Après la Lune - Mars 2011
Tags : Roman noir Polar social Polar militant Quidam France Années 2000 Original Moins de 250 pages
Publié le : 28 mai 2011
C'est une collège, une lycée, une « réserve » comme ils disent, eux, les adolescents qui la peuplent. Ils sont plusieurs, s'expriment à tout de rôle, avec leur langage propre ; un dialecte recomposé qui emprunte à l'époque.
Une « réserve » : le mot est bien choisi, clair, concis, efficace. Pas comme de l'autre côté de la barrière — autrement dit dans « L'Élévation Nationale » — où de simples élèves deviennent des « apprenants » et les cours des « instants de transmission de savoir »…
Et ils ont des choses à dire ces ados sur le système éducatif censé les encadrer, les accompagner ; un système qui avoue ses défaites.
La première partie du roman est un état des lieux à plusieurs voix, vu de l'intérieur. À travers Jonathan, Roman, Chloé et quelques autres, Sylvie Cohen nous livre sa vision du monde de l'éducation dont l'école n'est qu'un rouage.
Examinez en format extérieur un bébé dans un supermarché : c'est tout juste si ce n'est pas lui qui remplit le caddy et les géniteurs se font trimballer dans le chariot par leur crétin en couches culottes.
On organise des stages de remise à niveau parental pour inventer un remède miracle à la prolifération du virus violence et rétablir l'autorité. On coache les géniteurs. Géant. On n'arrive à aucun résultat. Le formateur remplace donc tout reproducteur défaillant. Il devient une machine multifonction : assumer la rébellion du branque qui se cabre devant toute règle. En gros, il l'éduque et doit aussi lui transmettre quelques références de base. Autant dire, cumuler deux rôles dont l'un n'est pas de son ressort. On aboutit à une liaison torride et antinomique. La cata.
Ou encore, un peu plus loin :
Je ne pige pas : les familles n'arrêtent pas de bramer pour faire cesser l'indiscipline, comme ils disent mais ils ne cessent de donner raison à leur rejeton qui ne peut être qu'un gentil face aux magister qui n'est qu'un méchant.
Si le portrait est lucide et consternant, on peine tout de même à se dire qu'il est dressé par ces adolescents qui prennent la parole. Et si c'est à plusieurs voix que se mène le récit, c'est toujours Sylvie Cohen qui parle, dénonçant la démission des parents et les résultats catastrophiques de la politique de l'enfant-roi mené depuis quelques dizaines d'années. L'administration de l'éducation nationale en prend également pour son grade avec ses cadres qui se plient allègrement aux demandes chiffrées de leur hiérarchie.
Vient ensuite la seconde partie du roman qui met en scène un professeur d'éducation physique pas vraiment "politiquement correct", mais qui cherche à faire son métier correctement malgré les embûches, le manque de moyens. Il bouscule les élèves, s'oppose à l'administration, et devra subir une véritable cabale lancée contre lui par quelques adolescents et relayée bientôt par les parents et l'administration du collège. Il est accusé d'attouchements sexuels. Une histoire qui ira très loin…
Si l'éclairage posé par Sylvie Cohen sur l'institution, sur les parents, sur les enfants, offre quelques regards pertinents, le discours d'ensemble reste néanmoins assez manichéen, comme s'il s'agissait de dédouaner ces adolescents de leurs responsabilités en les montrant seulement livrés à eux-mêmes, et de faire le reproche de cette absence de limites aux parents ou à l'administration. Les seuls qui s'en sortent indemnes (si je puis dire, ou qui sont les victimes de ce système) sont les professeurs — mis à part ceux prêts à enfoncer leur collègue sous le scandale.
Et puis il y a ce procédé de l'écriture chorale qui semble ici superflu tant le discours s'avère unique.
Reste un sujet délicat qui vous emmène au cœur d'un collège. Si vous n'avez jamais visité une salle des profs, c'est le moment d'essayer…
Quelques pistes à explorer, ou pas...
À propos de l'adolescence, des parents, de l'autorité, on pourra se rapprocher du roman de Dolores Hitchens, Dans l'Intérêt des Familles, qui aborda ces mêmes sujets en… 1960.
Les dix premières lignes...
Jonathan
Je tire une valise à roulettes. Une idée de ma génitrice : elle croit que je pars en voyage. Elle n'a pas tort. Dans un aéroport, c'est plus pratique, ça déforme moins la colonne vertébrale.
En réalité, je me trouve dans un espace ludique, plaque tournante d'un environnement consacré au savoir, où frétille dans une frénésie apoplectique une colonie de juniors. Ici, le bruit dézingue autant qu'un décollage d'avion et le dépaysement est aussi exotique que si on débarquait chez les bonobos (…)
Quatrième de couverture...
Ils ont la grâce, l'innocence malicieuse, parfois cruelle. Ce sont des adolescents. Ils crient leur tendresse, leur rage, et racontent la vie dans la « Réserve ». Ils se jouent des adultes figés dans leur lâcheté et l'hypocrisie du système. La loi est renversée : les jeunes deviennent les maîtres. Une cabale infernale contre un de leurs professeurs, « Ultralucide », va faire exploser la machine.
Le roman noir, qui explore le chaos de la société, ne s'aventure pas souvent sur le terrain de la violence à l'école. Sylvie Cohen, qui sait de quoi elle parle, répare cet oubli avec ce western choral d'une brûlante actualité où le rire donne la réplique à la férocité, et qui décrit de l'intérieur une réalité dérangeante, à contre-courant des idées reçues.
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...