Ravet-Anceau - Novembre 2005
Tags : Roman noir Polar politique Polar social Trafic Flic Quidam Années 2000 Littéraire Populaire Plus de 400 pages
Publié le : 25 février 2007
Paul Beauvillain, gendarme de son état, est appelé de bon matin : on vient de retrouver un cadavre dans un chemin creux peu fréquenté de la baie de Somme, au beau milieu des héronnières. La victime, la soixantaine, la tête explosée au fusil de chasse, est semble-t-il un vagabond.
Le papy qui a découvert le corps a également vu une voiture sur les lieux, une 206 rouge qu’il connaît et qui appartient à "un gars de la ville", un chasseur, un de ceux "qui se promènent avec un manteau de fourrure, comme un drôle...".
Paul cherche le propriétaire du véhicule et tombe sur une assemblée de notables arrogants, méprisants...
Quelle belle et agréable surprise que ce premier roman de Léo Lapointe, par son écriture, par sa densité, par la qualité de ses personnages, de son intrigue, par le (ou les) sujet(s) de fond qu’il aborde. Pour un premier essai, c’est une vraie réussite !
Léo Lapointe nous entraîne pour commencer sur les traces d’un vagabond sans identité qui vient de se faire assassiner dans la baie de Somme. L’affaire est confiée à un jeune gendarme, Paul Beauvillain, qui fait un peu figure de brebis galeuse au sein de la caserne. Entré la plus par opposition à son père (un prof tendance soixante-huitarde) que par conviction, il cadre mal dans le paysage des képis. Mais son major de chef l’a à la bonne, il le guide, le conseille, l’aiguille, et c’est bien sûr lui qui lui enjoint de laisser tomber la piste de la 206 rouge, trop "dangereuse", pour se concentrer sur celle d’un coupable idéal.
Paul est une sorte d’anarcho-écolo, il apprécie les longues balades en baie de Somme, s’extasie devant les oiseaux et conchie tous les notables. Son enquête n’avance guère, même si un bijoutier chasseur est maintenant sous le collimateur, prêt à encaisser tous les coups. Alors Paul s’intéresse à la victime, fouille, cherche à lui donner un nom, une identité, une existence, se colle à ses basques, à ses itinéraires, et découvre peu à peu un homme épris de liberté, un marcheur vagabond.
Un lien se crée entre les deux hommes, comme une amitié, une profonde connivence. Paul se glisse dans les vieux godillots de l’Eugène, s’y trouve merveilleusement bien, et va à la rencontre des gens qui bordent les chemins.
C’est, bien sûr l’occasion pour l’auteur d’évoquer une région peu connue et ses habitants. Une région désertée par l’évolution, ou la misère guète. Mais on sent une extrême tendresse de sa part envers cette population dure au mal, laborieuse, et finalement délaissée.
Le style est classique, sans emphase, sans fioriture, mais l’écriture est limpide, sincère, et les mots sonnent juste, vrai, avec éclat.
Finalement, le bijoutier sera accusé, se retranchant derrière un alibi qu’il refuse de dévoiler, faisant figure de coupable idéal. Cependant Paul n’est pas convaincu de sa culpabilité, même s’il a participé à l’acharnement qui s’est abattu sur lui ; Trop de zones d’ombre, trop de doutes. Dès lors, lorsque celui-ci se suicide, il se convainc presque de son innocence et reprend l’enquête, pour faire la vérité, et aussi pour "venger" son ami Eugène. Il reprend la piste de la 206 là où il l’avait laissée, là où on lui avait habilement suggéré de l’abandonner, creuse encore et finit par mettre à jour une incroyable histoire.
Après une approche sociale, on entre alors dans le volet politique du roman, et sans vouloir révéler les ressorts de l’intrigue, le paysage change du tout au tout. Nous voilà désormais au pays des financements occultes de partis politiques, des magouilles pas très propres, de l’argent sale et notre pauvre gendarme va devoir affronter de solides et puissants adversaires... Au fond du roman résonne une vieille affaire qui secoua la France au milieu des années quatre-vingt, celle qui mettait en scène, dans l’ombre, un certain Charles Pasqua, alors ministre de l’intérieur, un Yves Chalier, une officine du nom de Carrefour du Développement, et un vrai-faux passeport...
Léo Lapointe signe là un magnifique roman à multiples facettes. Par une construction irréprochable, il tire son intrigue sur un rythme particulièrement lent, celui du marcheur, celui de la victime, le seul qui permette, lorsqu’on se déplace, de tout voir ; et encore faut-il ne pas oublier de s’arrêter de temps en temps.
Ne prenez surtout pas cette "lenteur" dans un sens péjoratif, elle est ici synonyme d’une grande qualité. On prendra le temps de goûter chacun des personnages : Paul en premier ; mais aussi le major Duval (amateur de pastis, comme son nom l’indique) ; ou de multiples autres, comme ce restaurateur esseulé, inventeur du musée du plein emploi (un régal !) ; sans compter l’Eugène, merveilleux :
(...) un marcheur mystique qui vivait le nez dans les étoiles (...) en lutte, sa marche, sa démarche, c’était le refus de se plier aux règles de la société. C’était un anar, quoi, un anar à l’ancienne.
Vous parlerai-je de l’humour qui parsème le récit ? De ces aphorismes en forme de brèves de comptoir cher à Jean-Marie Gourio ? Non, j’en ai déjà trop dit...
Le Vagabond de la Baie de Somme mérite d’être lu, relu même. C’est un roman noir, humaniste, dans la droite lignée des Hugo et des Zola, qui prend le temps de montrer pour mieux démontrer. On aimerait rencontrer plus souvent de tels auteurs, de telles passions. Heureusement, ils et elles existent. Puissent-ils ne pas rester dans l’ombre.
Quelques pistes à explorer, ou pas...
Le Vagabond de la Baie de Somme inaugura la collection Polars en Nord, dirigée par Gilles Guillon, et dont quelques titres, prometteurs, ont été ici chroniqués (Christophe Lecoules, Christophe Debien).
Léo Lapointe a depuis récidivé. En février 2007 a paru son second roman, La Tour de Lille. M'est avis qu'on ne sera pas sans en reparler...
Les dix premières lignes...
L’estafette bleue avait quitté la petite route goudronnée, pour s’engager dans un chemin boueux, descendant abruptement vers les grasses prairies, souvent noyées, bordant la Somme. Avant, il y a bien longtemps, la marée remontait jusque là. Et même bien plus haut ; les grands voiliers naviguaient jusqu’à l’ancien port d’Abbeville, aujourd’hui retiré à plus de vingt kilomètres dans les terres.
De la mer il ne reste rien, sauf les basses terres inondées tous les hivers, peuplées de joncs et d’iris sauvages. Peul aimait cette région qu’il avait découverte en prenant son poste dans ce département (...)
Quatrième de couverture...
Tout commence par la mort inexpliquée d’un vagabond ; qui arpentait les routes de la baie de Somme. L’Eugène a été tué d’un coup de fusil en pleine tête. Un crime sans témoins, sans mobile, ni coupable. L’enquête est bâclée, le dossier classé. La mort d’un clochard n’intéresse personne, sauf un petit gendarme têtu qui met les pieds dans le plat, sans se rendre compte que sa passion pour les oiseaux va semer la pagaille jusque dans les bureaux des cabinets ministériels parisiens et des banques luxembourgeoises...
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...