Agullo - Août 2024
Tags : Roman noir Roman historique Quidam Liban Années 1980 Plus de 400 pages
Publié le : 04 janvier 2025
1975, le chaos s’installe au Liban alors que vingt ans plus tôt le pays était le symbole vivant que le multiculturalisme pouvait exister. À Beyrouth, un bus rempli de civils palestiniens a été pris pour cible par les milices chrétiennes. Un véritable massacre venu en représailles de l’assassinat d’un des leurs. C’est l’emballement mortifère. Chaque communauté entre en guerre ouverte : les chrétiens menés par la famille Gemayel, les réfugiés palestiniens divisés entre le FDLP et l’OLP de Yasser Arafat, les chiites de la Bekaa ou installés dans le sud, associés au Mouvement National Libanais de Kamal Joumblatt, les pro-Syriens, les pro-Irakiens, les Druzes, les sunnites des grandes villes…
Les Français de l’ambassade s’inquiètent, pensent à évacuer, eux qui ont « construit » ce pays que ses habitants qualifiaient il y a peu de « Suisse du Moyen-Orient ».
Trois personnages finissent par se détacher, qui vous nous accompagner, nous aider à comprendre le drame qui se joue : la famille Nada en premier lieu, affiliée depuis longtemps au clan Gemayel et aux phalanges chrétiennes, le père, Nassim, compagnon de route de Pierre Gemayel qu’il a accompagné jusqu’à la chambre des députés, mais aussi ses fils ; Abdul Rasool al-Amine fait quant à lui partie du camp opposé, les déshérités du sud, déportés dans la banlieue pauvre de Beyrouth, musulman chiite ; enfin, au milieu de la tourmente, Philippe Kellermann, conseiller politique incontournable à l’ambassade de France et fin connaisseur de la complexité libanaise.
Chez les Nada, Michel, le benjamin, ne souhaite pas participer aux combats, au grand désarroi de ses frères Charles et Édouard plus enclins à guerroyer, mais plutôt rejoindre Paris pour y trouver des appuis politiques afin de soutenir la cause. Avec l’assentiment et l’argent de son père, il rejoint la France et se rapproche d’un clan qui « monte », celui de Jacques Chirac, de ses éminences grises que sont Marie-France Garaud et Pierre Juillet, mais aussi de son homme à tout faire, Charles Pasqua.
Kellermann est resté autant que possible à Beyrouth après la fermeture de l’ambassade, mais devant les horreurs et les massacres, il s’est convaincu que sa place n’était plus là-bas. De retour à Paris, il retrouve femme et enfants et se rapproche des socialistes de Mitterrand et notamment de Roland Dumas qui pressent l’intervention d’Israël au sud Liban et souhaite s’entourer d’experts pour mieux comprendre la situation.
Abdul Rasool al-Amine est devenu chef d’une milice, mais les chiites refusent toujours de s’engager dans un combat qui, de leur point de vue, ne concerne que les chrétiens, les Palestiniens, leurs soutiens respectifs, et Israël qui en a profité pour envahir le sud du Liban.
Le regard des chiites se porte ailleurs, du côté de l’Iran où le shah vacille et où un certain Khomeini mène la révolte dans son pays depuis l’Irak, porteur d’espoir pour ses co-religionnaires.
Frédéric Paulin poursuit et enrichit avec Nul Ennemi comme un Frère son œuvre de vulgarisation historique, comme une tentative de rendre intelligible certains chaos qui traversent et agitent notre monde. Après s’être attelé à la montée du terrorisme islamiste en France et dans le monde dans la trilogie Benlazar, il s’engage dans un nouveau triptyque autour du Liban.
Ce premier volet couvre la période qui s’étend de 1975 — soit le début d’une nouvelle guerre civile dans ce pays charnière du Moyen-Orient — jusqu’en 1983, les massacres de Sabra et Chatila et les attentats contre les forces militaires françaises présentes sur place.
Frédéric Paulin renoue avec le procédé si efficace qui a fait le succès de ses précédents romans. Il s’appuie sur des faits réels, connus de tous, sur une solide et impressionnante documentation, et crée quelques personnages de fiction qui vont lui permettre de mettre en scène ces faits historiques, de les mettre en perspective, de les expliquer autant que faire se peut. On notera que la citation d’Ernest Hemingway, placée en exergue, et sans aucun doute encadrée au-dessus du bureau de l’auteur, l’affirme mieux que tout autre :
« Le degré de fidélité à la réalité doit être si élevé que ce que l’écrivain invente à partir de ce qu’il connaît doit former un récit plus vrai que ne le seraient les faits exacts. »
Il y a comme une urgence dans l’écriture de Frédéric Paulin ; le récit se déroule dans un souffle continu, sans véritable coupure, et il faut parfois s’accrocher pour suivre, garder toute sa concentration. Il faut bien reconnaître que la situation est plus que complexe, mais l’auteur est là pour replacer les pièces sur l’échiquier.
