Rivages / Noir - Mars 2024
Tags : Roman noir Polar politique Polar social Flic Quidam France Futuriste Entre 250 et 400 pages
Publié le : 14 janvier 2025
Léonard Parvel a treize ans et se remet mal de la disparition de son père, Russel Jim Devoto, dans ce qui semble être un suicide. Quand bien même il ne le voyait que très irrégulièrement depuis l’âge de six ans, le souvenir reste tenace et s’est embelli avec les années.
Aux yeux de son fils, Russel Jim s’opposait au système de la transparence. Il vivait en poète désœuvré, souhaitant se libérer de toute attache. Il apprend cependant, en surprenant une conversation téléphonique de sa mère, que celle-ci ne croît pas à sa disparition et le pense même passé activement du côté des Obscuranets, les opposants radicaux à la Transparence. Il n’en faut pas plus à Léonard pour partir à sa recherche en se rapprocher d’eux.
Sébastien Mille, malgré ses quatre-vingt-cinq ans, est toujours policier ; par choix, parce qu’il ne sait faire que ça. En 2025, il a activement participé à l’enquête autour de l’attentat durant le concert des Significant Youth (cf. Le Silence selon Manon), c’est pour ça que le nom de cet adolescent qu’il vient d’arrêter a fait tilt dans sa mémoire. Parvel… Reste que le jeune garçon, qui est donc le petit fils de Manon et Yvan, ne sait rien du message qu’il vient d’inscrire sur les murs : « 5 juin 2060, 18h ». Mille a néanmoins prévenu sa fille Holly, responsable au sein de la police, d’un possible et imminent danger.
François Lefebvre est un homme politique qui vit dans le souvenir de Nora, son épouse, depuis qu’elle l’a quitté il y a quatre ans. Il a même fait l’achat d’une poupée 3D à son effigie, réplique parfaite mais inerte qui souligne l’absence de l’originale. Grand adepte de la transparence, il prône une surveillance extrême et a fait acte de candidature à la fonction suprême. Suite à un attentat, attribué aux Obscuranets, qui a compromis les identités, les élections ont été reportées d’une année. François Lefebvre est sur le pied de guerre ; il compte sur son éventuelle victoire et le prestige qui l’accompagnerait pour récupérer Nora.
Holly Mille est à la tête de la BOA depuis sept ans, mais toutes ses tentatives pour infiltrer les Obscuranets se sont soldées par des échecs. Elle n’a jamais pu savoir si Zax, identifié comme leur leader, existait réellement. Et si le père de ce jeune ado, arrêté par son père à elle et soi-disant disparu, était en fait un de ces leaders qu’elle cherche désespérément ?
En quelques chapitres, et toujours en s’appuyant sur différents personnages qui prennent chacun le récit à leur charge, Benjamin Fogel remet en place et en mémoire le contexte de cette société où règne la transparence, où plus rien n’est secret, où toute information sur n’importe quel individu est disponible pour chacun. Pour autant, celles et ceux qui n’auraient pas lu les deux premiers volets de cette trilogie ne seront ni perdus ni oubliés, l’auteur prenant soin de les « affranchir » sans jamais lasser les « initiés ».
Ce troisième volet de la trilogie autour de la Transparence amène indéniablement une cohérence d’ensemble en réunissant les différents éléments et personnages abordés dans les deux premiers volets. Pour autant, on pourrait presque lire L’Absence selon Camille indépendamment, mais ce serait se priver d’une bonne partie de la profondeur de réflexion de Benjamin Fogel.
Car au fond, il s’agit bien de cela. De réflexion, et d’interrogation. En imaginant le système de la Transparence dans un futur dystopique, l’auteur tord notre présent pour le faire renaître un demi-siècle plus tard. Faut-il voir dans cette nouvelle organisation de la société une avancée ou une régression ? Les différentes thèses s’affrontent, chacune avec leurs arguments, étayés, réfléchis, et poussant le lecteur lui-même à s’interroger sur le bien-fondé de telle ou telle option, sur ses conséquences. Tous les aspects sont fouillés, analysés dans les moindres détails, révélant un travail impressionnant dans la construction de ce système.
Benjamin Fogel retourne tous les aspects de son « invention », en éclaire toutes les facettes : politiques, morales, philosophiques, écologiques, mais aussi quotidiennes. Bien sûr, on pourrait penser à 1984, le roman de George Orwell, mais dans une version revisitée par l’avènement des réseaux sociaux et la virtualité.
Toute cette présentation/exploration du système de la Transparence qui prend racine à la naissance du numérique pour tous s’organise aussi autour d’une intrigue solide et savamment construite se mêlant adroitement à la réflexion, les deux pendants du roman se répondant sans cesse à travers ce choix délibéré du récit choral. Les lecteurs de « purs » polars ne seront pas déçus.
