Julliard - Mars 2004
Tags : Roman noir Polar politique Corruption Flic Afrique du Nord Années 1990 Littéraire Plus de 400 pages
Publié le : 31 mai 2006
Le commissaire Brahim Llob, depuis qu'Alger a été débarrassé du Dingue au Bistouri, se morfond dans son bureau sans même un petit cambriolage à se mettre
sous la dent. Même son fidèle adjoint, Lino, ne parvient pas à le
dérider.
C'est un rendez-vous avec une vieille connaissance qui va le réveiller : le professeur Allouche, éminent
psychanalyste passé un temps par la France où, las de se faire
manipuler par les médias et les politiques comme faire valoir de leurs
propres opinions, il a choisi le retour au pays, loin des ors de la
République et plus proche de la réalité. Sauf qu'en 1988, en Algérie,
les éminences ne sont pas les bienvenues et le professeur, loin de
l'université, soigne les malades à l'asile.
C'est justement du cas d'un de ses "patients" qu'il veut entretenir le
commissaire. Il s'agit d'un tueur, ou avoué comme tel, qui s'est livré
il y a longtemps à la police en s'accusant de nombreux crimes. D'une
intelligence hors du commun, on ne sait qui il est ni d'où il vient et
le professeur, malgré ses approches, n'a jamais réussi à percer son
secret. Or, voilà qu'une grâce présidentielle va remettre cet homme,
considéré comme dangereux, en liberté. Malgré ses mises en gardes, ses
interventions auprès des autorités, le psychanalyste n'a pu enrayer
cette décision. En dernier ressort, il demande à Brahim Llob de le
surveiller à sa sortie de prison.
Après avoir traité le "cœur" de la guerre civile qui a secoué l'Algérie à travers une trilogie particulièrement sombre (Morituri, L'Automne des Chimères et Double Blanc),
Yasmina Khadra faire "renaître" le commissaire Llob qu'on croyait
disparu et nous ramène à la veille des émeutes qui ensanglantèrent le
pays et allaient le faire basculer dans la guerre civile.
Écrit en 2004, on a le sentiment, au moins dans la première partie du récit,
d'un ton plus léger que dans les précédents titres mettant en scène le
commissaire acariâtre - écrites, faut-il le rappeler, dans la
clandestinité. Là où il y avait comme une urgence, il y a dans ce roman
plus de place pour une jubilation de l'écriture, du maniement des mots,
même si pour autant, le ton reste toujours aussi mordant. On sent comme
un poids qui aurait quitté les épaules de l'auteur, rendant ainsi sa
main plus légère.
La première partie du récit est l'occasion de dresser le portrait d'un
pays qui fait le grand écart avec, d'un côté, une misère grandissante
de plus en plus présente et, de l'autre, une sorte de caste dorée qui
tient les rênes du pouvoir et se croit tout permis. Entre les deux,
droit dans ses bottes, confronté aux deux extrêmes, Brahim Llob, plutôt
en colère :
(...) personne ne comprend pourquoi, dans un pays où il y a à boire et à manger pour les grands et les petits, le peuple en entier crève la dalle ; personne n'est en mesure d'expliquer pourquoi, sous le déluge des lumières que déverse ce bon vieux soleil d'Algérie, les intègres marchent à tâtons, les braves rasent les murs et les jeunes s'évertuent à trouver dans la pénombre des portes cochères la noirceur épouvantables des abîmes.
Côté intrigue, on avance à petit pas, par allers et retours "improductifs".
C'est la déconfiture ambiante qui prend le dessus. Et puis la
"légèreté" s'efface peu à peu, et la seconde partie du roman, plus
"urgente", plus poignante aussi, permet à l'auteur de revenir sur
l'histoire récente de son pays, sur les tenants et les aboutissants de
la situation de l'époque. La Part du Mort est l'occasion
d'évoquer les lendemains de la guerre de libération menée contre la
France, l'après juillet 1962, la période d'épuration, les massacres de
harkis, mais aussi les spoliations, les petits potentats, les
arrangements mafieux, les luttes d'influence, le tout orchestré de main
de maître à traves un intrigue savamment construite - il s'agit bien
d'un polar.
Revue de détail des as de la Révolution, les zaïms, avec d'un côtés les combattants de l'honneur, les libérateurs, de l'autres les fellagas, les bandits. De fait, parfois les mêmes hommes, les mêmes troupes, dans
un désordre chaotique et pas toujours avec les mêmes ambitions.
Allez savoir, au bout du compte, qui a gagné cette guerre d'indépendance ?..
Prix du Meilleur Polar Francophone en 2004.
Prix Beur FM en 2005.
Quelques pistes à explorer, ou pas...
Écrivain engagé, Yasmina Khadra l'est assurément et c'est au péril de sa vie, doublement, en tant que militaire et en tant qu'écrivain, qu'il a dénoncé les dérives de l'Algérie et de son pouvoir. À ce titre, lisez Morituri... Édifiant !
Les dix premières lignes...
À croire que la terre s'est arrêtée de tourner.
J'ai le sentiment de me décomposer au fil des minutes, que chaque instant qui s'en va emporte avec lui un pan de mon être.
Un calme désespérant pèse sur la ville. Tout baigne. Les gens vaquent à
leurs occupations, les mémés sont peinardes et aucun drame ne court les
rues.
Pour un flic dynamique, c'est la cale sèche.
De puis la neutralisation du Dab (cf. Le Dingue au Bistouri),
Alger respire. On se couche tard, on se lève rarement. L'État providence se délecte du farniente avec le même détachement que ses décideurs (...).
Quatrième de couverture...
Le pays est aux portes de la guerre civile et le peuple ne le sait pas.
Ici comme ailleurs se frotter aux puissants est synonyme de mort
rapide. Llob, pourtant, après que son lieutenant a été accusé de
tentative de meurtre sur l'une des sommités corrompues du pouvoir, ne
peut se résoudre à entendre raison. Il enquête et fouille le passé. Ce
qu'il découvre dérange. Une historienne au rôle peu clair tente de
l'aider. Massacres camouflés, vendetta, manipulations... Llob va
plonger au centre des ténèbres avec une seule question : à qui profite
le crime ?
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...