Gallimard / Série Noire - Octobre 1996
Tags : Roman noir Polar militant Corruption Journaliste Années 1990 Populaire Moins de 250 pages
Publié le : 21 février 2009
Le constat pour Thomas Mecker est sans appel. Derrière une façade de carte postale sans défauts, la vie en Polynésie Française est loin d’être une sinécure. Le bleu du lagon, l’odeur des fleurs de tiaré, le déhanché du tamouré sont des clichés usés jusqu’à la corde, mais qui continuent de faire rêver le vacancier.
Derrière tout ça, Tahiti essaie de survivre. Sous perfusions de subventions métropolitaines sensées « compenser » (perçues comme des dédommagements) les essais nucléaires, l’économie locale ne peut se reposer que sur le tourisme. Alors surtout, pas de vagues. Au pays du rêve, tout va bien. Charge aux médias, aux journaux en particulier, de promouvoir cette vision de « paradis terrestre », et ne surtout pas l’éborgner. Thomas voit donc sa carte de presse se transformer en carte de visite de VRP du tourisme. Quand le vernis s’écaille un peu, surtout ne pas gratter. Mieux vaut en remettre une couche…
Alors quand un jeune maori tout juste sorti de prison meurt, quand la prison d’où il sort s’embrase et que les morts violentes ensanglantent la capitale, les consignes sont passées : on n’enquête pas, on reprend les communiqués officiels. Et l’on retourne vite faire un papier sur la prochaine élection de miss Tahiti.
Mais Thomas n’a pas sa conscience dans sa poche, et son envie d’éclaircir tout ça va fâcher du monde.
Patrick Pécherot nous emmène à Tahiti. Vision paradisiaque pour le plus grand nombre, rêve de jeunes mariés, soleil, plages immenses, douceur de vivre… Mais c’est loin de ces clichés éculés qu’il va promener sa plume. Et la couleur de l’encre dans laquelle il la trempe n’est pas bleue comme les lagons. Elle est sombre et noire, comme l’ombre nucléaire qui plane sur Mururoa.
Le roman m’a particulièrement touché, ému presque, car j’ai vécu à Tahiti. J’y suis arrivé comme nombre de métropolitains expatriés, en quête de ma part de rêve sous les cocotiers. Je suis, comme Thomas Mecker, vite redescendu sur terre. Derrière les cartes postales, il y a des vies. Toutes les filles ne sont pas de jolies vahinés à la peau sucrée enduite de monoï et aux seins nus ; toutes les maisons n’ont pas le luxe cinq étoiles, le room service et les pieds dans le lagon. À deux pas de la piste d’envol de l’aéroport de Faa’a des bidonvilles poussent. Lieux de chute des espoirs déçus de richesse et de réussite.
L’ambiance relatée par l’auteur dans le journal au sein duquel travaille Mecker n’est pas du tout exagérée. L’image véhiculée répond aux impératifs commerciaux des hôteliers et aux impératifs politiques du gouvernement local, adoubé par le grand frère métropolitain. C’est donc bien un journal aux ordres.
Enquête policière et enquête sociale en même temps, Pécherot nous emmène de l’autre côté de la carte postale. Mecker va faire trembler cet édifice mensonger. Le ressentiment identitaire, le mensonge autour des travaux atomiques, la camisole « financière » des subventions métropolitaines, tout ce bouillon couve à petit feu… Mais la marmite donne des signes de débordements…
C’est diablement bien mené, prenant, et la morale n’est pas forcément là où on l’attend. Ce que fait Pécherot avec habileté, c’est de nous montrer que les gentils ne gagnent pas toujours à la fin...
Quelques pistes à explorer, ou pas...
Pour la « parenté » du personnage principal avec Jean Amila-Meckert, il faut sans aucun doute lorgner par là.
Les dix premières lignes...
Lundi 10 juillet
Au moment de sortir, Terii s’arrêta, figé. Au bout du couloir sombre, une trouée lumineuse l’obligeait à froncer les paupières.
Malgré lui, il hésitait, la main cramponnée à la poignée en ficelle de sa valise. Le gardien le poussa doucement pour lui faire franchir le seuil qui le séparait de la liberté et referma la porte.
(…)
Terii eut envie de faire marche arrière, de revenir dans le cocon protecteur de sa cellule. Il ne parvenait pas à pénétrer dans le film qui se projetait devant lui. Spectateur immobile, une paroi invisible le séparait des autres. La sueur inondait son front, son dos, ses jambes. Il fallait qu’il entre dans le cercle, qu’il marche (…)
Quatrième de couverture...
Un jeune Tahïtien trouve la mort avec son frère handicapé le jour de la fête du 14 juillet. Une émeute sanglante dévaste la prison de Papeete et la répression qui s’en suit n’a rien à envier à certaines dictatures. Loin de la métropole, la Polynésie et ses atolls n’ont plus grand chose à voir avec les vahinés et les colliers de fleurs. Sous la mer bleue rôde une menace étouffée par le secret défense. Parce qu’il emprunte les chemins de traverse, le journaliste Thomas Mecker va côtoyer une réalité mortelle à plus d’un titre. Ce n’est pas pour rien que le mot « tabou », comme Mururoa, est issu de ces îles…
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...