Viviane Hamy - Mars 2011
Tags : Roman noir Roman historique Psychologie Quidam Littéraire Entre 250 et 400 pages
Publié le : 18 juin 2011
Avril 2008. Georges Crozat, dit le Mur, est un boxeur vieillissant mais qui réussit encore à gagner des combats, à l'énergie du désespoir, à l'expérience, in extremis. Georges Crozat qui, la mort dans l'âme tant sa vie est sur le ring, se prépare à raccrocher les gants et à se contenter de son boulot de flic.
Après cette ultime victoire qui le laisse meurtri comme une défaite, il reçoit deux propositions. La première de Kravine, un manager pourri, qui souhaite lui assurer encore quelques combats arrangés pour faire mousser ses jeunes recrues ; la seconde de Paki, un forcené de la gonflette, videur de boîte, qui fréquente la salle de boxe et lui assure cinq cents euros pour infliger une raclée à un amant indélicat.
Crozat ne roule pas sur l'or. Dégoûté par Kravine, mais incapable d'ignorer ses poings, il accepte, non sans hésiter, l'invitation de Paki…
Mai 1957. La France mobilise sa jeunesse pour envoyer des troupes en Algérie pour ce qui n'est pas une guerre. Pascal Verini est de ceux qui partent ; d'abord dans un camp d'entraînement, en France, puis vers le continent africain en transitant par Marseille dont il ne verra rien. Il passe ensuite une sorte de stage où lui sont infligées en continu les images des atrocités commises par le FLN. Un bourrage de crâne destiné à confirmer l'existence de l'ennemi et à développer un rejet des Arabes. Enfin, il est affecté dans un camp reculé, dans les montagnes.
Verini ne comprend rien à la guerre, n'en voit rien sinon deux peuples qui se côtoient et s'ignorent dans la méfiance. Rien de plus que ce qu'il a déjà connu à l'usine Aluvac, à Nanterre, avant de partir…
De fait, il se rend vite compte qu'il a été transféré dans un centre d'interrogatoire où se pratique la torture. Un DOP. Parmi les appelés, les engagés, les militaires de carrière, il est un des seuls réfractaires à refuser de donner un coup de main dans la cave. Mais il faut supporter les cris, à longueur de journée, de nuit parfois, et garder le secret…
De mes premières "rencontres" avec Antonin Varenne (ses deux premiers romans : Le Fruit de vos Entrailles et Le Gâteau Mexicain), j'avais gardé le souvenir d'une grande fantaisie et d'une imagination débordante peuplée de personnages hauts en couleur. C'est donc un peu surpris que j'ai découvert l'ambiance de son quatrième opus. Rien de fantaisiste ici, l'ambiance — les ambiances — sont sombres et pesantes.
Celle qui entoure Georges Crozat pour commencer, pauvre hère solitaire, flic de base qui met son existence dans ses poings et ses gants et voit venir l'instant où celle-ci va s'écrouler, atteinte par la limite d'âge. Le noble art a ses règles. Le roman s'engage d'ailleurs sur un combat de boxe ; une incroyable scène qui vous plonge au cœur du ring au moment du quatrième round, et qui, jusqu'à l'hypothétique victoire, vous fait encaisser les coups, sentir la douleur mais aussi le fond de l'âme de ce sport si particulier. Autour du ring, l'âme n'a plus sa place.
L'ambiance, en Algérie, cinquante ans plus tôt, n'a rien d'engageant. Verini, qui est parti en "cachette" de son père communiste, est plongé dans une guerre qui ne dit pas son nom et, comble de l'ironie, dans un camp où l'on pratique une torture systématique qui n'existe pas. Il résiste, tente de garder l'esprit clair en compagnie de quelques amis peu nombreux mais qui, comme lui, ne se laissent pas porter par le flot ambiant, ne prennent le pas de celui qui marche devant.
