La Jeune Fille et le Feu

Claire Raphael

Editions du Rouergue - Janvier 2024

Tags :  Roman noir Polar social Psychologie Flic France Années 2020 Moins de 250 pages

Edition originale

Un avis personnel...

Publié le : 21 février 2024

Dans une cité populaire de la région parisienne, Émilie Frontenac est retrouvée morte après l’incendie de son appartement en forme de taudis, au milieu de cadavres de bouteilles d'alcool.
C'est une jeune fille qui a prévenu les pompiers, mais elle s'est enfuie à leur arrivée.
Deux hypothèses sont proposées après l'autopsie : accident domestique sous emprise de l'alcool, ou agression, sans qu'il soit possible de trancher. Une seule chose est sûre : la pauvre a souffert avant de mourir. Brûlures et asphyxie.
La victime était connue des services de police, notamment pour violence envers ses enfants. Les plus jeunes avaient été placés en famille d'accueil. Restait la fille ainée, Astrid, dix-sept ans. Sans aucun doute celle qui avait appelé les secours…

Dès les premières pages le ton est donné et l'aspect social du roman mis en avant, avant même qu'on ne connaisse le nom de la narratrice, jeune policière en charge de l'enquête (on apprendra tardivement, et subrepticement, qu'elle se prénomme Jasmine, et seulement à quelques pages de la fin son patronyme).

La France découvrait le confort et elle y prenait goût. La France devenait riche et il fallait des pauvres pour faire tourner un appareil de production grand consommateur d'hommes fragiles et disciplinés (…)
Les bourgeois vivent longtemps, portés par l’espoir et le désir, les pauvres se tuent dans l’alcool et la violence, dans des accidents ou des suicides, dans une tristesse qui devient une violence, ils n’ont que cela à faire de prendre des risques, de se faire du mal, ils n’ont pas assez d’ambition pour soigner leur apparence, ils n’ont pas assez de délicatesse pour rester prudents, ils n’ont pas assez d’argent pour épuiser leurs émotions dans des plaisirs faciles.

Ce sont aussi la police et la justice ordinaires qui sont mis en scène à travers le quotidien des enquêteurs : l'absence de moyens, les illusions perdues, les causes dérisoires. Et le constat, lucide et éclairé, est plutôt sévère pour les institutions, plus magnanime et indulgent pour ceux qui les font vivre là où elles disparaissent.
Portrait encore : celui d'une banlieue parisienne, délaissée, abandonnée à elle-même, peuplée de classes populaires en déshérence et de familles issues de l'immigration. Première, seconde, ou troisième génération. Les ratages de la société française sont mis sous projecteurs avec finesse et, là encore, le constat est rude.

L'enquête avance cependant, qu'on suit dans ses moindres détails, dans ses interrogations. Astrid, la fille disparue de la victime, est-elle coupable d'homicide ou simple témoin ? Et puis enfin, on la retrouve :

Elle portait un blue-jean, des chaussures montantes de couleur rouge, elle était un peu voûtée, dans la posture des adolescents tristes et des pénitents. Peut-être avait-elle des remords ? Je n’en sais rien. Je n’étais pas à sa place et je n’aurais pas aimé y être. La place du coupable idéal et la place d’une orpheline… La place d’une gamine qu’il faudrait plaindre mais qu’il va falloir secouer. Elle m’était sympathique comme un petit animal têtu, elle avait cette grâce des adolescents qui ont déjà souffert, dont la joie s’est blanchie dans le feu d’une violence qu’ils ont subie avant même de savoir la reconnaître… et je savais qu’on allait beaucoup lui mentir.

Le focus se resserre sur la relation mère-fille, terrible, compliquée par la solitude, la misère, le mauvais caractère, le pessimisme éternel, l'alcool, la dépression... Quant à la mise au point finale, elle s’arrête sur le visage d’Astrid, adolescente écartelée, symbole d’une jeunesse démunie abandonnée à son triste sort, qui se construit sans repères dans un monde sauvage. Certains tombent faute de jalons, de guides, quand d’autres peinent à survivre.

