Les Militantes

Claire Raphael

Editions du Rouergue - Mars 2020

Tags :  Roman d'enquête Polar social Serial Killer Flic France Années 2020 Littéraire Moins de 250 pages

Edition originale

Un avis personnel...

Publié le : 05 avril 2024

J’ai découvert Claire Raphaël un peu par hasard, à travers son quatrième roman, La Jeune Fille et le Feu, en me fiant au flair des équipes des éditions du Rouergue chez qui j’avais trouvé une forme de résonance avec mes attentes de lecteurs. Les qualités du récit, l’approche de l’auteur, sa plume, ont fait que je me suis promis d’y retourner. Et pourquoi pas commencer par le « début » : Les Militantes ?
Dès les premières pages, avant même d’entrer dans l’intrigue et de découvrir les personnages qui la composent, j’ai retrouvé cette écriture empreinte de poésie, tout le soin apporté au choix des mots, à leur assemblage, à leur précision, qui m’avaient séduit la première fois que je les avais croisés.

La narratrice, qu’on découvre dans l’entame du récit sans qu’elle soit nommée (serait-ce une marque de fabrique ?), est enquêtrice au sein de la police scientifique, spécialisée dans la balistique. Quant à l’affaire à laquelle elle est confrontée, il s’agit du meurtre d’une femme, abattue de plusieurs balles dont on a retrouvé les douilles autour du cadavre, toutes signées de deux initiales : BC. Une bizarrerie bientôt expliquée lorsqu’on apprend le nom de la victime : Béatrice Chabaud…
Béatrice a eu un passé de femme battue avant d’intégrer une association luttant contre ce fléau et venant en aide à celles qui en sont victimes. Elle y est devenue active, militante, et sans autre alternative l’enquête policière se dirige sur cette piste éventuelle avant qu’une seconde femme soit abattue dans les mêmes conditions et qu’Alice (on connaît désormais son prénom au tiers du récit) soit intégrée directement à l’équipe d’enquête…

L’écriture est clinique, épurée, et vise à l’essentiel avec sérieux. Pourtant, rien de froid dans l’approche, plutôt une précision chirurgicale, une attention, une concentration. La procédure, les métiers de la police scientifique sont décrits méticuleusement, de l’intérieur, ponctués de réflexions sociologiques sur le rôle des forces de l’ordre, leurs pratiques, leurs engagements, le tout avec une grande fluidité, sans aucun accroc. Claire Raphaël sait aussi donner corps à ses personnages en quelques mots soigneusement agencés, dressant des portraits aussi succincts que précis :

Il me semblait un peu maigre, et ses cheveux coupés en brosse courte, sa peau blanche et ses manières courtoises faisaient penser à un militaire qui n’aurait pas connu le front mais aurait aimé l’ordre.

Quant à la volonté de ne pas nommer la narratrice, elle aide à porter l’éclairage sur son métier, le crime qu’elle tente d’élucider, son environnement, et leur apporte une dimension universelle.

On est donc plongé au cœur de l’enquête et de la procédure, décrites avec un réalisme confondant et montrant le cheminement de la réflexion des policiers de terrain ou de l’équipe technique, les tentatives d’éclaircissement et les impasses. Entre police scientifique, psychologue, profiler, enquêteurs, les approches sont différentes, toujours extrêmement détaillées, analysées, et le travail, minutieux, disséqué jusqu’à en montrer l’os, la substantifique moelle. On pressent aussi, entre les lignes, comme une forme de tentative de réhabilitation du travail de police, voire des policiers eux-mêmes, hommes ou femmes de devoir, au service des victimes.
Mais Claire Raphaël ne se contente pas d’une « simple » intrigue, ou d’une narratrice spécialisée dans la balistique. Son récit est aussi l’occasion de proposer un regard sur le monde, notre monde, notre société, dans le sens « faire société ». La vision est lucide, factuelle, sensible et intelligente, sans manichéisme, et s’attache plus particulièrement au sort réservé aux femmes dans notre système patriarcal, là encore avec des mots qui sonnent juste :

