Gallimard / Série Noire - Juillet 1968
Tags : Roman noir Polar social Arnaque Truand Paris Historique (avant 1930) Littéraire Argotique Moins de 250 pages
Publié le : 15 juillet 2009
Johnny, qu'on surnomme le Hotu pour son allure bien mise, est un escroc, un petit brigand qui rêve de grandeur en se frottant à la bourgeoisie parisienne. Il entraîne à ses côtés Petit-Paul, tentant par tous les moyens de l'affranchir et de lui faire perdre ses allures de natif de Saint-Ouen. Johnny vise haut…
De Johnny, Petit-Paul savait plus que penser. Des moments, alors que ce mec vannait sur sa vie à New York, les arnaques mirifiques qu'il avait montées, en cheville avec des potes ricains, on pouvait croire être pris au col, se trouver face à un bidonneur ; et puis, l'heure suivante, ou le lendemain, sous votre pif, crac, cézigue fonçait dans un coup de dingue, tout comme si l'existence des perdreaux avait été une légende, et celle du ballon un faux bruit que les caves faisaient courir pour décourager les voyous entreprenants.
Orphelin, Johnny est entretenu par sa marraine, Irène, qui n'est pas insensible au charme de son filleul, même si celui-ci aurait plutôt tendance à la mépriser. Depuis qu'il est passé par les Etats-Unis, Johnny ne pense plus qu'argent, grosses bagnoles et petite femmes, et compte bien, de manière entreprenante, faire tourner sa petite affaire.
Petit-Paul, c'est un peu l'inverse. Enfant de Saint-Ouen, petit brigand miséreux ayant déjà connu la prison, il préfère les petits coups à sa hauteur, les arnaques minables mais sans risque et, en compagnie du Hotu, a bien du mal à se défaire de ses habitudes.
Johnny est un organisateur malicieux qui navigue en solitaire en dehors des courants. Il n'a qu'une religion : le pognon, le carbure ; et qu'une idée en tête : aller le chercher là où il se trouve, c'est-à-dire chez les riches, les caves, les bourgeois, tout en maîtrisant au maximum les risques encourus. L'équipe est réduite à la portion congrue : lui et Petit-Paul. Et bientôt, l'argent commence à rentrer.
Petit-Paul, qui n'a jamais connu la richesse, se fait un peu remarquer, et lors d'une bagarre, en spécialiste du coup de boule, laisse derrière lui le cadavre de Fernand le Plombier.
Si cet accident lui vaut une forme de reconnaissance de la part de « Messieurs les Hommes » — on l'appellera désormais Paulo — elle attire aussi sur lui les yeux de la police et de l'inspecteur Jaspin qui a perdu avec Fernand son meilleur indicateur. Et ça, pour les affaires du Hotu, ça n'est pas très bon…
Nous sommes à la fin des années vingt, dans le Paris de l'entre-deux guerres. La crise économique qui va frapper aux États-Unis puis en Europe n'a pas encore débuté, et c'est à une tendre chronique du milieu parisien que ce livre Albert Simonin, nous le montrant à travers le regard décalé du Hotu. Johnny ne fait par partie de ce milieu, de ceux qu'on appelle « Messieurs les Hommes », il en adopte juste quelques codes et les côtoie puisqu'il se livre, lui aussi, au brigandage, à l'arnaque. Mais là où Simonin montre des truands peureux, sans envergure ni ambition, vivant au crochet de leurs gagneuses, Johnny, qui a connu New York, voit son avenir en grand, à la manière de l'american way of life…
Le Hotu est une chronique, et dès lors, on ne peut pas dire qu'il soit traversé d'une véritable intrigue ; tout juste plutôt une sorte de fil rouge qui tient à la mort de Fernand le Plombier et à ses conséquences. Mais à suivre Johnny et Paulo dans leurs pérégrinations quotidiennes, c'est tout le Paris des années trente (ou presque) qui se dévoile, ses petits métiers, ses rues, une époque où les maisons étaient encore "closes"…
C'est aussi, pour Paulo, le petit banlieusard, le petit "français", l'occasion d'un changement de statut social, d'une évolution des mœurs. Le monde est en train de changer.
(…) Petit-Paul est aux prises avec la fragile notion de liberté. Depuis qu'il a souvenance de penser, il s'est toujours trouvé une règle pour s'opposer à ce qu'il soit heureux, à ce qu'il fasse les choses plaisantes qui égayeny l'âme. Contre le règle des patrons, il s'est réfugié dans le grinche et l'arnaque : les bourres ont surgi. Contre la règle res perdreaux, il vient de se réfugier dans le mitan, chez les hommes libres ; et voilà qu'on prétend lui appliquer la règle du mitan ! Où elle est, il demande qu'on le lui dise, Petit-Paul, la liberté, dont tout le monde a plein la gueule, et qui n'est à chaque fois qu'un moyen d'empêcher la pauvre mec de briller ?
Et puis, au final, mais surplombant le récit de la première à dernière ligne, il y a cette magie de la plume de Simonin, cet argot absolument intégré qui fait chanter la langue française, se mariant ici admirablement à une syntaxe des plus classique. Chaque phrase ou presque est à savourer. On aurait envie de se lever et de déclamer à haute voix ces tirades intrépides. Un vrai bonheur de style !
Quelques pistes à explorer, ou pas...
Le Hotu n'est que le premier volet d'une trilogie intitulée Chronique de la Vie d'un Demi-Sel et qui se poursuit avec le même bonheur par Le Hotu s'Affranchit et Hotu Soit qui Mal y Pense.
L'ensemble a été réédité en un seul volume en 2009 chez La Manufacture de Livres.
Heureuse initiative…
Les dix premières lignes...
D'un coup de châsses en chanfrein, Petit-Paul frimait le garçon. Incliné à quarante-cinq degrés pour verser le caoua, ce loufiat lui apparaissait, l'heure de la tortore révolue, et celle de l'addition approchant, beaucoup moins débonnaire qu'il n'avait semblé au moment des hors d'œuvre. Mis en relief par la lumière rasante de la lampe fanfreluchée posée sur la table, l'implantation basse des crins raides sur le front, les sourcils broussailleux, et les méplats des maxillaires taillées comme à la hache, évoquaient l'homme des bois.
Petit-Paul pensa que la décarrade allait pas être du mille-feuilles. Sans être positivement balèze, le gonze devait tenir sur ses cannes et malgré ses quarante piges ne pas renâcler à la châtaigne. Restait bien sûr la pointe de vitesse au démarrage pour départager le cave des marloupins (…)
Quatrième de couverture...
« On demande apprenti-truand, beau gosse, élégant, pas étouffé par les scrupules, ayant appétit pour argent facile et horreur du boulot. Avenir assuré. »
Ne lisant nulle part une annonce ainsi rédigée, Johnny s'était mis à improviser, à innover même, cherchant la méthode rationnelle pour faire tomber sans risque l'affiche des caves (et des cavettes).
Pas tellement cupide, ce qu'il ambitionnait surtout, Johnny, ç'aurait été de devenir un chef d'école. Petit-Paul, son premier disciple, l'admirait beaucoup. Mais dans le milieu, certains aimaient pas son genre.
Ceux-là l'appelaient : le Hotu !
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...