Rivages / Noir - Mai 2009
Tags : Roman noir Polar social Polar urbain Flic France Années 2000 Entre 250 et 400 pages
Publié le : 17 juin 2009
Le roman s'ouvre sur un prologue apocalyptique où l'on voit une sorte de prophète-gourou — le Conseiller — promettre pire que l'enfer à une population de laissés pour compte qui le connaît déjà, l'enfer, dans un décor monstrueux de ville sans âme, de banlieue délabrée, de cité HLM, et les entraîner à la construction rédemptrice d'une sorte de temple contre la colère du Dieu Rassembleur des Quinze Religions : il s'agira de la Maison pour la Paix des Cœurs…<
Avant l'arrivée du Conseiller, les gens de la cité ne se parlaient pas, se croisaient sans le moindre échange, baissant la tête, ignorant les autres existences comme ils ignoraient la leur. Un silence régnait qu'aucun oiseau ne venait troubler, faute de branches pour se poser, ni de balcons ni de gargouilles ou d'antennes de télévision, lesquelles avaient été remplacées par des paraboles pour les plus chanceux et par des couvercles de couscoussier pour les autres. Il y avait bien des nuées d'oiseaux noirs qui traversaient le ciel mais ils ne s'arrêtaient pas, ils accéléraient au contraire le battement de leurs ailes pour s'éloigner au plus vite de cet espace abandonné de Dieu.
Engageant, non ?…
Non loin de là, nous allons bientôt découvrir Weissman, prisonnier au commissariat pour un simple contrôle positif d'alcoolémie, et qui va s'échapper en tuant d'abord un gardien, puis l'infirmière venue lui faire une prise de sang.
Ce sera ensuite au tour du commissaire Ballard d'entrer en scène en participant à un débat télévisé sur la délinquance. Plutôt progressiste, il tente de faire comprendre à ses interlocuteurs qu'aujourd'hui les vrais bandits sont en cols blancs et qu'on a souvent trop tendance à faire porter la responsabilité du sentiment d'insécurité sur ce qu'on appelle la "petite délinquance". C'est un coup de téléphone de sa hiérarchie qui interrompra son discours et le mettra sur la piste d'un homme qu'il ne connaît pas encore : Weissman.
Je me souviens avoir senti chez Tito Topin, à la lecture des épisodes mettant en scène le personnage de Bentch, comme un regard profondément désabusé sur l'évolution de notre société. Le "message" passait alors plus ou moins bien, donnant un côté assez "réac" au propos qui pouvait passer pour une sorte de sempiternel « c'était mieux avant ».
Il semble qu'avec ce nouveau roman, Tito Topin ait souhaité aller au bout de sa démarche, de son discours, précisant ainsi sa pensée.
Et le résultat, montré, disséqué, n'est pas beau à voir…
La ville, la banlieue, que décrit l'auteur, est une zone évidente de non-droit dans laquelle va se réfugier Weissman, meurtrier "gratuit" d'un homme et d'une femme. À sa poursuite, lancé sur sa trace par une hiérarchie calculatrice, le commissaire Ballard, chez qui semble encore émerger quelques zones d'humanité.
On pourrait penser que cette atmosphère de fin du monde s'inscrit dans le futur, mais tout le discours de Tito Topin le rend trop proche pour qu'on le croît au final futuriste. Il y a ce Conseiller, en train de construire son temple (sa mosquée ?) sur les fondements de la misère ; il y a cette violence aveugle incarnée par Weissman qui tue pour un alcotest positif ; il y a le mépris dans lequel est tenu toute une frange de la population, délaissée, abandonnée, récupérée par un aveugle (le Conseiller) redonnant un semblant de sens à leurs vies ; il y a Ballard qui voudrait encore croire — à l'amour, par exemple — mais que tout pousse à sombrer vers toujours plus bas, toujours plus noir.
— Vous êtes flic par goût de l'ordre, de la justice.
— L'ordre, je m'en fiche, je trouve même que c'est dangereux mais pour la justice, j'avais confiance en moi. Comme un con je me disais qu'avec mes grandes épaules, je pourrais en apporter un peu à ce pauvre monde mais la réalité m'a vite rattrapé.
Le constat de la déliquescence est douloureusement amère. En forçant le trait subtilement, Tito Topin souligne nombre de dérèglements et décrit une société à la fois proche et lointaine. Un monde qui fait peur ; l'Apocalypse derrière la porte.
Le roman est extrêmement sombre, mais l'idéalisme moribond de Ballard brille encore, heureusement. Quant à la plume, elle reste vive, taillée en pointe, piquante et tranchante. L'ami Topin prouve à nouveau qu'il a bien retrouvé toute sa verve et son talent.
Quelques pistes à explorer, ou pas...
En matière de constat, on peut rapprocher ce roman de celui de Thierry Jonquet, Ils Sont Votre Épouvante et Vous Êtes Leur Crainte.
Les dix premières lignes...
Les premiers parpaings furent dérobés sur un chantier pavillonnaire à la limite de la commune. Malgré leur quantité, ils suffirent à peine à délimiter au sol les contours du bâtiment qui apparut gigantesque à ceux qui jusque-là ne l'avaient rêvé et imaginé que sur le papier.
Il arriva alors qu'un vieil homme échoué là après une médiocre carrière dans l'armée de terre, où il s'illustra dans des guerres perdues sans parvenir à obtenir le grade de caporal, émit des doutes sur le bien-fondé du projet. Il fut lapidé à coups de brique (…)
Quatrième de couverture...
Au milieu d'une cité misérable oubliée des dieux, un étrange individu subjugue la foule, à qui il ordonne d'édifier un monument. Il est leur messie. La cité abandonne sa routine, pour se consacrer, pleine de ferveur, à cette tâche nouvelle. Pendant ce temps, Bruno Weissmann tue un flic et s'évade du commissariat où il avait échoué pour conduite en état d'ivresse, avant de rejoindre la nouvelle communauté, devenue le refuge des âmes perdues. Le commissaire Ballard ne comprend pas comment on peut tuer pour éviter, au pire, une simple suspension de permis, mais cela fait des années qu'il n'a plus l'impression de comprendre grand-chose. Quand une guerre éclate ouvertement entre la police et l'armée des illuminés, Ballard, coincé par sa hiérarchie, est chargé d'une terrifiante mission au coeur d'un monde apocalyptique.
La vision crue, hallucinée, d'une société en pleine déliquescence qui pourrait être la nôtre dans un avenir proche.
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...