Albin Michel - Mars 2012 - Traduction (anglais) : Christophe Mercier
Tags : Roman noir Polar social Quidam Etats Unis Années 1950 Entre 250 et 400 pages
Publié le : 13 janvier 2013
Qui n'aura pas entendu parler de ce roman durant l'année 2012 ? Que dis-je roman… ce chef-d'oeuvre plutôt, salué par toute la critique bien au-delà du domaine du polar (d'ailleurs il n'est pas publié chez Albin Michel dans une collection policière, mais dans la collection Terres d'Amérique, ça fait plus sérieux). Le magazine Lire en aura même fait le meilleur roman de l'année 2012, c'est dire, tandis que l'association 813 lui décernait le Grand Prix de Littérature Policière dans la catégorie romans étrangers. Du lourd, donc…
Le roman s'ouvre sur un prologue qui met en scène Arvin Russell, alors enfant, et son père Willard, pour une leçon de vie comme aiment parfois en donner les parents à leur progéniture. Sauf que nous sommes dans le sud de l'Ohio, quelque part autour du milieu des années cinquante et que là-bas, la vie est dure…
Retour sur Willard. 1945, la guerre vient de se terminer et les hommes rentrent au pays, meurtris, choqués, de sombres images plein la tête. C'est le cas de Willard mais, hasard du destin, c'est aussi sur le chemin du retour qu'il va croiser celle qui deviendra sa femme.
Willard retrouve son patelin, sa mère, sa misère. Rien n'a vraiment changé autour de lui depuis qu'il est parti.
Donald Ray Pollock dresse le portrait d'une Amérique profonde, dure et sauvage, mais aussi engoncée dans une religiosité de tous les instants. Le bon Dieu est partout, tout le temps…
Ainsi allons-nous bientôt croiser Roy, sorte de pasteur évangéliste et son frère Théodore, qui répandent à leur manière ce qu'ils considèrent comme la bonne parole. La croyance de Roy est aussi absolue sa bêtise qui, associée à la méchanceté de son compère, l'amène à tuer celle qu'il a épousée pour pouvoir tester son pouvoir de résurrection…
Les personnages sont frustes, ils sont la sous-classe populaire des campagnes américaines comme vécue de l'intérieur. Ils sont bêtes, grossiers, incultes, violents et pour autant, malgré leurs actes, Donald Ray Pollock les traite avec une certaine tendresse, tentant de les rendre attachants, montrant l'hostilité de l'environnement.
Nombreuses sont les digressions, les personnages secondaires, qui transforment le récit, dans sa première partie, en une sorte de chronique — en creux — de l'Amérique flamboyante des années cinquante, celle qui gagne ; celle qui, là, justement, est invisible, et même si ceux que l'on croise sont, aussi, ceux qui la construise.
La prose de Donald Ray Pollock se fait douce alors que ce qu'il décrit est d'une noirceur absolue. Il y a un décalage constant entre les atrocités qui traversent les pages, les protagonistes que l'on retrouve au fil des chapitres, et le ton choisi pour ordonnancer tout cela. Et toujours cette bondieuserie étouffante…
Cependant, dès lors qu'émergent, dans une seconde partie, les quelques figures principales et qu'on s'éloigne de la chronique, certes superbe, pour se diriger vers un récit qui prend plus la forme d'une fiction, le texte perd de sa puissance. La chevauchée du couple d'assassins d'auto-stoppeurs, pour sordide qu'elle soit, n'apporte pas grand-chose au portrait. Elle permet de boucler la boucle, tout au moins.
C'est d'ailleurs le sentiment qui prévaut à l'issue de cette lecture : comme si l'auteur n'avait plus su comment se sortir de l'entreprise dans laquelle il s'était lancé trop loin et qu'il "force" le rembobinage de sa "pellicule" pour ramener tout le monde à bon port.
Le Diable, Tout le Temps est un roman spectateur auquel il manque à mon avis une dose de parti pris. Willard, Arvin, Roy, Theodore, ou encore Carl et Sandy, vivent et meurent sous nos yeux. Reste à savoir pourquoi…
Quelques pistes à explorer, ou pas...
Plus trash mais sans aucun doute aussi noir, la vision d'Eric Miles Wiliamson quant à la classe ouvrière américaine, et notamment dans Bienvenue à Oakland…
Les dix premières lignes...
En un triste matin de la fin d’un mois d’octobre pluvieux, Arvin Eugene Russell se hâtait derrière son père, Willard, le long d’une pâture dominant un long val rocailleux du nom de Knockemsiff, dans le sud de l’Ohio. Willard était grand et décharné, et Arvin avait du mal à la suivre. Le champ était envahi de plaques de bruyère et de touffes fanées de mouron et de chardon, et la brume sur le sol, aussi épaisse que les nuages gris, montait aux genoux du garçon de neuf ans. Au bout de quelques minutes, ils tournèrent dans les bois et suivirent une étroite coulée de cerf qui descendait la colline, jusqu’au moment où ils parvinrent à un tronc couché dans une petite clairière, vestige d’un grand chêne rouge qui était tombé bien des années auparavant. Une croix usée par les intempéries, faite de planches prises à la grange en ruines derrière leur ferme, penchait un peu vers l’est dans la terre meuble à quelques mètres au-dessus d’eux (…)
Quatrième de couverture...
Dès les premières lignes, Donald Ray Pollock nous entraîne dans une odyssée inoubliable, dont on ne sort pas indemne.
De l'Ohio à la Virginie-Occidentale, de la fin de la Seconde Guerre mondiale aux années 60, les destins de plusieurs personnages se mêlent et s'entrechoquent. Williard Russell, rescapé de l'enfer du Pacifique, revient au pays hanté par des visions d'horreur. Lorsque sa femme Charlotte tombe gravement malade, il est prêt à tout pour la sauver, même s'il ne doit rien épargner à son fils Arvin. Carl et Sandy Henderson forment un couple étrange qui écume les routes et enlève de jeunes auto-stoppeurs qui connaîtront un sort funeste. Roy, un prédicateur convaincu qu'il a le pouvoir de réveiller les morts, et son acolyte Théodore, un musicien en fauteuil roulant, vont de ville en ville, fuyant la loi et leur passé.
Toute d'ombre et de lumière, la prose somptueuse de Pollock contraste avec les actes terribles de ses personnages à la fois terrifiants et malgré tout attachants. Le Diable, Tout le Temps n'est pas sans rappeler l'univers d'écrivains tels que Flannery O'Connor, Jim Thompson ou Cormac McCarthy.
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...