Les Gagneuses

Claire Raphael

Editions du Rouergue - Juin 2021

Tags :  Roman d'enquête Polar social Crime organisé Flic France Années 2020 Littéraire Moins de 250 pages

Edition originale

Un avis personnel...

Publié le : 24 mai 2024

Recommandé Au service balistique de la brigade criminelle à Paris, les équipes travaillent sur ce qui pourrait bien être l’œuvre d’un tueur en série ; une affaire rarissime en France, qui ne survient que tous les trois ou quatre ans. Deux jeunes femmes ont été tuées à une semaine d’intervalle par la même arme et dans des circonstances similaires.
La première, Irina, d’origine roumaine, a fui la misère de son pays pour devenir prostituée en France. La seconde a fait le choix de vendre son corps pour sortir de sa condition et devenir comédienne tout en faisant office de serveuse dans une boîte de nuit. Trois balles pour chacune d’elles.
Sans le lien établi grâce à la balistique, ce n’aurait été que deux affaires banales, deux histoires de « gagneuses » refroidies au coin d’une rue. Avec la même arme, ce n’est plus tout à fait la même chose.
En attendant, avant de traquer un serial killer potentiel, c’est sur la côte atlantique qu’est envoyée en renfort une équipe de la criminelle. Il s’agit de confondre un certain Goran, présumé trafiquant d’armes. L’opération met effectivement à jour un trafic, mais de jeunes femmes, avant que le dit Goran ne se fasse la belle par une fenêtre du commissariat pour se faire bientôt descendre au coin du bois sans autre explication, ce qui n’est pas du goût des enquêteurs…

S’il y a bien une enquête faisant office de fil rouge tout au long du récit, enquête minutieuse, détaillée, au plus proche des réalités, jamais méprisée, avec en son cœur le sort réservé à ces femmes-objets que sont les prostituées, elle apparaît bien vite comme secondaire au fil des pages.
Avec sa plume si particulière, riche et foisonnante, Claire Raphaël explore d’une part le spleen policier face à l’engagement, les procédures, la hiérarchie, les politiques menées, l’étroitesse des moyens, sans manichéisme, mais avec une vision claire tirée de ses propres expériences professionnelles. Il y a comme une forme de désenchantement dans son propos, même si la moindre étincelle peut parfois réveiller la vocation et raviver la détermination.

Nous apprenions notre métier et les mouvements de la société, en observant le lien entre la révolte et la délinquance, la bêtise et le crime, la misère et la mort. Nous apprenions à connaître la cohorte de petits nuisibles sans prétention qui logeaient sur la circonscription dont quelques-uns seulement s’illustreraient un jour dans une affaire d’envergure. Parce que la délinquance est fréquente mais le crime est très rare. La délinquance est fréquente parce qu’elle attire ceux qui se croient malins et ils sont légion, le crime est rare parce qu’il attire les esprits sauvages qui sont beaucoup moins nombreux… L’homme descend du singe, pas du loup.

Face aux policiers, Claire Raphaël s’intéresse avec la même acuité au banditisme et établit comme une philosophie du crime, une forme de théâtre où se joue une tragédie ancienne, toujours renouvelée, un pas de deux éternel entre bandits et forces de l’ordre. Avec toujours ce parfum d’une désillusion lucide, cette distance analytique qui caractérise la narratrice, Alice Yekavian.
Il y a autant de discours que d’intrigue chez Claire Raphaël, autant d’enquêtes minutieusement décrites que de circonvolutions. Et si un tueur en série apparaît bien à l’entame du récit, il disparaît bien vite dans ce déferlement d’intelligence, de sensibilité, d’humanité.
Ici, le monde est gris, ni noir, ni blanc, tout en nuances, loin de la fureur, du bruit et des projecteurs.

Je ne sais pas si le crime nous menace. Je crois que nous supportons assez bien la violence du monde tant qu’elle ne détruit pas nos symboles. Tant qu’elle se contente d’un désordre à fleur de terre, s’arrêtant aux chevilles de nos statues, dont les visages glorieux ne trahissent pas le moindre souci face au chatouillis de leur piédestal.

