Ravet-Anceau - Mars 2007
Tags : Roman noir Polar politique Trafic Flic France Années 2000 Plus de 400 pages
Publié le : 30 mars 2007
Un cadavre dans l'ascenseur aseptisé d'une tour aseptisée, au cœur de Lille. Les pompiers n'ont rien pu faire, ni les collègues d'ailleurs. Mais l'auraient-ils pu, retranchés derrière leurs bureaux respectifs ? Alors, suicide ?..
Comme quelques mois plus tôt, Fabienne, dont on dit qu'elle avait détourné des fonds avec la complicité de son mari, à coups de fausses factures. L'affaire avait fait un peu de bruit, localement, et puis plus rien. Là aussi on avait conclu au suicide.
Bernard, de la police judiciaire, mène cette enquête. "A." s'est donc suicidé, c'est du moins le version officielle que tout le monde veut entendre. Un fonctionnaire sans soucis apparents, marié, une fille. Pas de problèmes personnels, familiaux, ni d'argent. Pas d'explication, pas de lettre, pas même à sa femme. Et puis surtout, pas de douille, pas d'arme. Vous avez dit suicide...
Après avoir côtoyé la solitude dans son premier roman, Le Vagabond de la Baie de Somme, avec le magnifique personnage d'Eugène, Léo Lapointe change ici de registre et se frotte cette fois à la multitude avec une plongée dans le monde des fonctionnaires et des institutions qui les (nous) gouvernent.
En prenant comme point de départ le suicide (ou au moins présenté comme tel) de l'un des leurs, il nous propose une visite guidée au cœur d'une tour en forme de pyramide, symbole explicite de l'administration dans toute sa splendeur :
Dans l'escalier de service, circulaient des gens tristes portant à la main des papiers tristes et sur la figure la lancinante question : encore combien de temps avant de sortir à la lumière, même si c'est pour aller à la cantine ou pour prendre le métro ? Ce n'était même pas sale, seulement désespérément triste. Pas même un graffiti obscène...
L'environnement n'est pas des plus guillerets, mais les rapports humains, professionnels, qui s'y nouent ne sont pas en reste. Léo Lapointe les décortique, donnant à voir un univers où tout le monde se craint, où chacun épie son voisin, où les chefs, invisibles, commandent à des sous-chefs qui eux-mêmes transmettent à des responsables de services qui vont à leur tour déléguer... et ainsi de suite jusqu'au dernier sous-fifre.
Personne n'a vraiment d'intérêt pour ce qu'il fait, pour sa mission, tous les rouages son fliqués, on pense avant tout à sa carrière et "service public" sont des mots galvaudés auxquels plus personne ne croit, mis à part quelques exceptions comme "A.".
Léo Lapointe ne s'en prend pas aux personnes, aux fonctionnaires, mais bien plutôt à l'institution elle-même, à son fonctionnement, son organisation. Pour ce faire, il déshumanise, dans un premier temps, ses personnages. Et ça fonctionne ! La victime est réduite à une initiale : "A." ; les hautes sphères sont des surnoms : Le Patron, le Bouledogue, le Roquet, autant d'archétypes qui définissent leurs fonctions, leurs positions ; les deux personnages principaux qui se partagent la narration sont, pour l'un, Bernard, nom et prénom à la fois, l'enquêteur, le flic qui veut comprendre, le grain de sable, pour l'autre le fonctionnaire lambda, sans même un nom, sans même un sexe (une performance d'écriture courant sur la moitié du roman et qu'on ne remarque que lorsque celui-ci se détermine), agent comptable réduit à sa fonction.
Bien sûr le voile qui entoure les personnages pour mieux laisser voir leur environnement se lèvera, mais seulement après qu'à travers des descriptions aussi brutales que précises l'auteur n'ait posé le décor qui les entoure. Un décor criant de vérité qui fait froid dans le dos.
L'écriture se fait incisive, mordante. L'intrigue, méticuleuse, fouillée, se construit pas à pas, au fil des découvertes, des enquêtes croisées des deux principaux protagonistes qui prennent au fil des pages une épaisseur, une consistance déterminante. Cette narration alternée, qui perdurera jusqu'à la fin du roman, entretient, par des chapitres souvent courts, un suspense maîtrisé à l'orchestration classique mais efficace.
Et puis la réalité sociale est aussi au rendez-vous, finement analysée ; Léo Lapointe à des engagements, des choses à dire, et il les dit bien.
La Tour de Lille est un pavé de près de cinq cents pages qui met en lumière les dérives qui guettent, ou qui minent, quelques unes de nos institutions, écrit par quelqu'un qui manifestement maîtrise parfaitement son sujet et sait le mettre en scène avec brio.
On en redemande !..
Quelques pistes à explorer, ou pas...
Dans un autre registre mais avec toujours cette même qualité dans le récit, retrouvez la plume humaniste de Léo Lapointe dans Le Vagabond de la Baie de Somme.
Les dix premières lignes...
Il s'en était fallu de peu, mais c'était quand même trop tard. Les sirènes des pompiers avaient hurlé comme s'il était encore vivant. Le sang imbibait lentement la moquette lorsqu'ils étaient arrivés.
Pourquoi j'avais pensé aux insectes, aux cafards, aux puces, à ce moment-là ? Á cause de la moquette.
Elle était là aussi. Toujours là.
Pâle quand même. Le couloir mal éclairé était rempli de monde. Le petit peuple terne des bureaux sortait des placards (...)
Quatrième de couverture...
Il y a eu un mort dans la Tour. Un chef de service s'est suicidé dans l'ascenseur privé qui mène au bureau du Patron. Un mort par balle dans l'antichambre d'un futur ministre, ça fait désordre. D'autant que l'arme du crime a disparu et que la Cour des Comptes aurait découvert des détournements de fonds européens. Cela suffit pour qu'une chape de plomb s'abatte sur la tour et que le personnel se retrouve sous surveillance. Il faut étouffer l'affaire, mais un policier suspicieux ne l'entend pas de cette oreille.
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...