Liana Levi - Avril 2018 - Traduction (anglais) : Fanchita Gonzales Batlle
Tags : Roman noir Quidam Etats Unis Années 2010 Moins de 250 pages
Publié le : 1er juin 2024
Mai 1969, voilà deux jours que la jeune recrue Billy Drake est arrivée au Vietnam et avant même d’avoir rejoint sa section il contemple déjà ses premiers cadavres sortis des tunnels. Les prochaines semaines, il sera sous les ordres du sergent Fremantle qui tente, tant bien que mal, de le garder en vie ses troupes.
Octobre 2016, Mike Fremantle est devenu le chef de la police d’une petite ville du Michigan. Alors qu’il se réjouit d’avoir mis fin aux exactions d’un violeur, il voit débarquer dans son bureau deux hommes aux costumes hors de prix et aux allures d’avocats. En fait, il s’agit du directeur de campagne (et de son adjoint) pour la réélection du sénateur Wilson Drake, au Nouveau-Mexique. Wilson… que Fremantle a bien connu sous le nom de Billy.
Il est question de confirmer la version d’une anecdote liée à son passage dans l’armée, évoquée par Drake dans une réunion d’anciens combattants et contestée par un ancien camarade.
Comme tous les vétérans, Fremantle ne parle jamais de son passé militaire, pas même avec sa femme Cara d’origine vietnamienne, mais la perspective de revoir quelques frères d’armes l’emporte. Il se laisse embarquer par les deux costards.
Concrètement, Drake s’est donné le beau rôle, enjolivant un souvenir peu glorieux, mais sans importance. Le problème, c’est qu’il a menti, et que le mensonge n’a pas bonne presse aux États-Unis.
Déplacé à Santa Fe en jet privé, Fremantle se retrouve plongé au cœur de la campagne du sénateur Drake, au milieu de toutes les machinations propres à l’exercice pour grappiller quelques points dans les sondages et quelques voix dans les urnes. On lui demande donc de mentir pour corroborer la version du sénateur. Même s’il a horreur du mensonge, il s’agit là d’une broutille sans conséquence, et puis on lui a fait miroiter quelques rallonges budgétaires pour son département de police en difficulté financière…
Iain Levison aime bien titiller là où ça fait mal, là où ça pique, et en 2016 aux États-Unis, alors qu’il écrit son roman, monte une petite musique pas très agréable à l’oreille et que certains ne veulent pas prendre au sérieux. Un certain Donald Trump est en campagne pour la présidentielle. Ancien homme de télévision, versé dans les affaires immobilières, le personnage est outrancier, une vraie caricature de populiste républicain de bas étage. Pourtant, il monte dans les sondages. Et on connaît la suite…
La politique est affaire de communication, d’autant plus au moment des élections. Et la communication, c’est l’art du mensonge.
Billy est une figure publique depuis longtemps maintenant, et il sait comment les gens pensent. Ils pensent qu’ils veulent que vous leur parliez de la guerre, mais en fait c’est faux. Ce qu’ils veulent, c’est que vous confirmiez leur propre opinion sur ce qu’ils croient être la guerre. Si ce sont des jeunes, ils veulent entendre d’horribles histoires de tireurs embusqués abattus. Si ce sont des femmes, une histoire touchante de loyauté et d’amitié. Si ce sont des pacifistes, une histoire choquante sur l’absurdité de tout ça. Et si ce sont des va-t-en-guerre ils veulent la même histoire, présentée de façon à montrer qu’en fin de compte ça en valait la peine.
Le pauvre sergent Fremantle va en faire les frais. Après avoir glissé un tout petit bout de doigt dans l’engrenage, le voilà happé tout entier dans la machination.
Fremantle est un homme droit qui n’aspire qu’au bonheur paisible de ses concitoyens, mais il assiste impuissant au lent pourrissement de la société ; un marasme dans lequel il s’englue et voit ses propres valeurs disparaître.
Il préférait la vie avant Internet, quand les secrets restaient secrets et les imbéciles n’avaient aucun moyen de s’exprimer. Et avant les téléphones portables, quand on avait du mal à vous joindre.
