Gallimard / La Noire - Mai 1998 - Traduction (italien) : Arlette Lauterbach
Publié le : 26 décembre 2007
Un officier allemand : « C’est vous qui avez fait Guernica ? »
Pablo Picasso : « Non, c’est vous. »
L’Histoire recèle une multitude d’angles morts qui fournissent autant de matériaux à une littérature qui souhaite approcher, un tant soit peu, cette notion insaisissable que l’on appelle avec un air accablé, la nature humaine. Bien souvent, cette mémoire des vaincus, pour paraphraser le titre d’un roman de Michel Ragon, s’avère beaucoup plus proche de la réalité que le compte rendu stéréotypé des lendemains qui chantent, quelle que soit la chapelle sous laquelle se rangent ses laudateurs. Bien souvent, c’est dans le malheur, le désespoir que l’humain se dévoile.
La guerre d’Espagne, puisque c’est le sujet de ce roman, fait partie de ces événements oubliés dans un angle mort de l’Histoire et pourtant, susceptible d’occasionner encore la sortie de route fatale, comme en témoigne près de soixante ans plus tard, le débat haineux autour de la réhabilitation de la mémoire des combattants républicains.
Si l’on cherche un peu — pas longtemps, je vous rassure —, on constate que l’événement a généré de nombreux ouvrages littéraires. Des livres écrits par des témoins ; parmi ceux-ci citons, l’incontournable Hommage à la Catalogne de George Orwell, le méconnu Ceux de Barcelone de Hanns-Erich Kaminsky, le déchirant Les Grands Cimetières sous la Lune de Georges Bernanos (qui prouve que l’on peut être catholique de droite et honnête homme), l’officiel L’Espoir de l’aventurier saltimbanque André Malraux (je recommande surtout la lecture de la première partie) et bien d’autres titres que j’oublie… veuillez accepter mes excuses. Et puis, des romans dont beaucoup, comme par hasard, lorgnent vers le champ du polar. Inutile de vous citer quelques titres… non ? Si ? Allez, je ne peux résister, en voici quelques-uns piochés à la louche dans ma mémoire : Les Soldats de Salamine de Javier Cercas (indispensable !), Belleville-Barcelone de Patrick Pécherot, Une Charrette Pleine d’Étoiles de Frédéric H. Fajardie, Moi, Franco de Manuel Vãzquez Montalbãn et puis Carlo Lucarelli…
Sans revenir sur le récit de Guernica — le résumé de la quatrième de couverture le fait très bien — indiquons tout de même au passage, la grande qualité de plume de l’auteur et l’économie de moyens avec laquelle, il restitue la cruauté du conflit espagnol. Au lieu de nous narrer la énième variation sur ce qu’aurait pu être l’Histoire, si la bassesse et la trahison ne s’en étaient pas mêlées, le roman de Carlo Lucarelli nous immerge dans ce qui est le quotidien de l’humanité depuis qu’elle est entrée dans l’histoire. Un quotidien, bien plus prosaïque que le récit quasi-hagiographique des récits historiques, chroniques et autres joyeusetés avec Majuscules. Un quotidien en temps de guerre agrémenté ici d’une pincée de fantastique. Lucarelli nous expose le périple et la relation tragi-comique d’un Don Quichotte italien, ami personnel du comte Ciano, débarqué de son Italie natale dans l’uniforme rutilant du Bersaglier afin d’honorer, pour une femme, la mémoire de son ami d’enfance, et d’un Sancho Pança d’importation, rustre par nature, revenu de tout, obsédé par le sexe, l’argent et essentiellement attaché à sa survie personnelle.
Bref, un roman noir à l’humour grinçant, détaché des poncifs du manichéisme militant et qui tient peut-être plus de la fable, mais dépourvue de la prétention d’asséner une quelconque morale lénifiante.
Où étions-nous ? Dans l’Espagne rouge ou dans la noire… en Castille, en Navarre ou en Andalousie… au Pays basque… à Guernica ? Où étions-nous, mon capitaine et moi ? Je ne le savais plus.
Quelques pistes à explorer, ou pas...
Pourquoi pas La Lune d'Omaha de Jean Amila et sans aucun doute les autres romans de Carlo Lucarelli.
Les dix premières lignes...
« Donde estan tus compañeros ? » gronda le coronel en lui pinçant violemment les joues avec ses griffes noires, mais le profesor, comme un poisson pris à l’hameçon, ne laissa échapper de ses lèvres écrasées qu’une bulle de salive noire et le coronel le frappa au visage de son poing maigre jusqu’à ce que sorte de son nez un jet de sang rouge de communiste, chaud dans cette nuit froide de Madrid (…)
Quatrième de couverture...
Espagne, 1937. Filippo Stella est un espion, agent double, contrebandier et tueur à gages. Un jour, on l’oblige à servir d’ordonnance au capitaine Degl’Innocenti, débarqué en Espagne pour ramener en Italie la dépouille d’un « ami-camarade-mort » touché à la poitrine par une rafale de mitraillette. Mais le corps désigné par les autorités franquistes n’est pas le bon. Et l’officier ouvre une enquête.
Sur fond d’un pays éprouvé par une guerre inutile et cruelle, s’articule le rapport dramatique et visionnaire d’un Don Quichotte et de son écuyer ambigu. Une enquête et aussi un songe, entre Picasso et la légion Condor, Hemingway et le sifflement des stukas.
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...