Les deux récits sont menés longtemps en parallèle. Crozat enchaîne les séances de coups de poings rémunérées et comprend assez vite que pour ses victimes il ne s'agit pas d'histoires de vertu. Jusqu'au jour où il doit tabasser un vieil Arabe et qu'il ne peut se résoudre à le toucher.
Verini, quant à lui, doit survivre en enfer, au milieu des cris des victimes, des quolibets des bourreaux et de quelques prisonniers "retournés" qui travaillent au camp, comme Ahmed, l'homme à tout faire, ou Rachid, le fier Kabyle.
À travers ces deux récits qui finiront, bien sûr, par se rencontrer, Antonin Varenne revient sur les silences qui entourent ces fameux "événements" qu'on n'a jamais voulu qualifier de guerre. La pratique systématique de la torture par le gouvernement français de l'époque, sous couvert d'indispensable renseignement, est évoquée à travers Pascal Verini, un simple bidasse comme les centaines de milliers qui furent envoyés là-bas à la fin des années cinquante. Et si lui résiste, ne participe pas à la boucherie, il en est le spectateur, engrangeant pour toute une vie les images des horreurs commises. On ne partage pas un tel fardeau, pas même avec ceux avec qui on l'a vécu.
Cinquante ans plus tard, ceux-là vont mourir et le silence est toujours de mise, sous différentes formes. Il sera bientôt remplacé par l'oubli lorsque la mort les aura enfin rattrapés et qu'ils emporteront dans leurs tombes leurs souvenirs.
La guerre d'Algérie est une sale guerre. Antonin Varenne, d'une plume au style implacable, nous le rappelle amèrement en soulignant comment elle a, comme les autres mais sans doute plus encore, brisé des vies. C'est dans l'humanité de ses personnages qu'apparaissent les traces des atrocités, dans le silence qu'on leur a imposé sur ce qu'ils ont vu ou vécu.
Personne ne parle de la guerre d'Algérie. On ne raconte pas une sale guerre. C'est pourtant ce qui est ici magistralement réussi. Et l'on comprend alors qu'Antonin Varenne ait perdu à cette occasion sa fantaisie…
Quelques pistes à explorer, ou pas...
Sur cette période de l'indépendance, des guerres coloniales, mais du côté du Maroc cette fois, lire l'excellent 55 de Fièvre de Tito Topin.
Accessoirement, le roman d'Antonin Varenne évoque avec beaucoup de justesse l'univers de la boxe. Sur le même sujet, lire le second opus de Philippe Georget, Le Paradoxe du Cerf-Volant.
Les dix premières lignes...
Avril 2008
Des jours que j'ai ce mec en face de moi.
Cette salle, elle était différente, mais je la connais. Pas la première fois que je combats ici.
Quatrième round.
Le ring est dur. Les vieux bourrins préfèrent les terrains lourds.
Kravine a dopé son mec. Deux reprise que je le cueille.
Des bras, le salaud. Des bras mais pas de ventre. J'vais rentrer dedans. La dope va la lâcher. Il lui restera ses vingt ans. Qu'est-ce qu'on sait à vingt ans (…)
Quatrième de couverture...
Un voyage âpre dans le temps : 1957-2009. Dans les mois qui précédèrent sa mort, le père s'était décidé à dire son « refus » de partir pour l'Algérie, et la sanction qui s'ensuivit : l'affectation dans un DOP, un de ces lieux destinés à la « recherche du renseignement par la torture ».
Le talent d'Antonin Varenne a fait le reste. Un exercice sur le fil de l'émotion et du besoin d'exorciser.
Le Mur, le Kabyle et le Marin… Un combat contre l'oubli. 2009. Sur un ring, un boxeur observe sans complaisance l'adversaire qu'il va affronter, un gamin de vingt ans…
Faisant fi du manichéisme, le roman bouleverse par la justesse du plus humble de ses personnages, comme par son intuition des rêves d'une génération saccagée.
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...