C’est un regard global sur les événements qui ont secoué le Liban, mais aussi une vision à travers un prisme français. Entre 1975 et 1983, la France a vécu l’alternance politique, et si les liens entre les deux pays sont profonds et lointains, les stratégies entre la droite de Giscard, voire de Chirac, et la gauche de Mitterrand divergent. C’est aussi ce que met en lumière Frédéric Paulin.
Lecture exigeante, mais essentielle, Nul Ennemi comme un Frère prouve une fois encore toutes les qualités d’un auteur qui, au fil de son œuvre, prend une place à part dans le paysage de la littérature noire.
Et si vous n’avez jamais rien compris au bordel qui agite le Liban depuis si longtemps, au moins vous saurez désormais pourquoi.
Une dernière chose : si ce sont les hommes qui se battent chez Frédéric Paulin, ce sont les femmes qui tiennent la baraque et à qui il réserve souvent le plus beau rôle.
Quelques pistes à explorer, ou pas...
On sait déjà que le second volet de cette trilogie libanaise paraîtra chez Agullo le 26 février 2025 et s’intitulera Rares ceux qui Échappèrent à la Guerre.
On a hâte…
Les dix premières lignes...
Ô mon frère chrétien, ô mon ami druze, ô mon voisin sunnite ou chiite, ô mon hôte palestinien, vois ce pays qui est le tien.
Vois ces enfants qui jouent dans la poussière de ce champ derrière les maisons de leurs parents. Autour d’eux s’étend cette vaste plaine de la Bekaa, cette longue bande de terre fertile où l’on récolte les figues, les abricots, les tomates, tous les fruits et légumes et le vin du Liban. Ce lieu où l’on vivait heureux.
Ces enfants qui courent, qui frappent dans un ballon dégonflé, et qui rient, ne savent pas qu’avant eux Égyptiens, Phéniciens, Assyriens, Grecs ou Romains ont vécu ici, entre le mont Liban et le mont Hermon, sur les rives du Litani et de l’Oronte. Ils ne savent pas que cette terre prospère a accueilli, depuis l’Antiquité, les peuples persécutés. Qui le sait encore ?
Car la plaine de la Bekaa est à l’image du pays : un mélange communautaire et confessionnel de gens nés au Liban ou venus de l’étranger. Les chrétiens au centre et au nord, les Druzes au sud-est, les chiites non loin de Baalbek, les sunnites plus au sud. Et puis les Arméniens à Anjar et les Palestiniens à Baalbek et à Barr Elias. Des gens qui espéraient vivre en bonne intelligence, en fraternité.
Quatrième de couverture...
Beyrouth, 13 avril 1975. Des membres du FPLP ouvrent le feu sur une église dans le quartier chrétien d’Ain el-Remmaneh. Quelques minutes plus tard, un bus palestinien subit les représailles sanglantes des phalangistes de Gemayel, inaugurant un déferlement de violence sans commune mesure qui dépassera bientôt les frontières du Liban et du Proche-Orient.
Michel Nada part alors pour la France, où il espère rallier la droite française à la cause chrétienne. Édouard et Charles, ses frères, choisissent la voie du sang. Dans la banlieue sud de Beyrouth, Abdul Rasool al-Amine et le Mouvement des déshérités se préparent au pire pour enfin faire entendre la voix de la minorité chiite.
À l’ambassade de France, le diplomate Philippe Kellermann va, comme son pays, se retrouver pris au piège d’une situation qui échappe à tout contrôle.
Mais comment empêcher une escalade des tensions dans un pays où la guerre semble être devenue le seul moyen de communication ? La France de Giscard et de Mitterrand en a-t-elle encore seulement le pouvoir, alors qu’elle se voit menacer au sein même de son territoire ?
Première partie du projet le plus ambitieux de Frédéric Paulin à ce jour, Nul Ennemi comme un Frère retrace les premières années de la guerre du Liban.
Sa trombine... et sa bio en lien...
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