Hervé Chopin - Septembre 2023
Tags : Polar social Journaliste Quidam Belgique Années 1950 Entre 250 et 400 pages
Publié le : 19 octobre 2023
Katarzyna Leszczynska (qui signe Catherine Lézin pour rendre « lisible » son patronyme d’origine polonaise) est encore une jeune journaliste lorsque son rédacteur en chef lui fait une proposition surprenante : couvrir pour son journal, Le Soir, l’ouverture du procès de Marcinelle qui débute une semaine plus tard.
Surprenante, car en 1958, le journalisme, comme beaucoup d’autres domaines, et pas seulement à Bruxelles, est une affaire d’hommes. Autre particularité : son patron lui demande de s’immerger sur place — « on en apprend plus en dehors du palais de justice qu’en salle d’audience » — sans consulter le dossier de l’affaire. On en découvrira donc les tenants et aboutissants en même temps qu’elle.
La mise en place tranquille distille sobrement les éléments du dossier. En voyant arriver la foule des premiers jours, on sait que deux « classes » vont s’affronter : celle des « responsables » locaux et celle des ouvriers étrangers aux accents italiens. L’auteur prend habilement son temps tout en maintenant le rythme de nos découvertes : la teneur du procès d’un côté, la personnalité de Katarzyna et sa qualité de femme dans un monde régi par les hommes de l’autre.
Et donc, de quoi s’agit-il ? Donato Renzini et Francesco Ercoli, deux mineurs, sont accusés du meurtre de Gustave Fonck, un porion, leur supérieur, qui a eu lieu après une catastrophe survenue dans la mine. Les deux prévenus nient les faits qui leur sont reprochés.
La catastrophe s’est déroulée deux ans plus tôt, le 8 août 1956. Un wagon de charbon mal engagé dans l’ascenseur — la « cage » — alors que celui-ci remontait vers la surface a provoqué un enchaînement d’accidents qui ont conduit à un incendie. Dans la mine de Marcinelle, considérée comme dangereuse, il y avait ce jour-là 275 hommes au fond, 262 ne revirent jamais le jour. Parmi les rescapés, les deux accusés, qui eurent la vie sauve en se protégeant sous un wagonnet retourné. Lorsqu’on les découvrit enfin, on ramassa au même endroit le cadavre du porion Gustave Fonck… La suite fut évidente et les conclusions hâtives.
Sans doute le procédé n’est pas nouveau, mais il est efficace lorsque, comme ici, il est subtilement mené. Nous voilà dans la peau des jurés, accompagnés par le regard de la jeune journaliste. Les témoignages s’enchaînent à la barre au fil des audiences. C’est l’occasion d’évoquer le sort réservé aux immigrés italiens, les conditions de logement ou de travail des mineurs, et comment une justice aveuglée peut s’abattre sur des hommes sans défense. Mais en suivant les audiences avec Katarzyna, figure centrale du roman, Paul Colize introduit un personnage féminin puissant qui, en menant son propre combat pour une reconnaissance sociale tout en portant le lourd fardeau de son passé, vient renforcer encore le propos et apporter un souffle supplémentaire. Le choc des deux « intrigues » n'en est que plus retentissant.
Comme toujours, la fluidité est au rendez-vous. C’est un vrai plaisir de se laisser porter par cette plume légère sur des sujets aussi graves.
Il faut également souligner le travail sur la langue et ce mauvais français parlé par les immigrés italiens qui témoignent de ce qu’ils ont vécu, si bien qu’on identifie sans problème la teneur du chapitre (souvent court chez Paul Colize) qui s’ouvre. Et ça fonctionne bien mieux que n’importe quel accent.
Quelques pistes à explorer, ou pas...
Le personnage de Katarzyna n’est pas sans rappeler celui d’Henry Fonda dans le film de Sidney Lumet Douze Hommes en Colère, sorti en 1957, chef d’œuvre absolu, et par ailleurs lui-même évoqué explicitement dans le roman.
Comme l’explique Paul Colize dans sa postface, Devant Dieu et les Hommes, avant de devenir un roman, a d’abord pris la forme d’une pièce de théâtre se concentrant sur le procès et se concluant par un vote du public, prenant dès lors la place des jurés. Quelques lectures furent données à l’occasion de différents festivals en 2021 et 2022 (Quai du Polar à Lyon, Empreinte Carbonne dans la région de Toulouse), avec toujours la participation des auteurs présents.
Les dix premières lignes...
Ici, c’est comme tu attends la mort. La prison, elle te tue. Chaque jour, elle grignote un peu de la vie qui est en toi. Elle t’élève les choses les plus belles. Tu vois pas plus loin que les murs qui sont autour, tu sens plus la chaleur du soleil sur ta peau, tu sais plus le goût du vin dans ta bouche. Aussi, tu as plus l’odeur de tes enfants. Tu aimerais mettre ta main dans leurs cheveux, mais tes enfants, ils sont plus là. La prison, elle t’enlève tout ça.
Tu as une cigarette ? Ça dérange si je dis tu ? En Italie, tout le monde, il dit tu, sauf avec les personnages importants. Même à Dieu, nous on dit tu, mais je sais qu’ici, on peut pas faire.
Quatrième de couverture...
« Le 8 août 1956 restera dans nos mémoires comme un jour qui a marqué l’histoire de notre pays d’une de ses pages les plus tragiques. »
Lorsqu’elle déjeune avec le rédacteur en chef du Soir, Katarzyna ne s’attend pas à être envoyée sur le procès de Marcinelle. En 1958, être une femme journaliste se révèle déjà peu habituel, mais couvrir l’affaire dont tout le monde parle lui semble exceptionnel.
Deux ans auparavant, l’incendie qui a fait rage au fond de la mine du Bois du Cazier a fait plus de 250 morts ; et c’est au cours de cette catastrophe que deux mineurs italiens auraient tué leur supérieur. Une occasion rêvée pour la jeune femme de prouver son talent de reporter.
Or, si elle a un lien personnel avec cette terrible histoire, Katarzyna comprendra vite qu’on ne l’a pas envoyée là par hasard…
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...