La Table Ronde - Septembre 2015
Tags : Polar politique Polar social Psychologie Quidam France Années 2010 Littéraire Moins de 250 pages
Publié le : 16 septembre 2024
Le narrateur, professeur en vacances en Grèce, se remémore les évènements survenus dix ans plus tôt à Noirbourg, en Normandie, et plus particulièrement du passage d’un certain Joël Jugan.
Fils de notaire, ce dernier avait créé à la fin des années soixante-dix avec quelques amis le groupe Action Rouge afin de fédérer les esprits révolutionnaires : les syndicalistes des Forges, aux prises avec les prémices de la désindustrialisation, une jeunesse en pleine effervescence, et les Gitans du coin, pour faire bonne mesure.
On ne connaîtra jamais le nom du narrateur qui débarque à Noirbourg au détour du millénaire, alors même que Joël Jugan y revient après avoir passé dix-huit ans en prison.
Défiguré durant son arrestation, le beau gosse charismatique est devenu un monstre, mais sa colère est toujours intacte. Il a connu les fameux QHS réservés aux terroristes d’extrême gauche, les humiliations, voire les tortures psychologiques. Il ne doit sa libération conditionnelle qu’à un emploi d’aide aux devoirs auprès des jeunes des cités environnantes promis pas son ancienne complice, Clothilde Mauduit, aujourd’hui conseillère d’éducation dans le collège où officie le narrateur, et doit par ailleurs se soumettre à de fréquents contrôles. Il pense néanmoins à se venger et à poursuivre la lutte armée.
Mené d’une écriture délicate et précise, associée à une construction aussi sophistiquée que limpide Jugan est un récit à plusieurs étages se déroulant à travers trois temps distincts.
Le plus ancien remonte à la création du groupe révolutionnaire Action Rouge qui n’est pas sans rappeler, par son nom comme par ses actions, Action Directe. Jérôme Leroy y montre l’extrémisme d’une cellule révolutionnaire menée par un jeune leader idéaliste engagé dans la lutte armée pour la cause du peuple. Il y décrit, à travers témoignages et souvenirs, les engagements, les méthodes, les divergences, le jusqu’au-boutisme, qui traversaient alors l’Europe des années de plomb.
Quasiment vingt ans plus tard, le monde a changé, l’un des deux blocs politiques qui s’affrontaient s’est écroulé, la technologie a submergé la planète. Une période que Jugan a passé à l’isolement, hors du monde. Il le réintègre avec les mêmes idées, mais dès lors, c’est son extrémisme, sa brutalité, qui apparaissent.
Dix ans plus tard, le narrateur se souvient à travers ses rêves, plus ou moins fantasmés, sans que son propos, pas forcément linéaire, soit décousu. Ainsi apparaît le personnage d’Assia Rafa qu’on devine d’importance, sans pour autant savoir quel est son rôle. Son père Samir entre également en jeu, protecteur, envahissant, étouffant, pour cette jeune fille trahie trois fois par sa condition : femme, pauvre, d’origine étrangère.
Assia rêve de mondes meilleurs. Elle sera, on s’en doute, la victime de l’idéaliste révolutionnaire, sans pour autant encore savoir comment.
Et c’est justement ce procédé qui interroge les aspirations à vingt ans de distance qui fait toute la saveur du roman. Jérôme Leroy y tisse une toile pétrie d’intelligence dont son lecteur ne s’échappera pas.
La « Cause » vaut-elle plus que tout le reste ?
Si je suis certain que Joël Jugan, quand il est revenu à Noirbourg, était devenu un monstre d’un point de vue physique comme moral, je sais aussi que personne ne sort indemne d’un tel traitement et, malgré les horreurs dont il a été responsable, je me souviens aussi qu’il fut un jeune homme de dix-huit ans, décidé à changer le monde par les armes à une époque où les luttes de ce genre avaient tragiquement échoué partout, notamment en Allemagne et en Italie.
C’était à la fois absurde, démesurément orgueilleux, dérisoire et noble : il avait voulu relever le drapeau d’une armée vaincue, nier la défaite de ses jeunes aînés qui avaient posé des bombes, attaqué des banques, tué des chefs de la police, des patrons, des marchands d’armes, des hommes politiques plus ou moins corrompus. Ils avaient fini dans un bain de sang, soit qu’ils aient été manipulés par des services secrets comme une bonne partie des activistes italiens dont les ravisseurs d’Aldo Moro, soit qu’ils aient fini « suicidés » dans leur prison comme la bande à Baader. Il le savait mais cela n’avait rien changé à sa détermination.
Bref, il m’est impossible d’oublier que Joël Jugan avait voulu, avec une générosité délirante, détruire le monde dans lequel je vis aujourd’hui, qui n’est pas franchement aimable et l’est encore moins quand on sait que l’on risque bien de le laisser en l’état, si ce n’est en pire, à nos enfants, à ma petite Claire…
Quelques pistes à explorer, ou pas...
Concernant les polars et/ou romans noirs qui ont pu traiter à leur manière du terrorisme, je ne peux bien sûr que vous conseiller la lecture de Nada, de Jean-Patrick Manchette, ou encore le très bon Je Suis un Terroriste, de Pierre Brasseur, sans oublier le récent roman de Marion Brunet, Nos Armes.
Les dix premières lignes...
Deux ou trois fois par an, je rêve de Noirbourg.
Je me demande si je ne devrais pas m’en inquiéter, à la longue. Je vais avoir quarante ans et ces événements se sont déroulés au début de ce siècle, il y a plus d’une décennie, l’année où j’ai entamé ma carrière de professeur de lettres classiques au collège Barbey-d’Aurevilly. En parler, par exemple à mon médecin ou au frère de ma femme, qui est psychiatre. Si l’on y réfléchit bien, j’ai été mêlé à cette histoire de très près. J’ai eu les tympans déchirés par les coups de feu, j’ai été éclaboussé par le sang de Clotilde, j’ai dû consoler des adolescents aussi terrifiés que moi. La mode n’était pas encore à ces cellules d’assistance psychologique que l’on voit partout aujourd’hui. Si c’est le seul prix à payer pour cette affaire, quelques rêves d’une année sur l’autre, je ne m’en tire pas mal…
Quatrième de couverture...
Enseignant au collège Barbey-d’Aurevilly de Noirbourg, « en plein Cotentin, au carrefour de trois routes à quatre voies », le narrateur y voit débarquer Joël Jugan, ancien leader du groupe d’extrême gauche Action Rouge. Ce dernier vient de purger une peine de dix-huit ans. En prison, il est « devenu un monstre, au physique comme au moral ». Son ancienne complice Clotilde le recrute au sein d’une équipe d’aide aux devoirs pour les élèves de la Zone. Il y croise Assia, une étudiante en comptabilité. Très vite, Assia est envoûtée par l’homme au visage ravagé. Ensorcelée aussi, peut-être, par la Gitane en robe rouge, qui, surprise à voler dans les rayons de la supérette de son père, lui a craché au visage d’étranges imprécations.
Sa trombine... et sa bio en lien...
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