Gallimard / Série Noire - Juin 1960 - Traduction (anglais) : Michel Peyran
Tags : Roman noir Polar social Quidam Etats Unis Années 1960 Moins de 250 pages
Publié le : 05 avril 2009
Aux intéressés éventuels,
Je crois d'ailleurs que ça intéresse tout le monde ; c'est généralement le cas des meurtres, dit-on. Le fait est qu'au cours de l'année dernière j'ai tué trois adolescents. Voici leurs noms (…)
Dans chaque cas, il m'a semblé, à l'époque, que ces enfants étaient bien mieux dans la tombe. Ce disant, je ne cherche pas une excuse à mon geste ; je pense avant tout à leurs parents et à tous ceux qui avaient autorité sur ces enfants pour qui ils auraient dû être des guides et des conseillers.
J'ai déjà choisi ma quatrième victime. J'avais espéré ne pas être contraint d'intervenir de nouveau, mais la situation est si choquante qu'il faut y porter remède.
Peut-être aura-t-on le bon sens de considérer cette lettre comme un avertissement ; auquel cas cette nouvelle mort pourra être évité. Veillez-y donc !
Tel est le texte de la lettre anonyme adressée au chef de la police d'une petite ville côtière de Californie. Interceptée par un duo d'adolescents (la lettre est restée coincée dans la boîte publique), elle finit tout de même par arriver sur le bureau du capitaine Matthews, intrigué. Si les trois adolescents cités sont bien morts, il semble évident qu'aux yeux de tous ils n'aient jamais été assassinés. L'un est décédé dans un bête accident domestique, une autre des suites d'un avortement raté, et dans le troisième cas — une noyade — il pourrait y avoir doute. Alors, canular, ou fou dangereux ? L'annonce d'une quatrième victime rend le capitaine nerveux. Il décide d'enquêter.
Parallèlement, mais dans ce même microcosme, Molly est une jeune femme de vingt-deux ans qui tente de s'émanciper de la tutelle de ses parents en compagnie de Larry qui, lui, n'a que dix-sept ans. Ces deux-là se voient en cachette — Larry est mineur — mais avec la bienveillante complicité de l'oncle de Molly, compatissant et un peu poivrot…
Dolores Hitchens nous installe au bord de l'océan Pacifique, dans une petite ville californienne, au sein d'un microcosme qui fleure bon l'Amérique puritaine des années soixante. Là, à travers un récit choral, elle va pénétrer cette société qui, à l'image des parents de Molly, rejette de manière absolue toute allusion aux rapports charnels, au sexe, se réfugiant résolument derrière un carcan de bienséance.
Mais la Californie n'est pas peuplée que d'une petite bourgeoisie protestante qui nie farouchement tout droit au plaisir, elle a aussi ses enfants qui aspirent à un peu plus de liberté. Parmi ceux-là, certains se cachent, d'autres s'affichent, tous en pâtissent.
Dolores Hitchens décrit le fossé qui se creuse entre deux générations, insistant sur la folie mystique qui guète au coin de la rue.
Son style, d'une grande limpidité, est d'une incroyable précision lorsqu'il s'agit de croquer ses personnages en quelques traits bien sentis. Et ils sont nombreux à participer au portrait d'ensemble puisqu'il n'y a pas ici de narrateur, plutôt les visions successives, croisées, des habitants témoins des drames qui se jouent.
Cette manière de sauter de l'un à l'autre, ce découpage quasi cinématographique, participe au développement d'un climat angoissant. Du meurtrier auteur de la lettre anonyme, on ne saura plus rien ; de la quatrième victime potentielle non plus, sinon qu'on devine qu'on l'a déjà sûrement croisée…
Le suspense, même s'il n'est pas l'élément primordial du roman, est parfaitement entretenu jusqu'au terme du récit. Mais ce qu'on retiendra surtout, après la parfaite maîtrise de la construction sophistiquée, c'est l'incontestable réussite du portrait de ce puritanisme qui gangrène l'Amérique.
À lire, incontestablement.
Quelques pistes à explorer, ou pas...
Dolores Hitchens s'est semble-t-il fait une spécialité du roman choral, une technique de narration qui lui permet d'exceller dans le portrait social. Il convient de lire, à ce propos, Des Pas dans la Nuit (1961) et Erreur d'Aiguillage (1965).
Les dix premières lignes...
De la fenêtre ouverte sur le devant de la longue pièce, au plafond bas, on pouvait, d'un coup d'œil, parcourir toute le baie. La fin d'après-midi estivale s'était muée en crépuscule. La mer demeurait immobile, soyeuse. Des lumières s'étaient mises à scintiller dans les îles. Le ciel miroitait comme du bronze.
Recroquevillé sur lui-même au bord de son fauteuil, face à la mer, l'unique occupant de la pièce semblait en proie à une redoutable indécision. Des frémissements des tics nerveux agitaient sans cesse le tour de sa bouche pincée. Il avait les yeux dans le vague. Les mains lui pendaient entre les genoux et se livraient, en tâtonnant, à toute une vérification de phalanges et d'ongles qui trahissait son angoisse (…)
Quatrième de couverture...
« À bon entendeur, salut… Ce que j'ai à dire intéresse, je crois, tout le monde, puisque personne ne reste indifférent devant un meurtre. Le fait est que, l'année dernière, j'ai assassiné trois adolescents. Je note ici leurs noms et leurs âges, au mieux de ma connaissance : Edith Tomlinson, quinze ans, Charles Carol, douze ans, Barbara Martin, dix-huit ans. J'ai estimé, en effet, que, dans chacun de ces cas, il valait mieux que l'enfant fut mort que vivant… »
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...