Gallimard / Série Noire - 1983 - Traduction (anglais) : Jean-Bernard Piat
Tags : Roman noir Psychologie Flic Londres Années 1980 Littéraire Moins de 250 pages
Publié le : 02 décembre 2006
Le cadavre d'un homme sévèrement battu est retrouvé dans la banlieue de Londres. Personne d'important, juste un vieil alcoolique que personne ne regrettera. L'enquête est confiée à un sergent de la section A14.
Nous travaillons sur la mort obscure, sans importance et apparemment sans mobile des gens qui ne comptent pas et n'ont jamais compté. Nous avons le budget le plus bas, nous sommes les derniers dans la répartition des crédits, et la promotion est si lente que la majorité d'entre nous ne dépasse jamais le grade de sergent.
Flic célibataire opérant en solitaire, l'homme développe une certaine empathie envers les victimes qui lui sont confiées et cherche coûte que coûte à leur faire rendre justice. C'est ainsi qu'il s'attache au cas de Charles Locksley Alwyn Staniland, se plongeant dans sa vie, ses affaires, ses papiers, et cherchant l'explication de sa mort...
Robin Cook n'écrit pas pour le plaisir, c'est un fait avéré, reconnu, et ce roman en est une preuve flagrante supplémentaire.
Il développe une atmosphère d'une grande noirceur, d'une sombre solitude, telle sa vision de l'existence :
Comme tous les gens sains d'esprit, il avait recherché la réalité dans l'existence. Il avait commis l'erreur habituelle : il ne s'était pas rendu compte un seul instant que les conditions de l'existence n'autorisent aucun absolu. Ainsi, lorsqu'il avait fini par se trouver face à face avec la réalité, il avait craqué. (...) l'homme n'est pas bâti pour supporter toute la vérité. S'il l'était, il n'existerait pas. Il mettrait fin à ses jours en quittant le berceau.
Le narrateur, enquêteur sans nom, se fond dans sa victime, épouse son mal-être en découvrant son "journal", ses écrits, ses enregistrements. Staniland est issu de la grande bourgeoisie anglaise déchue, il est écrivain (ou tente de l'être). On en vient forcément à faire le parallèle avec l'auteur lui-même quand on apprend que Staniland a aussi vécu un temps dans le sud de la France. Robin Cook, d'une certaine manière, se met en scène, met en lumière sa souffrance d'homme, d'artiste, d'écrivain, et son abjection pour cette "noblesse" qui n'en a aucune :
Chaque fois qu'on crève une baudruche à l'air satisfait, on s'aperçoit qu'elle n'évolue que grâce à l'air vicié qu'elle contient.
Et puis il y a cette femme. Ces femmes... Barbara, fatale, inaccessible, fascinante ; mais aussi son épouse, celle qui l'a aimé, soutenu, avant d'abandonner la partie (à moins que ce ne fut son fait à lui) ; sa fille, Charlotte, qu'il a repoussée par trop d'amour...
Il faut dire que Charlie Staniland n'est pas un personnage facile et que ses exigences le minent.
Le sergent inconnu le suivra pas à pas dans la lente reconstitution d'une descente aux enfers, inexorable. On est en pleine tragédie grecque...
Une construction irréprochable qui se fait aussi, en filigrane, sur la misère urbaine de l'Angleterre des années 80, des années Thatcher. On y croise des fonctionnaires en grève, du délabrement, du racisme, de l'extrémisme, mais la réflexion se fait au fond sur le sens de la vie et la fonction de l'artiste :
Celui qui conçoit l'écriture comme un agréable passe-temps permettant d'accéder à un mode de vie bourgeois n'écrira jamais que de la merde.
Ce que j'écris, je veux que ce soit comme une bouée qui balise un rocher ; je ne veux pas qu'un autre s'échoue dessus.
L'épreuve que l'écrivain se propose, c'est de débusquer l'existence, de la traquer et alors, l'un et l'autre dénudés, de combattre corps à corps, jusqu'au bout.
(...) tu aurais peut-être pu être artiste, toi aussi.
Je n'osais pas lui dire (...) qu'il m'en manquait le courage.
Un roman noir et sombre, à l'extrême, d'un grand pessimisme – âmes sensibles s'abstenir – mais comme son titre originale l'indique : He Died With Eyes Open.
Quelques pistes à explorer, ou pas...
On ne Meurt que Deux Fois est le premier volet d'une série de cinq romans mettant en scène "l'usine", le commissariat dont dépend la section A14, chargée des crimes non élucidés, et le sergent sans nom. La série se clôturera en 1990 avec J'étais Dora Suarez, considéré par beaucoup comme le chef d'œuvre de Robin Cook.
En 1985, Jacques Deray réalisera une adaptation cinématographique du roman, sous le même titre, avec Charlotte Rampling et Michel Serrault dans les rôles principaux.
Les dix premières lignes...
On le trouva dans les taillis devant la maison de la Parole de Dieu à Albatros Road, Ouest 5. C'était le soir du 30 mars, à l'heure de pointe, et il faisait bougrement froid. En revenant chez lui, un employé de bureau avait été stoppé net lorsqu'il avait trébuché sur le corps. Je ne sais pas si vous connaissez l'endroit où Albatros Road donne dans Hangars Lane, mais si c'est le cas, vous n'ignorez pas à quel point le quartier est hideux et désolé, la station de métro au ras de la chaussée d'un côté, des bâtiments sans fenêtres, au murs suintant d'humidité de l'autre. Ce soir-là, il y avait encore une grève perlée de l'Aslef, et même quand j'arrivai à sept heures, des gens étaient toujours là, à faire la queue pour descendre l'escalier jusqu'aux rames, qui se faisaient rares (...)
Quatrième de couverture...
Ce vieux raté, assassiné comme un clochard dans un faubourg de Londres, et qui avait raconté sa vie triste et passionnée sur des cassettes, pourquoi me fascinait-il ? Etions-nous compagnons de misère dans notre mal d'amour, dans notre mal de vivre ?
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...