Le Dilettante - Mars 2012
Tags : Truand Paris Années 1990 Populaire Argotique Entre 250 et 400 pages
Publié le : 28 mai 2012
C'est toujours étrange lorsqu'à l'entame d'un roman l'auteur emprunte des itinéraires que vous connaissez par chœur. Ça donne une sorte de proximité, de complicité ; on a l'impression de marcher main dans la main, du même pas. Avec Sergueï Dounovetz, j'ai souvent cette impression ; sans doute une histoire de génération. Mais avec Kleber, le narrateur d'Odyssée Odessa, c'est plus flagrant après seulement quelques lignes. Bondy, Noisy le Sec, Pantin… des souvenirs…
Mais je ne suis pas là pour vous raconter ma vie ; c'est juste une manière de dire qu'en quelques pages j'étais accroché… Bonne pioche.
Youri, jeune voyou arrogant, adepte des entourloupes en tous genres, sort à peine de prison. Il vient de purger deux ans pour trafic de cocaïne. En liberté conditionnelle, interdit de séjour à Paris, il se fait gauler par le commissaire Mérou sur les boulevards. La guigne. D'autant que le flic lui met un drôle de marché en mains…
Youri est originaire d'Ukraine, arrivé seul en France à l'âge de quinze ans et recueilli depuis quelques années par Kleber, un truand assez habile pour échapper à la police. Soit Youri renseigne le commissaire pour faire tomber Kleber, soit c'est l'avion direct pour les plaines ukrainiennes. Youri doit tout de sa vie en France à Kleber, pourtant, pris à la gorge, il accepte le deal…
Kleber quant à lui mène sa petite vie de chef de gang — genre postiche — sous la couverture de son garage où il retape quelques antiquités automobiles. Lors de leur dernier casse dans une minable agence de banlieue, ils ont récolté une grosse somme d'argent. Mais l'affaire s'est compliquée : une caméra de surveillance qu'ils n'avaient pas remarqué a filmé la scène. Il vient de recevoir une copie sur cassette où on le voit perdre son masque et dessouder un témoin trop entreprenant. Pour Kleber, c'est la goutte d'eau… Il se fait vieux, il est temps pour lui de décrocher.
On aurait presque pu se contenter de ces deux figures de gangsters tout droit sorties des meilleurs films policiers français des années soixante ou soixante-dix — dialogues inclus — et de leurs aventures échevelées. Sergueï Donovetz choisit néanmoins de leur adjoindre à chacun une partenaire, et pas des moindre. Deux femmes sublimes…
Eva, la femme de Kleber, celle pour qui il vit, beauté fatale et mûre qui tient un salon de coiffure en banlieue. C'est d'ailleurs là que débarque Bérangère, canon eurasien envoyé par l'ANPE. Youri croisera bientôt la jeune stagiaire au sang chaud. Coup de foudre respectif.
On aurait pu se contenter de deux voyous… mais c'est à quatre que se fera l'aventure. Double plaisir. La trahison de Youri n'était bien sûr qu'un leurre ; on est au pays des bandits d'honneur et c'est donc à leurs trousses que se fait le récit. Ensemble, ils vont devoir défendre leur peau.
C'est rythmé comme un bon rock, débordant d'énergie, servi par des dialogues que ne renieraient ni Audiard, ni Simonin, ni Blondin. La verve et la gouaille de Sergueï Dounovetz sont au rendez-vous pour servir avec imagination cette histoire de voyous au grand cœur qui aurait sans doute pu faire l'objet d'une belle adaptation au cinéma.
C'est d'ailleurs sans aucun doute un hommage un peu nostalgique aux grandes heures du polar à la française, quand les Verneuil, les Lautner, les Giovanni, les Melville tenaient le haut de l'affiche en s'inspirant des meilleurs plumes de l'époque.
Odyssée Odessa a cette saveur inoubliable, rajeunie et entretenue par un auteur trop souvent oublié.
Quelques pistes à explorer, ou pas...
Ils sont nombreux dans cette veine… Lisez ou relisez Amila, A.D.G., Simonin, et j'en passe…
Les dix premières lignes...
— Personne ne bouge ! C'est un hold-up ! Levez les bras ! Plus haut ! On bouge plus, j'ai dit ! C'est pas le carnaval ! C'est un casse ! On va pas être longs ! Si vous vous tenez peinards, tout se passera bien ! On bouge pas, bordel ! Je le répéterai pas ! Le premier qui fait le con, je l'arrose ! Toi, le beauf à moustaches ! Plus haut, les bras ! Et t'avise pas de faire le mariole ! Ma Joséphine, c'est l'instrument du diable, le prolongement du doigt du Judas ! Les pruneaux qu'elle envoie sont fourrés à la douleur, ce sont les baisers de la mort ! Tu veux les goûter, guignol (…)
Quatrième de couverture...
Kléber étala la viande sur la table et la coupa en morceaux, à l'aide de son Pradel. Ce fut Tépaz l'un des piranhas, qui, le mieux placé, attrapa le premier morceau de bœuf. Son frère Arsène se ruait déjà pour lui bouffer la gueule. Dora, la murène des sables, doucement ondula jusqu'à la surface l'eau. Elle fixa Kléber de ses deux billes d'acier. Le TV Killer balança le reste de la viande, en vrac. Un gros bouillon se produisit. Youri, fasciné par spectacle, s'était approché :
— C'est beau.
Kléber qui était un fameux bricoleur avait transformé le vieux Continental Edison en aquarium :
— C'est mon émission préférée.
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...