un monumental assassin intouchable qu'il faut juger et exécuter. Et ils s'y mettent.
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...