Le Club des Policiers Yiddish

Michael Chabon

Robert Laffont - Janvier 2009 - Traduction (anglais) : Isabelle D. Philippe

Tags :  Roman noir Roman d'enquête Comédie Crime organisé Mystique Flic Truand Etats Unis Années 1990 Plus de 400 pages

Edition originale

Un avis personnel...

Publié le : 04 février 2009

Recommandé À l'instar de l’enquêteur archétypal du roman noir, Meyer Landsman est un flic têtu, solitaire et meurtri par l’existence. La carcasse percluse de douleurs, l’haleine parfumée à l’alcool, il crèche dans une chambre anonyme d’un hôtel qui a connu son heure de gloire, il y a bien longtemps. Meyer est juif, libre-penseur, laïc et athée. Assurément, un marginal aux yeux de tous en ce début de XXIe siècle. Le genre de type à considérer qu’il n’y a pas de bien ou de mal ; juste des gens, à son image, qui disent non, et qui boivent un coup parce que, quand même, c’est dur. Le genre de noz [un flic en yiddish] à ne connaître que deux états : le travail et la mort.
Seul, Meyer l’est incontestablement depuis qu’il vit séparé de sa femme et que sa sœur, pilote chevronnée d’hydravion, est décédée dans un accident aérien. Ne lui reste comme famille que celle de son coéquipier, Berko Shemets, un métis, indien par sa mère et juif par son père. En somme, une autre anomalie dans le paysage mais une anomalie taillée dans un roc et qui fait montre d’une générosité désarmante en toutes circonstances.
Car il en faut beaucoup de la générosité pour supporter la vie à Sitka, Alaska. Sur ce bout de territoire concédé, en guise de terre promise, par le gouvernement de Franklin D. Roosevelt afin d’accueillir les Juifs d’Europe de l’Est, le climat est rude, la promiscuité permanente et le voisinage avec les tribus indiennes, pollué par le souvenir d’émeutes déclenchées jadis par les plus extrémistes des Yids.
Et puis, il y a ce spleen institutionnalisé, caractéristique essentielle de l’âme juive, que des millénaires de pogroms et de diaspora ont contribué à façonner. Difficile de résister à cet atavisme ancestral surtout lorsqu’il est réactivé par une rétrocession territoriale imminente.
Pourtant, alors qu’il n’est même pas sûr, ni d’être encore flic dans deux mois, ni d’être autorisé par les anciens propriétaires à demeurer sur place, une fois la rétrocession effectuée, Meyer s’entête à faire son boulot. Un inconnu a été exécuté d’une balle dans la nuque dans une autre chambre de l’hôtel où il réside. Une illustration de la violence ordinaire pour Meyer si ce n’est que cette fois-ci, c’est un voisin. Et lorsque l’identité du pisher s’avère être celle du fils du rebbè des verbovers, une des plus puissantes communautés fondamentalistes juives, Meyer revit par bribes son passé familial ; véritable condensé de l’histoire du peuple juif en Alaska.

En dépit des apparences, Le Club des Policiers Yiddish n’est pas un banal roman policier élaboré comme un hommage talentueux à Dashiell Hammett ou à Raymond Chandler. Non, le roman de Michael Chabon transcende la routine des codes du roman noir pour finalement revenir à sa source : la description du monde sous l’angle de la critique sociale. Il en restaure même toute la charge politique. Toutefois, ce monde décrit par Michael Chabon n’est pas exactement le nôtre. Une divergence historique, introduite aux alentours des années quarante, l’a fait bifurquer sur une ligne alternative. Pour reprendre la terminologie de Eric B. Henriet, l’uchronie est ici pure et elle s’apparente à un biais dont les effets se conjuguent à ceux du roman noir pour en renforcer l’impact. En effet, impossible de faire l’impasse sur le sous-titre politique qui sous-tend l’intrigue. Impossible de ne pas reconnaître derrière les agissements du gouvernement des États-Unis dans le roman, l’idéologie néo conservatrice à la manœuvre. Difficile également d’ignorer cette collusion entre la communauté juive d’Amérique et les fondamentalistes chrétiens ; collusion qui a fondé toute la politique états-unienne depuis au moins les années quatre-vingt-dix. Face à cet Empire qui crée sa propre réalité, modifie celle-ci pour la faire correspondre à sa volonté et se proclame acteur d’une histoire qu’il donne à étudier, il fallait bien opposer le procédé de l’uchronie. Ainsi, Le Club des Policiers Yiddish apparaît comme le récit fait par une conscience révoltée et désillusionnée d’un monde où, quelles que soient les voies suivies par l’Histoire, l’ordre qui règne est haïssable.
Fort heureusement, la pesanteur de la charge est délibérément désamorcée par un humour aigre-doux omniprésent. Car Le Club des Policiers Yiddish est un roman formidable, chaleureux et emprunt d’une grande dignité. La narration prend le temps d’installer une atmosphère et des personnages qui se distinguent de la simple épure archétypale pour revêtir la chair d’êtres humains en proie au doute, à la fatigue et au sentiment de ne rien pouvoir changer à la marche du monde. Le contexte uchronique se révèle par allusions successives au travers des souvenirs familiaux de Meyer, au point de se faire littéralement oublier. Et puis, il y a ces termes d’argot dérivés du yiddish, dont Michael Chabon avoue avoir puisé l’idée de départ dans un guide de conversation. Loin de nous égarer ou de constituer un quelconque obstacle à la compréhension de l’intrigue, il renforce la vraisemblance de l’histoire et participe à l’humour délicieusement décalé du roman.

