La Solution Esquimau

Un avis personnel...

Publié le : 20 février 2010

Un écrivain, habitué aux livres pour enfants (tiens, comme Pascal Garnier), convainc son éditrice de lui accorder une avance pour rédiger une histoire qu'il a déjà en tête : celle de Louis, la quarantaine, un homme charmant.

Ce type est très gentil ! Il aime sa mère, il aime ses amis, les parents de ses amis, il aime tout le monde, mais avouez qu'en ce moment, tout le monde est dans le pétrin, non ?… Il tue les parents comme les Esquimaux abandonnent leurs vieux sur un morceau de banquise, parce que… c'est naturel, écologique, bien plus humain et beaucoup plus économique que de prolonger leur interminable corvée dans des mouroirs sinistres. De toute façon, il ne leur fera presque pas mal, ce sera du travail soigné, chaque crime sera préparé et adapté aux personnes concernées avec la même conscience professionnelle qu'un voyage au Club Med. Et puis rien ne nous empêche de faire une fin morale.

L'affaire est entendue, et l'auteur loue pour l'occasion une maison sur la côte Normande, face au Havre. Cependant, c'est sans grand enthousiasme qu'il s'attelle à l'écriture de son roman.
Bientôt, il rencontre incidemment ses voisins, un couple de charmants retraités. L'homme se prénomme Louis…

La narration se partage en l'histoire de Louis (celui de la fiction) et de son projet, et la vie quotidienne de l'auteur, morne, sans être toutefois complètement désespérée. Il y a comme un immobilisme désabusé dans les manières de cet écrivain, comme un renoncement à lutter contre la vie. Dés lors, il n'est pas loin de rencontrer le personnage qu'il est en train de créer.
Pascal Garnier joue tout en finesse de ce miroir dans un style aux phrases ciselées qu'on se relit parfois, juste pour le plaisir des mots, avec des "images" d'une infinie précision :

Son corps sous la couverture de brancard ne fait pas plus de relief qu'un parapluie fermé.
La taille des immeubles diminuait à mesure qu'on s'éloignait de Paris, des tours, puis des bâtiments de quatre étages, des maisons individuelles et enfin un cimetière, juste avant les champs de betteraves.

Les vies, les morts, les histoires de Louis et de Pierre, l'écrivain — mais s'appelle-t-il vraiment Pierre ? — interfèrent l'une avec l'autre et est abordé, en "sourdine", le processus d'écriture, de création. Mais il est surtout question, dans La Solution Esquimau, de vie et de mort. De l'insignifiance de l'une, de l'inéluctabilité de l'autre, comme si tout ça, au fond, tout en étant primordial, n'avait aucune importance.
L'humour est aussi très présent dans l'écriture de Pascal Garnier, mais un humour noir, froid, parfois, sans jamais toutefois se faire méchant ; comme un antidote à la morosité du quotidien. C'est à la fois extrêmement léger et d'une grande profondeur, essentielle.
Pascal Garnier s'attache aux gens, à leurs "petites" faiblesses qui sont aussi leur grande lâcheté. La leur, la sienne, la mienne…

Tu crois qu'on peut être mort sans le savoir ?

Un premier roman ambitieux et réussi qui met en scène la fuite, plutôt que l'affrontement à l'évidence mortelle.

Vous avez aimé...

Quelques pistes à explorer, ou pas...

Sans aucun doute les autres romans de Pascal Garnier qui a une réputation de grand styliste dans la maison polar.
Autrement, pour ce qui concerne le rapport au processus d'écriture et à sa mise en scène, on peut se rapprocher avec bonheur du roman de Joseph Incardona, Remington.