Et puis au cœur, en filigrane, la condition des femmes et les violences qui leur sont faites, traitées non pas avec un regard féministe, mais plutôt et plus simplement féminin.

– La police prend au sérieux toutes les affaires ; selon une hiérarchie qui dépend de la gravité pénale des faits et du profil de la victime… une hiérarchie qui ne laisse rien au hasard mais qui peut parfois sembler confuse, je le concède.
— Et les prostituées ne sont pas très bien classées.
— Sans doute. Et elles le savent. Elles s’en arrangent. Leurs droits sont peu nombreux. Elles sont esclaves. C’est leur fonction. Elles sont là pour servir de jouet à tous ceux qui n’en peuvent plus de devoir obéir à une morale trop ambitieuse.

Roman à la fois réaliste et intime, bercé par une écriture au style travaillé en orfèvre, Les Gagneuses installe indubitablement Claire Raphaël comme une voix particulière dans le paysage du polar français où son personnage Alice Yekavian apparaît clairement comme une sorte d’alter ego :

— Tu écris ?
— Certes.
— De la poésie ?
— Absolument. Ça va plus vite que le roman ; et ça évite les approximations.
— Je pourrais voir ce que tu écris ?
— Je ne garde rien. J’écris, je jette, j’ai renoncé à l’idée d’être lue. J’ai même renoncé à l’idée de plaire. Je me contente de vérifier tous les jours que je suis capable d’inventer des images qui pourraient décorer ma vie de leurs couleurs étranges…


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Quelques pistes à explorer, ou pas...

Les Gagneuses est le second volet d’une trilogie mettant en scène le quotidien d’Alice Yekavian, spécialiste en balistique au sein de la police scientifique. Il est précédé par Les Militantes et suivi par S’ils n’étaient pas si Fous, et toujours avec la même qualité.

Le début...

Les dix premières lignes...

Il pleuvait en déversoir d’un chagrin énorme, et les voitures vrombissaient en conséquence. Elles traversaient l’atmosphère dans des sifflements de gorges encombrées et les piétons allaient en cognant leurs parapluies. Je marchais vite le long du quai de l’Horloge. Je suis arrivée devant le numéro 3, j’ai franchi le portique et une grande blonde m’a bousculée comme si elle avait été plus pressée que moi. Et elle n’aurait pas eu de mal à l’être vu que je n’étais pas impatiente d’aller travailler un jour de plus, qui s’annonçait comme un jour de trop, eu égard à ma fatigue accumulée cette saison. L’automne m’épuise autant qu’il fait tomber les feuilles des arbres. L’automne est une période souvent agitée et personne ne sait très bien pourquoi. On y attrape des voyous qui ont eu le temps de dépenser leur argent pendant l’été et qui s’échinent à reconstituer leur magot. On y travaille plus et trop jusqu’à ce qu’on finisse par croire qu’on fait un métier dur (…)


La fin...

Quatrième de couverture...

Une prostituée est retrouvée morte dans un petit parc public. Son assassin n’a pas laissé de traces. Mais la même arme tue quelques jours plus tard la serveuse d’une boîte de nuit. La première victime était Roumaine, et se prénommait Irina. Isabelle, la deuxième, rêvait d’être comédienne et s’était mise à la prostitution comme pour s’affranchir d’une éducation classique qui ne lui aurait rien appris. Les deux femmes ont été tuées de la même façon, trois balles dans la cage thoracique. Deux affaires banales devenues brûlantes du seul fait de leur lien.
Dans ce deuxième roman de Claire Raphaël, on retrouve son alter ego, l’héroïne des «Militantes», Alice Yekavian, dans une enquête où souteneurs et trafiquants d’armes font bon ménage. Les gagneuses, ces filles de la rue que le monde réduit à des images silencieuses, sont parmi celles que la société abandonne le plus à la violence. Mais il arrive que la police, parfois, entreprenne de les protéger.


L'auteur(e)...

Sa trombine... et sa bio en lien...

Claire Raphael










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Bibliographie non exhaustive... Seuls sont indiqués ici les ouvrages chroniqués sur le site.

Les Militantes La Jeune Fille et le Feu