La lutte entre les partisans de la Transparence et les adeptes de la liberté de vivre dans le secret vis-à-vis de l’état sera vive et mouvementée. Il y a du règlement de compte politique dans l’air…
Je repense à Edward Snowden, quinze ans avant ma naissance, en juin 2013, au moment où il a rendu publique, par l’intermédiaire du Guardian et du Washington Post, la surveillance de masse orchestrée par la NSA, par la fuite de documents secrets la plus importante de l’histoire. Aujourd’hui encore, il est un modèle pour tous les défenseurs de la transparence, qui retiennent de lui son désir d’exposer les mensonges d’État, oubliant qu’il cherchait avant tout à protéger la vie privée des ressortissants. Notre monde est devenu ce qu’il espérait — un système garantissant la transparence totale des institutions et des entreprises —, et ce qu’il craignait le plus — une technocratie fondée sur la divulgation systématique des données personnelles des citoyens et citoyennes. Que penseraient les hacktivistes des années 2000, tels qu’Aaron Swartz ? Ils se réjouiraient de la diffusion sans limites du savoir, de la mise en commun pure et parfaite des connaissances, mais vomiraient l’extension de ce partage des informations à la sphère intime de toutes et tous.
En libérant le savoir, écrit-il, en permettant la circulation des informations, des inventions, des brevets, en autorisant la réplication des systèmes d’information, et en assurant la gratuité de l’appropriation des outils de production, la transparence a fait entrer le monde dans l’ère post-capitaliste, marquant la fin de la marchandisation de la data. Les données personnelles sont devenues un bien national, voire international — de la même manière que l’on peut céder ses organes, mais pas les vendre, les gens partagent leurs données personnelles pour offrir aux peuples un avenir meilleur. Publiques, elles ne peuvent plus être volées par des pirates, constituer un moyen de pression ou engendrer une demande de rançon. La transparence a mis un terme à la rétention du savoir, brocardant l’esprit de compétition, cœur du réacteur capitaliste. Le capitalisme a longtemps été le seul système viable, car il était un prolongement de l’obsession humaine à posséder plus qu’autrui, mais la transparence, à même de dévoiler et consigner les aspirations de chaque être, s’est affirmée comme plus réelle que le capitalisme, au point de s’y substituer. Elle a placé les humains sur un pied d’égalité, supprimant les iniquités salariales et sociales. Aucun système ne peut rivaliser avec la transparence, qui expose les bons et les mauvais côtés des gens, transforme les relations superficielles en amitiés sincères et permet une gestion optimale des existences.
Indispensable.
Quelques pistes à explorer, ou pas...
L’ensemble de la trilogie, sans hésiter.
Les dix premières lignes...
Au moment de se coucher, toutes ses affaires sont prêtes. Quand l’alarme de son téléphone, caché sous son oreiller, se déclenchera, libérant un son étouffé qu’il sera le seul à entendre, Léonard espère que la volonté qui l’habite — une volonté de fer, forgée de semaine en semaine, immuable, se persuade-t-il — ne disparaîtra pas, annihilée par la nécessité de transformer un désir en action concrète. Il repense à ce qu’il a mis dans son sac à dos noir, recouvert de patchs de ses groupes de musique préférés : t-shirts, slips et chaussettes, une doudoune pliable, chargeur et batterie portable, barres de céréales, ainsi que son casque audio, ancienne génération, dont il aime le grain et le look vintage. C’est l’homme qui lui a dit de prendre des changes et un peu de nourriture : si on l’attrape, il pourra faire croire à une fugue. Cet inventaire mental réalisé, Léonard demande au régulateur de vie d’éteindre la lumière. Une fois dans l’obscurité, le doute l’assaille. Son projet lui paraît illusoire, comme s’il se racontait des histoires, sachant au fond de lui-même que le moment venu il se dégonflera. « Tu n’es qu’un gamin, pense-t-il. Tu n’as pas encore 13 ans. » Léonard serre les dents. Il doit se ressaisir. Sa mère lui a menti. S’il ne part pas à la recherche de son père maintenant, il le regrettera toute sa vie.
Quatrième de couverture...
2060. « Malgré la transparence, on vous ment » : ce slogan qui vient d’apparaître sur les murs de Paris inquiète les forces de l’ordre. Sébastien Mille, policier à la retraite et désormais bénévole, ainsi que sa fille, la commissaire Holly Mille, enquêtent sur l’origine et le sens de ces graffitis.
Le jeune Léonard Parvel, lui, est persuadé que son père disparu est membre des Obscuranets, mouvement révolutionnaire qui lutte contre la prolifération du virtuel. Il participe à des actions insurrectionnelles dans l’espoir de retrouver sa trace. Mais bientôt, la révélation d’un scandale d’État par les Obscuranets marque le début d’une période d’instabilité politique, dont François Lefebvre, candidat à l’élection présidentielle et pourfendeur du concept de vie privée, pourrait bien tirer parti. Le compte à rebours est lancé pour Sébastien et Holly Mille, qui doivent tenter de museler les perturbateurs et d’arrêter leur leader.
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...