Les 400 coups - Mars 2005
Publié le : 30 septembre 2005
Voilà bien l'occasion de découvrir certains auteurs que ce recueil qui
s'élève et s'insurge contre le racisme. La nouvelle est un art
particulier qui tend à l'essentiel, à l'efficacité. Certains n'ont
besoin que de quelques phrases pour atteindre leur but, tel Didier Daeninckx, qui, en vieux briscard, ouvre cette compilation sur un texte percutant. Viennent ensuite deux auteurs québécois : Hélène Desjardins, qui manie l'humour noir tout en décalage, dans un interrogatoire, une confession à dormir debout, où la folie prend sa source dans le racisme le plus ordinaire, Jean-Jacques Pelletier
ensuite qui met en scène un avocat noir chargé par un homme blanc qui
vient de tuer sa femme de retrouver l'amant de celle-ci, noir bien sûr.
Machiavélique...
Maud Tabachnik nous parle de l'engrenage de haine et de violence qui nourrit le conflit israélo-palestinien, Bolya Baenga,
originaire du Zaïre, nous donne un court texte plein de violence où
Batwa, femme pygmée réfugiée à Paris se trouve confrontée à un racisme
qui ne tient pas seulement à la couleur de sa peau. Achille F. Ngoye traite la responsabilité de l'église qui, associée aux colonialistes, ne généra, n'ordonna jamais de prêtres noirs ou métis du temps de sa "flamboyance". À méditer, tout comme la nouvelle d'André Klopmann, auteur suisse, qui s'interroge sur l'iconographie religieuse chrétienne qui fit de Dieu, à la Renaissance, puis de son fils Jésus, des hommes à la peau bien pâle...
Jacques Côté nous ramène au Québec et nous montre que là-aussi, cette plaie fait ses ravages. Mention spéciale à Barbara Abel pour "Le Visage de la Haine", magnifique texte plein d'émotion, de colère, poignant, qui montre, sans fioriture, les ravages du racisme, "ce cancer de la nature humaine", et l'ignorance dans laquelle il fait son nid. Admirable !..
Enfin, François Barcelo, premier auteur québécois publié dans la prestigieuse Série Noire décrit le racisme ordinaire, institutionnalisé par un flic aux méthodes "paradoxales" pratiquant allègrement le délit de faciès. Édifiant. Racisme ordinaire encore pour Mouloud Akkouche
qui met en scène une voix radiophonique dans la nuit parisienne, sur
qui viennent se déverser les torrents de haine issus de l'ignorance et
de la misère, voire même de la connerie pure et simple.
André Marois, auteur français installé au Québec, vient clôturer ce recueil en montrant, avec une efficacité remarquable, l'ancrage du racisme dans notre culture judéo-chrétienne de bons blancs farcis de morale. Noir... mais juste.
Un recueil cohérent dans son propos, inégal dans sa qualité. Côté
écriture, je retiendrai le nom de Barbara Abel qui mêle adroitement
rage et sensibilité.
Quelques pistes à explorer, ou pas...
À propos du racisme, il me revient en mémoire certains romans de George Pelecanos, comme Blanc Comme Neige par exemple, pour le côté américain...
Les dix premières lignes...
Je peux difficilement vous présenter les dix premières lignes de chacune
des douze nouvelles composant ce recueil, mais voici au moins les
douze premières phrases.
* Didier Daeninckx : Déméter était tombé amoureux de Fantaisie au premier regard, un mois plus tôt.
* Hélène Desjardins : J'ai toujours préféré le chocolat noir.
* Jean-Jacques Pelletier : En général, je n'aime pas les clients : je m'en accommode.
* Maud Tabachnik : Simon Timsit s'était installé en 1968 à Ma'ale Adunim, à l'est de Jérusalem, avec toute sa famille.
* Bolya Baenga : Elle s'appelait Batwa.
* Achille F. Ngoye
: Quatre siècles plus tôt, l'homme de mamie aurait pu passer pour du
bois d'ébène de première qualité, en l'occurrence le nègre en parfaite
conformité avec les critères du marché de l'esclavagisme : bonne
taille, robuste, bien portant, sans défaut.
* André Klopmann : Je n'irai pas jusqu'à dire que je suis surpris, mais tout de même, il y a de ces absences...
* Jacques Côté : Mon quart de travail fini, je détachai mon tablier et l'accrochai.
* Barbara Abel : Quand je suis sortie de la gare, le froid et l'obscurité m'ont assaillie.
* François Barcelo : L'avenue Pontiac est déserte à cette heure de la nuit.
* Mouloud Akkouche : Attablée près de la vitrine, elle se leva quand le taxi se gara devant le restaurant.
* André Marois : Incapable de fermer l'œil, Gaétan se tournait et se retournait dans son lit depuis minuit.
Quatrième de couverture...
Extrait de la préface de Maurice Chalom et Gaëlle Brocvielle.
Originaires de France, de Suisse, du Québec, de Belgique ou d'Afrique, ces
écrivains ne sont pas pour autant des "nationaux", mais bien des
citoyens du monde, d'autres sont de vieux routiers du polar. Tous ont
accepté avec enthousiasme notre invitation à écrire une nouvelle qui
dirait le racisme (...).
Une qualité transparaît dans ces nouvelles. Elles ne cèdent pas au pathos
moralisateur. Ces auteurs se sont efforcés de rester eux-mêmes : de
bons auteurs de polars, de fables noires (...). Chacune de ces
histoires nous atteint spécifiquement. Toutes nous rappellent que le
racisme a un seul visage, celui du bouc émissaire adoptant différents
traits selon les situations : ceux du Juif, de l'Arabe, du Tsigane
ou du Noir, bref, ceux de l'Autre, du pas comme le monde, de celui qui
dérange.
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...