La banlieue n'est pas belle dans le regard de Claire Raphaël :

Un bâtiment blanc, aux fenêtres grises, alignées en ordre de marche, comme un de ces lieux qui ont été construits sans intention particulière, si ce n’est de retenir les secrets et les larmes, comme une clinique d’un genre particulier, qui voudrait soigner la pauvreté et la solitude, et les deux sont liées.

Beaucoup de noirceur dans le constat accablant des inégalités, heureusement éclairées par les interventions de quelques irréductibles qui tentent, chacun à leur manière, de restaurer un peu d'espoir, d'équilibre, ou d'apporter quelques repères : ici un entraineur de karaté, là une professeure de philo exigeante.

La beauté de la loi, c'est ce que beaucoup de parents ne savent pas apprendre à leurs enfants.

La Jeune Fille et le Feu sonne comme le portrait intelligent, dans une banlieue délaissée, d’une adolescente égarée, meurtrie, mais solide. Le feu, c’est la vie, mais parfois, ça brûle… Il faut néanmoins s’y frotter pour en connaître les dangers. Claire Raphaël, avec son humanisme désenchanté et son style léché, donne à la jeune Astrid une couleur universelle.


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Quelques pistes à explorer, ou pas...

C’est la première fois que je croise cette auteure, dont c’est aussi le quatrième roman publié, après une trilogie mettant en scène une experte en balistique pas très éloignée de celle qui tient la plume. J’y reviendrai assurément.
Au passage, saluons le travail des éditions du Rouergue qui nous abreuve de quelques pépites avec une grande cohérence éditoriale. Merci pour ça.

Le début...

Les dix premières lignes...

La victime se nommait Émilie Frontenac, et j’ai aussitôt pensé que ce nom-là avait un certain charme ; ou une saveur ancienne, je me souvenais de Mauriac.
Je me souvenais de ce livre, Le Mystère Frontenac, j’ai lu tous les romans de l’auteur quand j’étais adolescente. On me l’avait désigné comme le grand écrivain de l’époque, il était pourtant déjà mort depuis trois décennies. Mais je vivais dans un milieu très conservateur, un milieu qui cultive son style, dans l’ombre, la pudeur, la mémoire et les regrets. Un milieu qui se flattait de la qualité de ses propres souvenirs et se méfiait du présent ; un présent trop moderne, trop clinquant, trop sensuel, un présent qui joue avec ses peurs et ses tentations, et mon entourage était bien trop sévère pour aimer le jeu. Je fréquentais une école tenue par des nonnes, elles avaient peu d’imagination, elles réservaient sans doute leur cœur à des passions plus secrètes, elles se souciaient peu de l’époque, elles vivaient dans l’éternité d’une morale apprise par cœur depuis deux mille ans, et elles nous destinaient à des existences pieuses, des existences qui se nourrissent de mythologies ; elles nous faisaient lire ce qui se fait de mieux dans un monde innocent, j’avais donc lu tous les livres de Mauriac, puis j’étais passée à Balzac, Zola, Maupassant, avant de faire un grand saut vers la littérature sociale contemporaine (…)


La fin...

Quatrième de couverture...

Astrid est lycéenne. Elle vit seule avec sa mère Émilie alors qu’un frère et une sœur, plus jeunes, ont été placés en famille d’accueil. Lorsqu’Émilie meurt, brûlée vive dans son appartement, la substitut décide de confier l’enquête à l’équipe d’un commissariat local plutôt qu’à la brigade criminelle. C’est ainsi que Jasmine et son chef, Tom, héritent d’une affaire complexe. La mort de cette mère alcoolique est-elle accidentelle, ou les violences subies par sa fille se sont-elles cristallisées en une haine mortelle ?
Dans ce roman policier sensible, Claire Raphaël livre le passionnant portrait d’une adolescente suivie par les services de police. Au fil des interrogatoires, des filatures, des indices, des témoignages se dessine une personnalité complexe. Innocente ou criminelle ? Manipulatrice ou résiliente ? Perverse ou puissante ? Qui est vraiment Astrid ? Quelle jeune femme peut naître d’une enfance faite d’abandons ?
Ce polar écrit sur une expérience de terrain interroge aussi le regard que policiers, juges, enseignants, éducateurs peuvent porter sur la jeunesse d’aujourd’hui.


L'auteur(e)...

Sa trombine... et sa bio en lien...

Claire Raphael










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