Pour toutes ces raisons et bien d’autres encore, Le Club des Policiers Yiddish est assurément le roman du début de l’année 2009 à ne pas rater.


Le Commentaire de Caroline

Landsman est un flic alcoolique et divorcé. Il habite une chambre d’hôtel miteuse. Jusque-là rien de neuf. Il va enquêter sur un junkie abattu d’une balle, dans une chambre pas très loin de la sienne. Il se trouve que ce cadavre, portant comme pseudo le nom d’un célèbre joueur d’échec, était un messie pour la communauté religieuse juive.
Michael Chabon nous raconte une enquête, classique dans les grandes lignes, mais avec un décor particulier et une Histoire revisitée. On apprend au détour d’une phrase que l’Allemagne a reçu la bombe nucléaire en 1948. Landsman vit dans le district de Sitka, Alaska. Deux millions de juifs se sont exilés là-bas après la guerre, exterminés par les allemands, achevés par les Arabes. Ils échouent, étiquetés et fichés par les services de l’immigration américaine, sur un bout de territoire censé être vierge mais peuplé d’indiens, concession accordée provisoirement par le gouvernement. Mais la rétrocession se profile, les flics vont devoir laisser leurs dossiers, peut-être même leurs postes.
En compagnie de son collègue et cousin juif-indien Berko, Landsman dirige son enquête vers les Verbover, des religieux bandits menés par le rabbin Heskel Shpilman qui discutent aussi bien d’« un point délicat de la cachérisation ou de l’effacement du VIN, le numéro d’immatriculation des véhicules ».

Dans les rues de Sitka, avec l’odeur des papiros de Landsman, les tartes et beignets, la neige et la forêt, les souterrains sous la ville, le lecteur pénètre un univers entre réalité et imaginaire. Une histoire qui peut se lire comme une simple enquête, mais il ne faut pas passer à côté du contexte et du propos de Michael Chabon sur cet univers juif. Il manie l’humour, la critique religieuse, la dérision et le fantasme.

À suivre, puisqu’il paraît que les frères Coen travaillent à l’adaptation du roman pour le cinéma.


Vous avez aimé...

Quelques pistes à explorer, ou pas...

(Caroline) Sans doute faut-il aller découvrir les autres romans de Michael Chabon. Sinon, pour une enquête à la fois classique et originale, assurément le nouveau venu Stéphane Michaka est à signaler avec La Fille de Carnegie.

(Amilanar) Les romans noirs forcément, et peut-être quelques uchronies, notamment Fatherland de Robert Harris.

Le début...

Les dix premières lignes...

Neuf mois que Landsman crèche à l’hôtel Zamenhof sans qu’aucun des autres pensionnaires ait réussi à se faire assassiner. Et maintenant quelqu’un a logé une balle dans la cervelle de l’occupant du 208, un Yid du nom d’Emanuel Lasker.
— Il n’a pas répondu au téléphone, il ne voulait pas ouvrir, explique Tenenboym, le gérant de nuit, en venant tirer Landsman de son lit.
Landsman, lui, est au 505, avec vue sur l’enseigne au néon de l’hôtel situé de l’autre côté de Max Nordau Street (…)


La fin...

Quatrième de couverture...

Drôle d’époque pour les Juifs. L’Alaska est leur nouvelle patrie, froide, sombre, désolée, lointaine. La vie y est dure, mais rien de neuf à ça. Les rabbins ont versé dans la criminalité, les criminels se sont tournés vers Dieu, et l’inspecteur Landsman a sombré dans la bouteille. Son mariage, sa carrière, l’alcool… Autant de problèmes dont il se passerait bien. Et puis il y a ce corps avec un trou dans la tête, en bas, dans le hall de l’hôtel.


L'auteur(e)...

Sa trombine... et sa bio en lien...

Michael Chabon










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