Albin Michel - Janvier 2024
Tags : Polar politique Polamour Quidam France Entre 250 et 400 pages
Publié le : 20 mars 2024
Mano vit dans une caravane au sein d’une communauté qui a préféré se retirer en lisière de la société dans un village perdu au bout du monde. Son ami John, un vieil Anglais, vient de la prévenir qu’au café du bourg, une femme a demandé après elle. Mano s’agite et se rend vite à l’évidence : c’est son passé qui ressurgit. Il ne peut s’agir que d’Axelle.
Vingt-cinq ans plus tôt, elles ont participé à un braquage qui a mal tourné ; un flic a été abattu. Axelle et quelques complices ont été arrêtés, jugés, emprisonnés. Mano, elle, a disparu.
Elles se sont rencontrées dans une boîte de nuit pour étudiants friqués ; Mano en tenait le bar, un boulot comme un autre ; Axelle, la rebelle, s’y était aventurée à contrecœur en accompagnant quelques copines prêtes à sourire pour un verre offert. Ce fut comme un coup de foudre, une évidence pour elle, même si Mano, trop occupée, la remarquait à peine. Qu’importe, ce serait pour une autre fois.
La connexion établie, elles se transforment en activistes révolutionnaires au sein d’un groupuscule d’extrême gauche, rédigeant puis distribuant des tracts appelant à la révolte, participant aux altercations musclées avec les ennemis jurés du GUD. La réforme Juppé est à l’ordre du jour, le Mur de Berlin est tombé il y a quelques années ouvrant une voie royale au néolibéralisme. L’heure est à la révolte…
À travers ses deux personnages féminins, Axelle et Mano, à travers leurs récits subtilement conjugués dans le temps, c’est avant tout une belle et sombre histoire d’amour qui se joue sous nos yeux, depuis la montée du désir de l’autre, jusqu’au dénouement.
Le sort a éloigné ces deux-là qui pourtant s’étaient trouvées, différentes et complémentaires, comme les deux faces d’une même médaille. Leur amour naissant, grandiose, écrasé sous le poids de la réalité, brimé par la séparation, mais toujours intact, perdurant à travers les années malgré l’absence de l’autre.
Axelle, emprisonnée, condamnée à une lourde peine pour avoir tué un flic, s’exprime à la première personne, au présent. Elle raconte l’univers carcéral, la colère qui ne la lâche pas, les colères. Envers l’injustice du monde, envers la société, envers ses parents, envers les flics, envers les renoncements.
Il n’y a pas beaucoup de jeunesse dans ce village figé, charmant comme une carte postale. Face à leurs têtes d’ennui, ils ont envie de faire des choses folles, les sortir de leur immobilisme, de leur fossilisation. Leur tranquille acceptation du monde les étonne, les désespère aussi un peu. Axelle tente d’y lire un apaisement mais ça ne marche pas, elle a envie de faire des étincelles, se déshabiller, crier, leur faire tourner la tête et déformer la bouche, les secouer. En ville aussi, ce genre de tentations la traverse parfois mais dans ce petit village de montagne, c’est pire. On dirait que la marche du monde, quelle qu’elle soit, n’a de prise sur personne. Eux, ils ont besoin de bruit et d’explosions, de vitesse et d’engouements, Axelle encore plus fort que les autres, peut-être.
Mano, brisée, raconte à la troisième personne, son amour perdu, sa solitude, son errance alors qu’elle ne peut plus atteindre Axelle. Quelque part, elle aussi est en prison. Les barreaux sont ceux qu’elle dresse autour d’elle, s’empêchant de vivre.
Nos Armes aurait pu se contenter ce cette histoire d’amour fou, intense, entretenu à travers le temps et l’espace, mais Marion Brunet n’a pas pour habitude de pratiquer la bluette. L’amour est ici douloureux, et si la cruelle expérience de la prison décrite par Axelle vient encore assombrir le propos, le roman prend aussi un tournant politique dans la description de la jeunesse qui vit ses vingt ans au milieu des années quatre-vingt-dix, dans l’effondrement des perspectives, la renaissance des injustices, et les moyens de les combattre. Avec quelles armes.
Manon Brunet décrit, avec toute la sensibilité et la finesse qu’on lui connaît, non seulement le bal des sentiments, mais aussi la fougue de la jeunesse, son impatience, sa colère, ses combats. C’est beau. C’est fort, touchant, émouvant, poignant parfois, admirablement construit et écrit. Merci pour cette offrande.
Quelques pistes à explorer, ou pas...
Parmi les romans qui mêlent jeunesse et politique, La Nuit Tombée sur nos Âmes, de Frédéric Paulin, est un excellent détour qui revient sur la violence entourant le sommet altermondialiste de Gênes en marge du G8.
Quant à Jean-Patrick Manchette, il interroge de même la jeunesse — celle des années soixante-dix — sur l’action violente dans son roman Nada.
Et pourquoi pas, à la lisière, Pierre Brasseur et son Attentifs Ensemble
Les dix premières lignes...
Une femme la cherche au village. C’est son ami John qui la prévient, avec son accent impossible, derrière sa barbe buissonnière. Ses yeux bleu pâle font semblant de ne pas observer, de ne pas insister, mais Mano sait très bien qu’il aimerait en savoir plus. Qu’elle lui explique, lui raconte. Elle ne dit rien, met de l’eau à chauffer sans trembler.
— À quoi elle ressemble ?
— Maigre. Petite.
Mano sourit, incapable de réfléchir. Le chuintement de l’eau qui bout absorbe son regard, perdu dans les petites bulles brûlantes qui lèchent les parois en inox.
— Comment tu sais que c’est moi qu’elle cherche ?
— Elle a demandé après toi, avec ton nom complet.
— Tu lui as parlé ?
Il lève les yeux sur elle, secoue la tête, son regard grimpe aux arbres par la fenêtre de la caravane. Mano coupe le gaz, saisit la casserole à deux mains, verse doucement dans une théière en fonte, lourde comme un parpaing. L’eau recouvre une mixture de feuilles sèches qui révèlent soudain leur odeur de forêt. Les gestes lui permettent de repousser le moment d’être inquiète, celui de comprendre…
Quatrième de couverture...
1997. Mano et Axelle, aussi passionnées que révoltées, évoluent dans le milieu engagé et militant d’une ville étudiante. Exaltées par leurs idéaux, entourées par un groupe soudé, elles rêvent d’un autre ordre social tout en laissant naître entre elles un amour fou. Jusqu’au jour où elles participent à un braquage qui tourne mal : l’une tue un policier et écope d’une lourde peine de prison, l’autre parvient à s’échapper.
Vingt-cinq ans plus tard, dans la campagne où elle a posé sa caravane, Mano attend, bouleversée, car une femme la cherche. Est-ce la possibilité de retrouvailles si longtemps rêvées ou le moment de solder les comptes ?
En explorant le destin brisé de deux jeunes femmes en quête d’amour et de justice, Marion Brunet excelle une fois de plus à raconter l’intime au cœur de la société par la grâce de son écriture sensible et juste.
Sa trombine... et sa bio en lien...
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