Notre but principal est de restaurer l’image que ces femmes devraient avoir d’elles-mêmes. De restaurer leur fierté et leur désir. Leur ambition peut-être aussi. Elles ont fini par croire qu’elles méritaient ce qui leur arrive, elles s’inventent toutes sortes de raisons pour tenir, elles s’inventent des obligations, vous n’imaginez pas à quel point ces femmes peuvent s’inventer des devoirs jusqu’à tout accepter, tout, absolument tout, des coups terribles, des humiliations, des viols… elles résistent, elles développent un mélange de courage et de lâcheté, qui ensemble leur donnent une force extraordinaire, vraiment extraordinaire, et c’est ce qu’il faut comprendre si on veut commencer à entendre leur histoire. Il faut comprendre qu’elles sont fortes mais qu’elles utilisent mal cette force. Il faut leur réapprendre à aimer la vie, à aimer ce qu’elles sont, à aimer ce que la vie peut leur donner. Il faut leur réapprendre à sourire et à rire. À être fières sans arrogance. À être modestes sans être faibles.

Les Militantes, premier roman réussi, propose un ton nouveau, mélange étonnant d’austérité et de sensibilité, de force et de sagesse, d’intelligence et de gravité. On pourrait lui reprocher un manque de légèreté ou d’humour, mais l’ensemble est si bien pensé, pesé, appliqué, qu’il serait dommage de vouloir en perturber le subtil agencement.
Le monde n’est ni noir ni blanc, et Claire Raphaël le montre très bien.


Vous avez aimé...

Quelques pistes à explorer, ou pas...

Alice Yekavian, dont on découvre le patronyme à la toute fin du récit, devient personnage récurrent dans deux autres romans de Claire Raphaël : Les Gagneuses et S’ils n’étaient pas si Fous, parus de même aux éditions du Rouergue.
Ils sont tout naturellement dans ma liste de lectures.

Le début...

Les dix premières lignes...

J’avais une MAT 49 dans les mains. Comme d’autres ont les mains dans la farine. Et j’aurais d’ailleurs aimé faire de la boulangerie. J’aurais aimé sentir l’odeur du pain chaud envahir ma soupente, à l’aube, au chevet d’un monde en train de naître. J’aurais aimé cuire des pâtes dorées comme des bijoux, et parfumées de graines puisées dans des sacs — ou pourquoi pas des amphores — en croyant ainsi participer à une histoire qui n’a pas de début ni de fin. J’aurais aimé vivre dans le rythme intemporel des métiers qui installent leurs gestes ancestraux et leur mélancolie, mais j’ai finalement choisi l’affrontement avec les effets d’une modernité qui revendique sa violence… je suis experte en balistique.
J’avais cette MAT 49 dans les mains, lourde comme une enclume entre mes doigts fins, dure comme une arme ancienne qui a trop servi, noire sous les reflets de ma blouse blanche… je la tenais comme on porte un animal endormi, dont la rage et la faim attendent le réveil (…)


La fin...

Quatrième de couverture...

Ce n’est pas tous les jours qu’on assassine une femme en pleine rue par arme à feu. Ni qu’on trouve une signature sur des étuis percutés. Alice Yekavian est experte en balistique. Béatrice Chabaud avait été capable de quitter un mari qui la battait, de retourner son destin, assez peut-être pour irriter ceux qui aimeraient que les victimes restent dans leur rôle. Qui s’est attaqué à cette militante contre les violences faites aux femmes, liée à un journaliste ayant appartenu à la mouvance d’extrême gauche ? Les équipes de police n’ont aucun doute. Cette enquête va leur demander du temps, de la minutie, de la modestie. Quand les malentendus s’enchaînent, quand les détails prennent de l’importance et qu’on n’y peut rien, quand le hasard s’invite en prenant l’ascendant sur votre intelligence, quand les suspects ont trop de choses à dire après avoir peaufiné leurs mensonges pendant des années, il suffit parfois d’un détail pour que tout s’éclaire. Ou de laisser une chance à ses intuitions.
Dans un premier roman saisissant de réalisme, Claire Raphaël nous fait vivre au plus près une enquête complexe qui est aussi une réflexion sur les violences contemporaines.


L'auteur(e)...

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Claire Raphael










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Bibliographie non exhaustive... Seuls sont indiqués ici les ouvrages chroniqués sur le site.

La Jeune Fille et le Feu