Editions du Rouergue - Octobre 2022
Tags : Roman d'enquête Polar social Psychologie Flic France Années 2020 Poétique Entre 250 et 400 pages
Publié le : 21 octobre 2024
Un immeuble dans une banlieue calme et triste, et ce soir-là une détonation, un coup de feu. Une femme de cinquante-six ans qui vivait seule est morte.
Ludovic Marchand-Thierry, officier de police quinquagénaire est d’astreinte cette nuit-là. C’est lui qui est chargé de l’enquête. Lors des premières constatations, il apprend que la victime a une fille, Amélie, diagnostiquée schizophrène, sous traitement, qui habite à deux pas.
Les meurtres, souvent, sont commis par des proches, répondant à une pulsion. Souvent à l’aide d’armes blanches, rarement par armes à feu. Amélie est en première ligne au rang des suspects, même si Ludovic, par expérience, se méfie des préjugés.
Contre toute attente, sans prévenir, sans détour, Amélie avoue le crime : « Je l’ai tuée parce qu’elle était méchante avec moi »…
Celles et ceux qui me lisent régulièrement le savent, j’ai un petit faible pour les auteurs fantaisistes, un peu déjantés, ceux qui pratiquent l’humour noir, la dérision, quitte à emprunter parfois des chemins surréalistes, les Philippon, les Schwartmann pour les plus récents, les Gendron, les Mizio, les Reboux pour les plus anciens, et j’en oublie sûrement.
Claire Raphaël ne fait évidemment pas partie de cette catégorie. Zéro humour. Mais lorsqu’il m’est arrivé de croiser sa plume pour la première fois — c’était il n’y a pas si longtemps avec La Jeune Fille et le Feu — je suis tombé amoureux. Zéro humour, certes, mais quelle puissance !
Depuis, j’ai tout lu de cette auteure trop méconnue, et je n’en démords pas : c’est du bon, du très très bon. Pas joyeux, mais d’une lucidité et d’une intelligence qui forcent le respect. Les sujets sont rugueux, mais emprunts de douceur, de bienveillance, comme une pierre ponce qui vous récure l’âme sans vous abîmer.
S’ils n’étaient pas si Fous est le troisième volet d’une trilogie qui met en scène le personnage d’Alice Yekavian, spécialiste en balistique au sein de la police scientifique. Si cette dernière était au cœur des deux premiers épisodes de la série, elle se fait ici beaucoup plus discrète, n’apparaissant que comme « faire-valoir » de l’enquêteur principal qui va tenter de résoudre avec son équipe le meurtre de la vieille femme.
On y retrouve un des ingrédients récurrents dans les romans de Claire Raphaël : le travail de police, décortiqué, analysé avec une précision documentaire, sans pathos, sans autre intention que montrer. Il y est aussi question des hommes et femmes engagés dans cette voie décrite comme difficile à suivre, à vivre. Claire Raphaël agit en scientifique, elle énonce les faits, clairement, mais avec toute sa sensibilité et sans porter de jugement. La suite appartient au lecteur.
Étienne est un bon policier et il faudra du temps pour qu’il devienne aussi un bon enquêteur. Un policier est un homme qui aime la loi, et qui est sûr que la loi est assez forte pour promettre la paix à tous ceux qui la respectent, un enquêteur est un homme qui sait jouer avec la nature humaine, qui sait s’adapter à la ruse, au mensonge, à la crasse, à la bêtise, et qui ne se laisse pas impressionner, et qui ne se laisse pas séduire.
Autre élément récurrent : l’aspect social. La fille de la victime, Amélie, et sa maladie mentale sont au cœur du roman. Dès lors, au fur et à mesure de l’enquête, on approchera au plus près les conséquences d’une pathologie comme la schizophrénie. À travers Amélie elle-même, en effleurant son propre vécu, sa souffrance, mais aussi et surtout à travers celles et ceux qui la côtoient, qui l’entourent. Ceux qui ne comprennent pas parce que c’est trop difficile de se confronter, ceux qui voudraient l’aider sans savoir comment, ceux qui cherchent à comprendre. Et là encore, le regard est précis, clinique, et la lumière crue.
(…) il n’y a pas deux catégories d’hommes, les honnêtes gens et les voyous, les honnêtes gens qui savent éviter le malheur, les voyous qui n’ont pas assez de cœur, il y a une troisième catégorie d’hommes, les fous, ceux qui ont trop de désirs et pas assez de volonté, ceux qui ont trop de rêves et pas assez de force, ceux qui sont condamnés à ne jamais avoir de réponses à leurs questions, les fous, des gens auxquels parfois il aimerait ressembler quand il pense qu’il est lui-même trop sage, trop rigoureux, que ça le rend dur.
On sait Claire Raphaël poète ; sa prose vient le prouver à qui en douterait. Une poésie qui devient ici une ultime composante du roman, venant conclure magnifiquement un récit aussi triste que vivant, en un mot : exaltant.
Quelques pistes à explorer, ou pas...
Lisez Claire Raphaël ! Tout Claire Raphaël !
Les dix premières lignes...
Un coup de feu a claqué, dans l’ombre de la nuit, et ce n’est pas un avertissement. Un corps est tombé, le coup sec de l’arme, l’écho bref, menace fulgurante, puis ce choc lourd… Nicolas se redresse.
Le réveil indique minuit cinq. Il se demande s’il n’a pas rêvé. Il aurait pu rêver de ce coup de feu comme un coup de trique. Il rêve parfois qu’il chasse encore avec son paternel, dans les forêts du Sud-Ouest où il vivait enfant. À cette époque où pour rien au monde il n’aurait voulu quitter sa terre, cette terre que son père lui apprenait à aimer. Cette terre que son père lui apprenait à dominer, dominer la terre comme on domine le monde, apprendre à connaître la richesse d’un terroir, ses couleurs, ses parfums, son eau, son aridité, son soleil, sa froidure, apprendre que la terre porte en elle une pulsion de vie qui n’a pas de limite, et qui rejaillit à chaque instant sous une forme ou une autre, un rayon de soleil, le cri d’un oiseau, une pierre qui roule, un animal plein de sang… Cette terre qui semble avoir toujours été riche de promesses, des promesses qu’elle a tenues, cette terre capable de faire germer des hommes forts et des femmes courageuses, des hommes qui se veulent forts et qui finissent par le devenir, des femmes qui se savent courageuses depuis toujours… cette terre qui apprend à devenir dur et modeste… dur d’abord, le temps de la jeunesse, puis modeste le reste de la vie…
Quatrième de couverture...
Que fait la police lorsqu’une femme est tuée d’un coup de feu dans la nuit et que sa fille unique, atteinte de schizophrénie, s’accuse du crime mais décrit une scène incompatible avec les éléments recueillis par les enquêteurs ?
Dans une banlieue parisienne un peu triste mais plutôt tranquille, un flic expérimenté, Ludovic Marchand-Thierry, dirige à partir de faits ténus mais têtus une enquête où l’objectivité et le métier forcent la vérité. Là où les gens se croisent sans se connaître, lui va entrer dans des vies, remonter le fil des histoires jusqu’au point où un assassin appuie sur la détente. Dans cette partition complexe, où il faut parfois toute la compétence et le doigté d’un policier pour obtenir des indices décisifs, Alice Yekavian, ingénieure de la police scientifique, saura, elle, faire parler les armes. Et le hasard.
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...