Seuil - Octobre 2006
Tags : Roman noir Polar politique Polar social Discrimination Paris Moins de 250 pages
Publié le : 1er novembre 2006
Anna Doblinsky, toute fraîche émoulue de l'IUFM, s'apprête pour sa première rentrée scolaire. On lui a attribué un poste au collège de Certigny au fin fond de la Seine Saint-Denis. Accompagnée par son ami Loïc, elle décide de faire un petit tour de repérage la veille de sa première journée en tant que professeur de français. Elle découvre un établissement de mille cinq cents élèves, un ensemble de cubes de béton sinistre et une ville aux frontières invisibles mais néanmoins bien présentes : d'un côté le centre-ville, les "gaulois" ; autour les barres HLM, les cités et les "bronzés". Exotisme garanti.
Richard Verdier est substitut du procureur au tribunal de Bobigny, plus particulièrement chargé de faire respecter l'ordre républicain sur le territoire de la commune de Certigny, et ça n'est pas une mince affaire. La ville, ses cités, sont aux mains des mafias locales ; qui dans le trafic de drogue, qui dans la prostitution, mais aussi soumise pour partie à l'influence grandissante de l'imam, voire de son intégrisme.
Thierry Jonquet plante le décor avec une vraie efficacité : une ville de fiction qui rassemble à elle seule quelques caractéristiques marquantes du niveau de délabrement auquel sont confrontés certains territoires. Á travers les différents personnages qu'il met en place, il dresse un état des lieux d'une remarquable précision quant à la banlieue en général et au célèbre 9-3 en particulier. On y croise un jeune adulte déboussolé, issu d'un milieu favorisé mais abandonné à lui-même, sans repère, qui glisse inexorablement, après avoir abandonné le cursus scolaire, vers l'enfermement, le replis sur soi, la dépression. On y croise une jeune prof envoyée au casse-pipe, en première ligne, après une formation toute théorique loin des réalités quotidiennes, confrontée à l'échec scolaire de masse dans toute sa splendeur. On y croise un substitut du procureur, un commissaire de police, pleins de bonne volonté pour empêcher leur circonscription de sombrer dans l'abandon absolu, mais soumis à la misère des moyens, à la misère sociale, à la misère tout court. On y croise les gamins des cités pour qui l'institution scolaire n'es plus qu'une garderie, une salle d'attente, coincée entre la Star Ac' du soir et la prière du matin, un lieu où la violence a su sauter les grilles...
Thierry Jonquet n'écrit pas là un polar ; n'allez pas chercher d'intrigue. Il s'agit d'un roman noir, d'une écriture du présent, au présent.
Parti du constat énoncé par Emmanuel Brenner dans le livre qu'il a dirigé (Les Territoires Perdus de la République) à propos de la recrudescence de l'antisémitisme, du racisme et du sexisme dans le milieu scolaire, Thierry Jonquet avait entamé son roman autour de cette trame de fond, de ce décor de banlieue, en septembre 2005. Deux mois plus tard, la réalité rattrapait la fiction en train de naître : deux enfants trouvaient la mort au fond d'un transfo et les banlieues s'enflammaient au rythme des émeutes. Au final, il intègrera ces derniers développements dans son récit, réécrivant l'histoire, son histoire, au fil des évènements. Reste que l'analyse ne date pas d'hier, que sa manière d'exposer les situations montre une profonde connaissance du sujet.
Ce roman est un témoignage autant qu'un cri, une photographie envoyée aux acteurs qui en sont absents, rigoureusement absents : la classe politique, les décideurs de tous bords. Il leur montre où mènent leurs absences, leurs silences depuis tant d'années. Il leur montre un monde à l'écart, laissé pour compte, un monde où le djihad finit par représenter l'espoir d'un avenir meilleur, quelque chose en quoi croire enfin parce que porteur de "valeurs", d'une possibilité de s'investir. Un système économique et social qui n'est plus capable d'offrir ces ouvertures s'expose naturellement à ce qu'un autre système ou organisation prenne sa place. On ne gère pas les générations futures en bâillonnant leurs espoirs et l'auteur ne s'y trompe pas en choisissant son titre parmi les vers de Victor Hugo :
Étant les ignorants, ils sont les incléments ;
Hélas ! combien de temps faudra-t-il vous redire
Á vous tous, que c'était à vous de les conduire,
Qu'il fallait leur donner leur part de la cité,
Que votre aveuglement produit leur cécité ;
D'une tutelle avare on recueille les suite,
Et le mal qu'ils vous font, c'est vous qui le leur fîtes.
Vous les avez guidés, pris par la main,
Et renseignés sur l'ombre et sur le vrai chemin ;
Vous les avez laissés en proie au labyrinthe.
Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte ;
C'est qu'ils n'ont pas senti votre fraternité.
Ils errent ; l'instinct bon se nourrit de clarté (...)
Un roman, un récit, profondément pessimiste mais aussi d'une grande lucidité, pour un regard croisé sur l'état de délabrement des certains pans de notre société, laissés à l'abandon, et où fleurissent de bien vilaines fleurs. La mise en scène s'efface pour laisser place à un quasi documentaire. Remarquable !
Quelques pistes à explorer, ou pas...
Thierry Jonquet écrit des romans noirs, ça n'est un secret pour personne.
Il n'a de cesse de montrer la société telle qu'elle est ; souvent pas très belle à voir. Lisez ses romans.
Les dix premières lignes...
Il fallait de la méthode. Beaucoup de méthode. Il ne suffisait pas de lire et de relire jusqu'à s'en donner le tournis pour que les mots entrent dans la tête comme par enchantement et aillent se ranger bien en ordre dans les tréfonds de la mémoire. C'était plus compliqué, beaucoup plus compliqué. Ah oui, oui, oui... Des journées et des journées d'efforts fournis sans relâche. À s'user les yeux devant les planches anatomiques. À attraper des maux de crânes insupportables. Mais quoi ? Tout le monde pouvait y arriver ! Simple affaire de volonté. Un cacher de Doliprane toutes les trois heures. Vraiment, ç'aurait été stupide de capituler devant la difficulté. Allez (...)
Quatrième de couverture...
Département du 9-3, septembre 2005. Anna Doblinsky, une jeune diplômée d'un IUFM, rejoint son premier poste au collège Pierre-de-Ronsard à Certigny. HLM, zone industrielle, trafics de drogue, bagarres entre bandes rivales et influence grandissante des salafistes, le décor n'est pas joyeux.
Dès le premier jour, Anna est brutalement rappelée à sa judéité par des élèves mus par un antisémitisme banal et ordinaire. Lakdar Abdane, un jeune beur particulièrement doué, ne demanderait, lui, pas mieux que d'étudier, mais n'y arrive pas depuis qu'il a perdu l'usage d'une main.
Tout serait-il écrit ? Certes non, mais une fois enclenchées, il est des dynamiques qui ne s'arrêtent pas aisément. Et la mort est au bout.
Commencé bien avant les émeutes des banlieues et le meurtre d'Ilan Halimi, ce roman dit des territoires que la République se doit de reprendre au plus vite à la barbarie.
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...