Gallimard / Série Noire - Mai 1981
Tags : Polar politique Polar militant Journaliste Avocat France Années 1980 Original Argotique Poétique Moins de 250 pages
Publié le : 03 décembre 2008
A.D.G. est un écrivain qui défend un idéal, il truffe ses phrases de considérations sur la politique et de clins d’oeil :
Le commissaire divisionnaire Carteret était mon capitaine à Pau dans les para-putchistes et nous avions conservé de bon rapports. (…) Je savais qu’il œuvrait maintenant à la D.S.T. côté factieux, c’est-à-dire de ceux qui supportaient mal le laxisme et la lâcheté ambiants.
Ou encore :
Maigret et sa pipe, Columbo son imperméable, Machin lui est épris de boisson. C’est dans l’éthylisme qu’il puise sa force de caractère pour survivre dans un monde qui pourchasse l’élitisme. Machin, comme moi, n’est pas trop démocrate et nous noyons volontiers dans l’alcool ces opinions qu’on accuse de la rage.
Et aussi plus loin aux abords d’une cité hachélème et d’un abattoir :
Une voie de chemin de fer terminée par un butoir aux yeux rouillés longeait une pelouse crotteuse. Entre les murs concentrationnaires de la maison d’abattage et, plus loin, un autre mur de prison industrielle mais cette fois-ci où l’on abattait des hommes à la chaîne, un gros tas oublié de traverses de ballast servait de fortin à des coboilles de dix ans.
Puisqu’on est dans les exemples continuons un peu avec métaphore, néologisme et politique :
Je voyais très bien et le signifiais d’un mouvement de tête : en dessous de l’ancien camp militaire du Menneton, juste sous le Cher. Autrefois, il y avait plein de petites cabanes maraîchères et sur le champ de manœuvre de l’École du Train, un immense terrain vague alopécique et bosselé comme un crâne de légionnaire, des marigots douteux exprimaient tout un trouble martial. Gosse, j’y allais avec mon grand-père, voir évoluer dans des cratères boueux des ferrailles paléolithique sur chenilles. En contrebas, les abattoirs dégageaient une odeur douçâtre, sournoise qui, se mélangeant avec les gaz d’échappement et les relents d’huile chaude des chars d’assaut reste pour moi inressentie jusqu’à ce jour. Pépère qui était communiste ricanait :
— Boucherie d’un côté, boucherie de l’autre.
Mais comme moi il aimait beaucoup voir des soldats…
Balles Nègres est fortement ancré dans les magouilles post-coloniales et les relations France-Afrique avec clin d’œil à L’Affaire N’Gustro. Il y a une sorte d’intimité qui s’installe entre le lecteur et le narrateur, la chose est sûrement due en grande partie aux personnages habituels du polar de cette époque : la fille seule qui a besoin d’aide parce qu’elle trempe dans une « sale histoire », le héros narrateur et ses points de vue désabusés sur la société, son entourage ; son fidèle acolyte indéboulonnable… les événements qui malmènent le héros pendant les trois quarts du bouquin, puis la prise de position qui en résulte quand il en a marre de se faire balader. En plus du style, on croisera de nombreuses références littéraires et cinématographiques. En musique on écoutera de la disco « insipide comme de la barbe à papa » avec ses « accords pulsatifs sans intérêt » ; de nombreuses allusions à la chanson française : « Je suis pas bien portant », « Mon Légionnaire », « Coccyx dans les près », « J’entends siffler le train », « Retient la Nuit » , « Il est 5 heures, Paris s’éveille », « non rien de rien, je ne regrette rien ». On siffle « La Marche Consulaire » et « La Royale » et de nombreuses métaphores musicales servent l’écriture : les gens, selon les circonstances et les statures, s’expriment comme à l’opéra, ils « mezzo soprano » ou « barytonnnent » ; l’opéra bouffe qualifie la scène finale.
La gouaille d’A.D.G. permet à un scénario assez mince de tenir la route même si sur la fin, la multiplication des clichés racistes devient redondante… Personnages Noirs décris comme des singes, considération de type Noire = Sauvage comme dans ce dialogue où le héros s’exprime ainsi :
Pour une fois Duchâteau, vous allez fermer votre grande gueule et m’écouter. J’ai dit que Jojo Bokaro — et comme vous le méprisez, au fond, alors que lui a des excuses de se conduire en sauvage, mais pas vous — était intouchable, mais ce n’est pas vrai.
A.D.G. est un écrivain nationaliste et réactionnaire et sa prose transpire de ses idéaux. Quoi qu’il en soit (et s’il semble bien que l’œuvre d’A.D.G. soit en dents-de-scie et que Balles Nègres ne fasse pas partie des meilleurs), on retrouve ici la poésie, les jeux de mots, les métaphores, la politique et les héros récurrents d’A.D.G. : Serguei « Machin » Djerbitskine et le narrateur Pascal Delcroix, avocat. L’aventure fait suite à Pour Venger Pépère (Série Noire n°1806) qui a l’air — selon Manchette dans ses Chroniques (Rivages/Noir) — d’être meilleur.
Quelques pistes à explorer, ou pas...
La Marche Truque sans les deux héros récurrents d’A.D.G., et puis Manchette son alter ego d’extrême gauche dans le polar avec L’Affaire N’Gustro (Série Noire) dont il est fait mention dans Balles Nègres.
Les dix premières lignes...
Elle était très belle, très fine et très racée. Élégante aussi dans un tailleur de laine légère, gris souris. Elle se tenait assise très droite dans un de mes fauteuils en cuir, les jambes jointes et en oblique comme le font les femmes bien élevées, on ne sait pas comment elles s’y prennent, ce doit être inconfortable. Toujours est-il que la cheville se cambre légèrement afin que le pied (qu’elle avait chaussé d’escarpins légers à brides) reste à plat sur le sol un peu à gauche tandis que le genou est décentré sur la droite.
— Euh, dis-je, Machin m’a fait voir les coupures de presse, mais j’aimerais entendre votre propre version (…)
Quatrième de couverture...
Pourquoi avait-on tué dans la tranquille Touraine ce mystérieux Eurasien retour d'Afrique ? Qui protégeait ses exécuteurs venus du chaud ? Voilà ce que moi, Pascal Delcroix, avocat, et mon acolyte, Serguie Djerbitskine, dit "Machin", journaliste, avions décidé de découvrir pour les beaux yeux bridés d'une biche aux abois. Et on a plongé en plein pot-au-noir...
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...