Sans compter que cet épisode ravive les traumatismes liés à sa participation à la guerre du Vietnam. Comme tous les vétérans, Fremantle a enfoui au fond de son esprit les horreurs qu’il a vécues, mais elles sont toujours prêtes à refaire surface à la moindre occasion. L’homme, s’il est droit dans ses bottes et en apparence solide, n’est au fond qu’un échafaudage fragile que toute cette affaire nauséabonde pourrait faire s’écrouler. Les réminiscences du passé sont parfois lourdes à digérer.
Hypocrisie, cynisme, clientélisme, compromission, absence totale de convictions, les politiciens américains que dépeint Iain Levison ne manquent pas de relief, mais la charge n’est pas aussi sévère qu’il y paraît de prime abord. Après tout, tout le monde sait à quoi s’attendre avec ces gens-là. La pirouette finale imaginée par l’auteur est à ce titre révélatrice de ses intentions.
Pour Services Rendus (le titre français est bien mieux trouvé que l’original : Version of Events) se présente aussi comme un retour sur les traces laissées par l’absurde guerre du Vietnam sur ceux qui l’ont vécue, tous ceux qui croyaient rentrer au pays en héros et découvraient, à l’arrivée, qu’ils n’étaient autres que des pestiférés. Comment ceux-là ont continué à vivre, à survivre pour certains, avec leurs souvenirs maudis.
Certains gars comme Billy savent dès qu’ils arrivent que quelque chose va de travers. Ils ont tous été élevés avec des films sur la Seconde Guerre mondiale et s’attendent à ce que certaines choses soient claires. Les bons sont d’un côté, les méchants de l’autre, et vous avez un boulot à faire. Simple. Mais des gars commencent à remarquer que les bons ne sont pas si bons, que les méchants sont partout et nulle part, et que le boulot consiste à être vous-même un méchant. Il n’y a pas de héros, pas de victoires, pas de Monte Cassino ni de plages de Normandie, rien qu’une jungle sans fin pleine de pièges de bambou et de snipers (…)
Quelques pistes à explorer, ou pas...
Désolé, pas d’idée… ou pourquoi pas un autre Iain Levison ?
Les dix premières lignes...
La première chose que voit Billy Drake en descendant du camion est le corps d’un homme mort étendu par terre. Celui-ci ne porte qu’un pantalon noir qui n’est guère plus qu’une guenille, et ses cheveux sont emmêlés autour de son visage comme s’ils étaient mouillés. Billy remarque qu’il est petit et très maigre. On distingue nettement ses côtes. Il ne repère aucune blessure sur le cadavre étendu au soleil, manifestement vietnamien, et se demande s’il est mort de faim.
Des soldats fument à proximité et Billy s’approche d’eux. « Hé, fait-il, je cherche la deuxième section, compagnie Bravo. »
Un des hommes le regarde, un grand, décharné, à la peau comme du cuir. Il indique sa gauche sans un mot. Aucun des autres soldats ne lève les yeux sur lui (…)
Quatrième de couverture...
En 1969, ils étaient au Vietnam, embourbés dans la jungle et dans une guerre de plus en plus absurde. Fremantle, sergent aguerri, à la tête d’une section de combat, Drake, jeune recrue pas très douée. En 2016, ces deux-là se retrouvent, après quarante-sept ans? L’ancien sergent dirige sans enthousiasme le commissariat d’une petite ville du Michigan, et le soldat malhabile est un sénateur en campagne pour sa réélection. Ce dernier a raconté ses faits d’armes au Vietnam, version Disney Channel, pour s’attirer un électorat de vétérans, et il recourt à son ancien chef pour les valider. Ce ne sera qu’une petite formalité, une interview télévisée amicale, dans laquelle Fremantle ne devra pas vraiment mentir, non, il devra juste omettre de dire toute la vérité. Pas de quoi fouetter un flic?
Un roman au vitriol, où le mensonge est le nerf de la guerre et de la politique.
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...