Demain c'est Loin

Jacky Schwartzmann

Seuil Policiers - Octobre 2017

Tags :  Polar social Comédie Quidam France Années 2010 Humoristique Moins de 250 pages

Edition originale

Un avis personnel...

Publié le : 15 décembre 2024

François Feldman — non, pas le chanteur — a grandi à Villeurbanne dans la cité des Buers. Par imprégnation, il en a épousé tous les codes : il est devenu un Arabe, dans sa tête. Un Arabe avec un nom juif.
François tente de se débrouiller, mais reste plutôt du genre galérien côté réussite, comme avec son magasin de tee-shirts customisés à l’humour bancal qu’il a ouvert à Lyon. Jusqu’au jour où l’idée de génie lui arrive tout droit de son coiffeur, Fouad : offrir de la terre du bled à tous ces pauvres Algériens qui ne peuvent enterrer leurs morts au pays. Sauf que sa banquière, Juliane Baccardi, ne veut pas le suivre et qu’il va lui falloir trouver d’autres sources de financement.
François se retourne donc vers ses anciens potes des Buers. Dino, absent, joue les gigolos au Luxembourg (cf. Pension Complète, du même auteur), mais Saïd est toujours sur place, installé en tant que dealer et caïd local.
La combine ne l’intéresse pas, voire elle le choque. Jouer avec les morts, c’est haram. Et la catastrophe arrive, un fil en aiguille difficile à résumer, mais parfaitement orchestré. François se retrouve en cavale avec sa banquière, et un Saïd, très énervé, aux fesses.

Jacky Schwartzmann connaît les ressorts de la comédie, il les a même quasiment théorisés dans son roman :

Plongez deux ennemis jurés dans une situation bien bordélique, mettez-les en danger, forcez-les à devoir s’en sortir ensemble, et ils développeront une nouvelle relation basée sur la confiance. C’est exactement ce qu’on nous avait fait, à Juliane et à moi, quand on y réfléchit. Tels deux rats de laboratoire, on nous avait balancés dans le même labyrinthe avec un seul bout de comté à partager et des chats qui nous cherchaient pour nous gober tout crus.

Le duo est en place : deux personnages que tout oppose, deux milieux qui n’étaient pas faits pour se croiser. On sait que l’auteur a connu cette dichotomie, que son enfance a été « bercée » autant par un environnement prolétaire que petit-bourgeois. Il y puise de quoi donner la saveur de l’authenticité à son regard et ses mots souvent caustiques.

Si le ton et la forme sont ceux de la comédie, par ailleurs parfaitement maîtrisés, ils n’empêchent pas l’auteur de glisser dans son récit quelques réflexions et observations plus sérieuses sur notre société, et notamment sur l’évolution des populations de banlieue. François Feldman en est le digne représentant pour y avoir, comme l’auteur, baigné un certain temps. Il en connaît les usages, les codes.

À mon époque ceux qui parlaient de viande halal étaient considérés comme des intégristes relous et les Arabes n’avaient que deux handicaps alimentaires : le porc et le ramadan. Dorénavant, c’était plus la même. Les barbus pullulaient. Ils avaient le regard mauvais et hautain, ils étaient sûrs de leur bon droit et étaient, à ce titre, un brin prétentieux. Ils ne me dérangeaient toutefois pas plus que ça. Ils étaient juste là, à ne pas faire grand-chose, à surveiller que leurs femmes ninjas ne soient pas en train d’allumer d’autres hommes et à élever leurs fils dans la voie de la misogynie. (…) Quand on décide de se balader en robe avec une barbe de vingt centimètres et le regard noir d’un poseur de bombes, on ne s’attend pas à ce qu’un recruteur s’intéresse à notre profil. Pareil pour leurs épouses : quand on décide d’évoluer en burka, on se doute bien que même le Lidl ne nous prendra pas comme caissière.
(…) Leur apparence n’est que leur ultime message possible, le seul doigt d’honneur qu’ils peuvent faire à la France. Ils ont essayé tout le reste avant et ça n’a pas marché. Leurs grands-parents ont bossé, ils sont restés dans la cité. Leurs parents ont fait des études, ils sont restés dans la cité. Ils en ont tiré les conclusions qui s’imposent et se sont rétrécis sur eux-mêmes et sur leur culture.
(…) Ce qui est certain c’est qu’ils n’aiment pas spécialement la France, ils sont là parce que bien obligés, ils sont là parce qu’ils sont nés là, mais le cœur est ailleurs, le cœur est dans un bled fantasmé. Ils souffrent d’une mélancolie géographique, d’un pays qu’ils ne connaissent pas si bien, celui de leurs parents. Ils ne sont plus de là-bas et ils ne seront jamais d’ici. Essayez de vivre dans un no man’s land, vous, et on en reparlera. Ce qui est certain aussi, c’est que tant qu’ils resteront dans leur accoutrement de carnaval un peu glauque ils n’auront ni taf ni avenir.

