Sonatine - Janvier 2024 - Traduction (anglais) : Pierre Szczeciner
Tags : Thriller Roman d'enquête Polar social Discrimination Serial Killer Flic Amérique profonde Années 2020 Plus de 400 pages
Publié le : 28 février 2024
La seule différence (entre vous), c’est que toi, t’es noir, et lui, il est raciste.
Charon est une petite ville de Virginie, dans le sud des États-Unis, plutôt calme depuis quelque temps, mais les choses changent vite et les vieux démons ressurgissent toujours. Ce matin-là, Titus Crown, ancien agent du FBI et premier shérif noir du canton, est appelé d’urgence : un forcené s’est introduit dans le lycée.
Lorsqu’il arrive sur place avec ses collègues, c’est pour constater la débandade : tout le monde cherche à fuir l’établissement et il semble qu’il y ait déjà un mort. Un homme armé sort, que Titus reconnaît. Il s’agit du fils d’un ancien camarade de classe, Latrell, un peu paumé, un peu junkie, qui semble en plein délire.
Titus tente de parlementer, mais d’un seul coup, tout dérape, et le jeune homme s’élance et finit criblé de balles.
C’est le professeur Spearman, sans doute un des préférés du lycée, qu’a tué Latrell avant d’être abattu, mais avant de se ruer sur les flics, dans son délire, il a parlé du téléphone du prof, qu’on y trouverait des réponses. Avant d’envoyer les deux corps à la morgue, Titus a pris soin de récupérer l’appareil.
La Virginie est un état rural où flotte encore le drapeau des confédérés, où la ségrégation n’existe plus dans les faits, mais encore dans les têtes. Noirs d’un côté, Blancs de l’autre, avec en prime le racisme ordinaire (endémique), le populisme, quelques suprématistes, un semblant de misère économique et des ravages liés à la consommation de drogues.
Un Afro-Américain abattu par deux policiers blancs sous les ordres d’un shérif noir, voilà de quoi retourner toutes les consciences et attiser toutes les haines. Mais en explorant le téléphone de la victime puis en fouillant chez lui, Titus découvre des horreurs, des scènes de pédocriminalité, des tortures, des assassinats. Latrell était complice, mais sous influence et les vidéos et photos saisies révèlent l’existence d’un troisième homme, toujours masqué…
Là où S.A. Cosby excelle, c’est dans la description fouillée d’une petite ville de Virginie, rongée par le poids du passé ségrégationniste et raciste qu’ont connu les états américains du sud. La séparation des Noirs et des Blancs est ancrée dans tous les esprits, apprise dès le plus jeune âge, vécue dans la chair, pour ainsi dire tatouée. Elle traverse les vies, les institutions, même les églises, qui prient pourtant le même Dieu.
Le personnage de Titus Crown, au cœur du roman, est observé sous toutes les coutures : en tant que noir, en tant que shérif noir dans un état raciste du sud, en tant que fils, en tant que frère, en tant que mari, en tant qu’ex-amant. Même son passé traumatisant, personnel ou professionnel, est mis à contribution. Il agit comme le révélateur de tous les dysfonctionnements.
Il avait fait le choix de vivre dans un no man’s land entre les gens qui croyaient en lui, les gens qui le haïssaient à cause de sa couleur de peau, et les gens qui le voyaient comme un traître à sa race.
Cette partie du roman est plutôt bien construite, agréable, voire instructive dans sa manière de présenter les choses. Je suis moins convaincu par l’aspect thriller du roman. Qu’un crime soit commis, soit. Qu’une enquête soit menée pour servir le récit, oui. Mais pourquoi aller vers la surenchère, même diffuse ? Pourquoi avoir intégré au récit un tueur en série machiavélique digne d’une tête de gondole ? On se retrouve avec un récit à double facette, l’une n’étant pas en concordance avec l’autre. Dommage de gâcher l’ensemble qui recèle pourtant de belles envolées :
À l’image des gens qui les peuplent, les petites villes sont pleines de secrets. Secrets de la chair, secrets du sang. Serments cachés et promesses murmurées qui se transforment en mensonges aussi vite que le lait caille sous un chaud soleil d’été.
Dans le Sud, le mythe de Main Street, la fameuse rue principale censée représenter l’âme de chaque ville, est un pur fantasme. L’âme d’une ville se trouve sur les routes secondaires au bitume craquelé, sous un ciel chargé de nuages. Elle se trouve sur la banquette arrière d’une Buick rongée par la rouille et sur le plateau d’un pick-up délabré. Le cœur du comté de Charon bat au rythme des spirituals qui emplissent les églises tous les dimanches matin, mais son âme est une vérité qu’il faut extraire de la sueur des amants adultères et du sang qui coule du nez de la présidente de l’association des parents d’élèves, après que son mari a encore un peu trop forcé sur la boisson. Une vérité dissimulée derrière les numéros de série des billets de dix et vingt dollars que les enfants chéris de Charon échangent contre les échantillons de quiétude qui les enverront au pays des rêves, la bave aux lèvres.
L’âme de Charon danse parmi les vapeurs du poêle à pétrole qui suspend à jamais la respiration d’un père, d’une mère et d’un petit garçon dans un mobile home glacé.
Quelques pistes à explorer, ou pas...
Les Américains savent très bien s’emparer des oubliés du progrès. Ils ont cette faculté d’observer et de décrire une société qui dérape, et ceux, abandonnés sur les bas-côtés, qui la composent et se rendront bientôt dans les bureaux de vote.
Quelques exemples récents avec des approches différentes : Jax Miller et Les Lumières de l’Aube, Les Affreux de Jedidiah Ayres, ou encore l’excellent Chris Offutt avec Les Gens des Collines.
Les dix premières lignes...
Le comté de Charon avait été fondé dans le sang et l’obscurité.
Au sens propre comme au figuré.
Charon. Le nom même était associé aux ombres et à la mort. Selon la légende, le comté aurait dû s’appeler « Charlotte » ou « Charles » mais, comme les deux étaient déjà pris lorsque les anciens s’étaient enfin décidés à baptiser leur jeune colonie, ils avaient continué à parcourir la liste alphabétique des patronymes jusqu’à ce qu’ils tombent sur celui de Charon. De toute évidence, ces hommes à la peau tannée comme du cuir et aux mains mutilées par une vie de labeur n’étaient pas superstitieux. À moins qu’ils aient opté pour ce nom parce que la rivière qui traversait leur région pour se jeter dans la baie de Chesapeake leur évoquait le Styx.
Qui pouvait bien savoir ce qui était passé par la tête de ces colons morts depuis plusieurs siècles ?
Quatrième de couverture...
Le Sud n’a pas changé. Ce constat, Titus Crown y est confronté au quotidien. Ancien agent du FBI, il est le premier shérif noir à avoir été élu à Charon, la terre de son enfance. Si son élection a fait la fierté de son père, elle a surtout provoqué la colère des Blancs, qui ne supportent pas de le voir endosser l’uniforme, et la défiance des Noirs, qui le croient à la solde de l’oppresseur. Bravant les critiques, Titus tente de faire régner la loi dans un comté rural frappé par la crise des opioïdes et les tensions raciales. Jusqu’au jour où Latrell, un jeune Noir, tire sur M. Spearman, le prof préféré du lycée, avant de se faire abattre par la police. Fanatisme terroriste, crient les uns. Énième bavure policière, ripostent les autres. À mesure que les dissensions s’exacerbent, Titus se retrouve lancé dans une course contre la montre pour découvrir la vérité.
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...