Métailié - Septembre 2004
Tags : Roman noir Crime organisé Corruption Avocat France Années 2000 Moins de 250 pages
Publié le : 28 mai 2024
Christophe Leibowitz est avocat. Il a fait son droit comme on envoie parfois un gauche, à l’aveuglette, et ce n’est qu’avec son professeur et mentor qu’il a trouvé sa voie.
– Tu perds ton temps à écouter les grands bourgeois français qui plaident au subjonctif et qui comparent leurs chevalières à celles des présidents de chambre ; ce n’est pas là qu’un Christophe Leibowitz-Berthier doit chercher son style. Si tu veux gagner plein d’argent, il faut que tu sois un gros métèque méchant qui plaide avec la même niaque qu’un chien qui crève de faim. Tu verras, ça vient tout seul.
Pour l’heure, il est en prison, avec un de ses potentiels clients, un Albanais à qui il tente de faire découvrir L’Éducation Sentimentale de Flaubert alors que ce dernier parle à peine quelques mots de français et a la sensibilité d’une batte de base-ball.
Hannelore Cayre, en dehors d’écrire des polars, exerce le métier d’avocat ; elle maîtrise donc intimement le sujet de son premier roman. On sait qu’à cette occasion, certains auteurs ont tendance à raconter leur propre vie ; on espère juste qu’il ne s’agit ici que d’une inspiration.
On peut aisément le croire puisque si le narrateur est bien avocat, il est du genre masculin, mais avant tout, c’est le tableau dépeint qui fait mal à la profession. Loin des effets de manche et des grandes plaidoiries, on se retrouve plutôt du côté de l’arrière-cuisine du palais de justice, au pays des magouilles et des arrangements peu glorieux.
Christophe Leibowitz est d’un cynisme à toute épreuve, sans doute est-ce le métier qui veut ça, en tout cas sous sa forme pénaliste.
— C’est toute cette merde, le pénal. Quand tu es commis d’office sur des affaires criminelles, c’est pour des trucs bien crades, je te l’accorde, mais c’est surtout pour des gens qui n’ont pas un rond. C’est très moral, ça, l’État qui te paye pour défendre le pécheur. Ça te permet de ne pas être directement en affaire avec. C’est confortable. Mais celui qui vit du pénal, qui en vit vraiment, c’est celui qui est choisi comme avocat par des ordures cyniques et riches comme celles dont je t’ai parlé. C’est celui qui accepte de prendre du fric de leurs mains pour nettoyer leurs chiottes et qui dit merci. Lakdar, il n’est pas secrétaire de la conférence comme toi et il plaide comme un pied ; pourtant il est richissime alors qu’il a dix ans de moins que nous.
— Et tu l’admires ?
— Non, je le trouve con comme une bite. Mais je ne veux pas que tu te mentes à toi-même et surtout je ne veux pas que tu me juges ou que tu te foutes de ma gueule lorsque je te dis qu’il n’y a pas que l’argent qui m’a poussé dans cette galère. C’est un métier gerbant que je n’avais fait qu’entr’apercevoir avant de travailler à ses côtés et ce n’est pas les proxos que je défendais pour deux mille euros qui changeaient les choses. Mais quand tu te fais payer comme lui tous les mois un fixe de dix mille euros pour être là seulement au cas où, pour un type qui balance des fûts de dioxine à la gueule des gosses africains, là, tu fais vraiment du pénal.
Commis d’Office est aussi l’occasion de passer de l’autre côté de la barrière, ou des barreaux en l’occurrence, puisque Leibowitz fait un séjour en prison. Et Hannelore Cayre, avec son franc-parler et a plume acerbe, de décrire avec la même férocité quelques facettes insoupçonnées de l’univers carcéral.
Huit heures.
Un prisonnier nous sert un petit-déjeuner : une miche de pain et une chicorée froide. Pas de café, ça énerve. Il est à noter que la quantité de pain est toujours la même depuis le XIXe siècle : quatre cents grammes par détenu. Je cantine de la confiture de myrtilles, pas en pot de verre : ça coupe.
Mais avant toute chose, ce premier roman aussi court que percutant est une charge virile envers certaines formes du métier d’avocat. Qui aime bien châtie bien dit le proverbe ; Hannelore Cayre l’écrit en long, en large, pour montrer avec brio que parfois tout va de travers dans le monde de la justice.
Quelques pistes à explorer, ou pas...
En 2009, Hannelore Cayre signe elle-même l’adaptation et la réalisation du film éponyme tiré de son roman. Dans le rôle de l’avocat : Rochdy Zem.
Le personnage de Christophe Leibowitz m’a rappelé d’emblée celui concocté par William Lashner pour ses romans (Les Prévaricateurs ou Vice de Forme notamment) : l’avocat Victor Carl.
Ces deux-là partagent non seulement le même métier, mais aussi le même cynisme.
Les dix premières lignes...
Frédéric Moreau, nouvellement reçu bachelier, s’en retournait à Nogent, où il devait languir pendant deux mois avant d’aller faire son droit.
— Raconte-moi.
J’essaye de faire comprendre à mon ami le proxo que mon albanais est trop rudimentaire pour lui raconter un livre dans lequel il ne se passe rien.
— C’est en 1840.
— Et alors ? fait-il, vexé.
Il croit que je le snobe et il boude.
Je me lance dans une traduction libre à partir de la centaine de mots qu’il m’a appris depuis que je partage sa cellule. De toute façon, il n’y a rien de mieux à faire. Aujourd’hui, il pleut si fort dehors qu’il est impossible de sortir en promenade.
— Un homme voit un jour femme qui est mariée et il aime femme qui est mariée et il attend toute sa vie femme.
— Elle s’appelle comment ?
— Mme Arnoux.
Il réfléchit et digère l’information en dodelinant de la tête.
— Et qu’est-ce qui se passe ?
— Rien. Il a mal pendant sa vie qui passe. Il ne fait rien (…)
Quatrième de couverture...
Comment Christophe Leibowitz, avocat revenu de tout, loin des belles affaires d’Assises dont tout le monde parle, éternel commis d’office à la défense de délits minables, est-il enfin parvenu à être satisfait de son sort ? Est-ce parce qu’il occupe ses journées à convertir avec une patience extrême un proxénète albanais à la lecture de L’Éducation Sentimentale derrière les barreaux de la prison de Fresnes ? Ou est-ce parce que son nom s’étale en première page aux côtés de celui de l’ennemi public numéro un ? La justice au quotidien, des personnages surprenants, une intrigue solide, des situations cocasses pour un premier roman qui s’impose immédiatement par son rythme et un ton original et rapide.
Sa trombine... et sa bio en lien...
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