Le constat posé, la comédie reprend ses droits. Jacky Schwartzmann n’est pas un donneur de leçons, il décrit ce qu’il pense avoir vu, puis retourne à un peu plus de légèreté. Avoir la tête dans les étoiles n’empêche pas d’avoir les pieds sur terre.
La cavale de François et de sa banquière est aussi farfelue que logique, aussi improbable que cohérente. La ligne de crête est fragile, mais l’auteur arrive à ne pas pousser le bouchon trop loin et à trouver le fragile équilibre des comédies réussies.
Il le fait d’ailleurs dans un format « ramassé » (en moins de deux cents pages) qui assure l’efficacité de l’entreprise et s’avale d’une traite. Aucun risque d’indigestion.


Vous avez aimé...

Quelques pistes à explorer, ou pas...

Sans en être vraiment une suite, Pension Complète reprend comme base de départ un des camarades d’enfance de François Feldman pour une aventure qui, bien que totalement indépendante, reprend le ton adopté ici.

Le début...

Les dix premières lignes...

Je m’appelle François Feldman, comme l’aut’ con. Mais je suis pas chanteur. Et je suis pas juif. Depuis toujours quand je dis mon nom on me demande : « Comme le chanteur ? » Quand je suis énervé je réponds : « Pis ta mère, tapette ? » Et quand je suis calme je dis que oui, c’est mon oncle. Là, les gens ne savent plus quoi dire et ils sourient bêtement. Ils sont écrasés par le poids de la célébrité et ils me regardent autrement. Sinon, on me demande souvent si je suis juif. « Feldman, Feldman… c’est juif, non ? » Quand je suis énervé je réponds : « Pis ta mère, tapette ? » Et quand je suis calme je dis que oui, je suis feuj. Gros silence. Les gens n’ont rien contre les juifs mais ils n’aiment pas être avec eux, ils ignorent ce qu’il faut dire ou ne surtout pas dire, ils sont comme des cons et c’est ça qu’ils n’aiment pas : être comme des cons. Moi les juifs je m’en fous, comme je me fous des Japonais. Ils ont des mœurs et des fringues pourries, ils mangent bizarrement, mais à part ça, ça va. Ils servent à rien, quoi, c’est tout…


La fin...

Quatrième de couverture...

« J’avais un nom de juif et une tête d’Arabe mais en fait j’étais normal. » Voici François Feldman, originaire de la cité des Buers à Lyon, plus tout à fait un gars des quartiers mais n’ayant jamais réussi non plus à se faire adopter des Lyonnais de souche, dont il ne partage ni les valeurs ni le compte épargne. Il est entre deux mondes, et ça le rend philosophe. Juliane, elle, c’est sa banquière. BCBG, rigide et totalement dénuée de sens de l’humour, lassée de renflouer le compte de François à coups de prêt. « Entre elle et moi, de sales petites bestioles ne cessaient de se reproduire et de pourrir notre relation, ces sales petites bêtes contre lesquelles nous ne sommes pas tous égaux : les agios. » Mais le rapport de force va s’inverser quand, un soir, François lui sauve la mise, un peu malgré lui, suite à un terrible accident. Et la banquière coincée flanquée du faux rebeu des cités de se retrouver dans une improbable cavale, à fuir à la fois la police et un caïd de banlieue qui a posé un contrat sur leurs têtes. Pour survivre, ils vont devoir laisser leurs préjugés au bord de la route, faire front commun. Et c’est loin d’être gagné.


L'auteur(e)...

Sa trombine... et sa bio en lien...

Jacky Schwartzmann










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Du même auteur...

Bibliographie non exhaustive... Seuls sont indiqués ici les ouvrages chroniqués sur le site.

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