Gallimard / Série Noire - 1983
Tags : Roman noir Polar social Crime organisé Discrimination Corruption Quidam Afrique du Nord Années 1950 Moins de 250 pages
Publié le : 31 janvier 2006
1955, Casablanca, veille de 14 juillet, veille d'indépendance...
Georges, jeune fils de famille, raccompagne Gin au volant de sa belle décapotable.
Tout le monde l'appelait Gin, comme l'alcool, mais elle s'appelait Ginette, ce qui était beaucoup moins enivrant.
Profitant d'un arrêt imprévu sur la colline, Georges tente sa chance à
l'aide de quelques approches suggestives mais Gin n'est pas d'accord ;
elle se réserve pour Manu qui rentre demain du service, et puis Georges
est un gars bizarre... L'autre insiste, lourdement, le cerveau dévoré
de désir et embrumé par le whisky, au point que la fille s'enfuit dans
la nuit.
Malheureusement pour elle, lorsqu'elle
finit de dévaler la pente et rejoint enfin la route en contrebas,
Georges est au rendez-vous et l'agresse sauvagement avant de la violer.
Sur cette colline déserte, en pleine nuit, Georges est bien sûr de ne
rencontrer personne, mais cette fois il se trompe : quelques marocains
ont assisté à la scène et recueilli la fille tandis que lui rejoignait
la ville proche et ses néons interlopes...
Tito Topin retrace avec une étonnante mémoire (le roman a paru en 1982)
l'ambiance de Casablanca en particulier et du Maroc en général en cette
année 1955. Sa propre mémoire puisque c'est là qu'il a lui-même passé
ses jeunes années. On y découvre une faune dégingandée, une jeunesse
française quelque peu désœuvrée, pas forcément argentée mais qui ne
tend qu'à profiter de la vie pour meubler son ennui. Les garçons sont
beaux, insouciants, les filles faciles...
En face d'eaux, les marocains qui vivent dans la peur et sous l'oppression
coloniale, rabaissés au rang de "bétail", peut-être même encore moins
considérés par certains. Mais les consciences s'affutent et l'heure est
à la lutte pour l'indépendance.
À travers une intrigue finement construite, Tito Topin arrive à mettre en
lumière, de l'intérieur, plus du côté humain que politique, les
antagonismes exacerbés de deux communautés qui se chevauchent sans
jamais vraiment se rencontrer autrement que dans la violence. Chacun
chez soi !.. Sauf que certains sont sur la terre qui les a vus naître,
tout comme leurs ancêtres, tandis que les autres la possèdent...
La manipulation de ce viol, les accusations infondées envers les arabes,
ou en tout cas pas pour les motifs évoqués, sont l'occasion de rappeler
quelques pratiques coloniales, les luttes d'influence à la tête du
pouvoir, la corruption et l'imbroglio d'intérêts divers qui attisent
les haines aveugles.
Par une construction hachée qui met en scène de nombreux personnages secondaires, par ses chapitres courts et en procédant par ellipses successives, Tito Topin va en accélérant son récit, faisant monter graduellement un intensité
dramatique qui ne faiblit jamais. Il y a dans ce roman des passages
d'une rare puissance ou l'auteur, en quelques phrases, évoque toute la
brutalité, la violence, l'horreur des foules galvanisées, haineuses ou
l'impossible rencontre de deux mondes qui s'affrontent...
Un voyage à l'intérieur de la colonisation, par un de ses "spectateurs",
quarante-huit heures pour tenter de comprendre, un peu.
Quelques pistes à explorer, ou pas...
Dans le même registre et du même auteur, il semble bien qu'il ne faille pas louper Piano Barjo.
Les dix premières lignes...
La Buick noire avança sans bruit, glissant sur le goudron encore mou et se
rangea doucement sur un belvédère herbu, interrompant net la
stridulation des grillons nocturnes.
Les pneus aux flancs blancs firent un dernier tour et s'immobilisèrent dans l'herbe chaude.
En bas de la colline, le large océan était d'asphalte avec de brusques
élancements de vagues chromées qui rayaient le nuit de trait
fluorescents.
Les piscines argentées scintillaient comme des poissons morts dans les établissements du bord de mer. Leurs noms seuls auraient suffi à faire bronzer une colonie d'albinos. Acapulco. Tahiti-Plage. Miami. Sun-Beach.
Kon-Tiki (...).
Quatrième de couverture...
La ville avait la fièvre. Une fièvre qui suintait de sueur chaude, qui
tordait les intestins et brûlait les poitrines. Georges réprima un
frisson. Sa bouche était sèche et sa langue tannée comme un vieux cuir,
son visage tuméfié se brouillait de barbe naissante, ses membres lui
faisaient toujours mal. Il lâcha le cou de la fille. La tête tomba sur
les deux seins, les bras balancèrent, les genoux fléchirent et le
cadavre bascula en avant.
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...