Ville Noire Ville Blanche

Richard Price

Presses de la Cité - Mars 1999 - Traduction (anglais) : Jacques Martinache

Tags :  Roman d'enquête Polar social Polar militant Polar urbain Discrimination Psychologie Flic Journaliste New York Années 1990 Littéraire Plus de 400 pages

Edition originale

Un avis personnel...

Publié le : 16 décembre 2008

Recommandé Après avoir erré dans les rues, Brenda Martin arrive aux urgences du Centre Médical, choquée, les mains en sang. Sur place, Council Lorenzo réussi tant bien que mal à soutirer à la jeune femme ce qui vient de lui arriver. En rentrant du centre d'Etude d'Armstrong où elle travaille, elle a emprunté le raccourci à travers le parc, entre la cité d'Armstrong et celle de Gannon. Là, un grand Noir chauve l'a éjectée de sa voiture pour la lui voler mais son fils de trois ans, Cody, était endormi à l'arrière et il est parti avec. Jesse Haus, journaliste au Register, prend l'affaire en main, forte de ses relations dans la Police locale.
Danny Martin, le frère de Brenda, flic à Gannon, mobilise ses collègues de Gannon et Dempsy et, la cité d'Armstrong, en majorité habité par des Noirs, se retrouve bientôt assiégée de flics. La tension monte, et Council Lorenzo se trouve être la seule soupape pour empêcher cette cocotte-minute d'exploser.

On n'arrête pas le spectacle pour un seul singe.Ben, quelquefois si. Tout dépend du singe, de la couleur de son poil.

Ville Noire Ville Blanche est un de ces romans dont on sait dès les premières lignes qu'il vous en restera quelque chose. D’ailleurs ce livre gagne plus à être lu pour son côté chronique sociale que pour un pur divertissement. L’auteur détourne un tragique fait divers pour se pencher sur ses conséquences sur la vie d’une banlieue de New York, sur les rapports en entre les communautés. Le tout sans réel parti pris.

Tout d'abord, il y a cette mère célibataire, blanche, bien sous tout rapport, qui désigne (forcément) un Noir comme étant son agresseur. Et la Police de croire immédiatement à son histoire, soupçonner les habitants d'Armstrong de cacher des informations, de pratiquer la loi du silence. Une population qui finit par se considérer comme globalement suspecte, comme ce jeune qui porte un T-shirt avec le portrait-robot du suspect de l'enlèvement de Cody Martin, comme le maillot d’une équipe de sport :

On est en république, et j'ai l'impression de savoir où tu veux en venir avec ça, poursuivit le flic, désignant le T-shirt du menton. Mais il faut que je te dise une chose : porter un machin pareil dans le coin, c'est… (les yeux plissés, il chercha le terme juste : ) Indélicat.
Le jeune sourit, encadra le portrait des doigts écartés de ses deux mains.
— Hé, vous savez qui c'est, là ?
— Non, Dis-le-moi.
Le sourire du jeune Noir s'élargit.
— C'est Bamboula. C'est moi !

Et ce quartier de D-Town écrasé sous une canicule, avec son dépôt de réfrigérateur en végétation, délimité par ses grillages et sa voie ferrée, devient presque un décor de champ de bataille, encerclé par des immeubles gris dans lesquels les gens étouffent. Les assiégeurs, les flics voisins de Gannon et de Dempsy qui, sous couvert d'essayer de sauver de la vie de l'enfant, multiplient les arrestations bidons, les coups, les épreuves de force, tels une armée d'occupation. Et au milieu de tout ça, Lorenzo Council, le grand frère de la cité, le flic respecté qui connaît chaque habitant, est pris à parti et tente de calmer le jeu, conscient d’être une des rares soupapes mais ne sachant plus dans quel camp il doit se ranger :

Il y a eu vingt-sept homicides en douze mois dans ce district, six rien que pour cette cité, et jamais une présence policière comparable à ce qu'on a maintenant pour la disparition d'un seul enfant blanc.

Et l'enquête qui n'avance pas. La mère à la personnalité complexe, Brenda, est tellement "ailleurs" enfermée par ses écouteurs dans sa cage de musique qu'elle ne livre les informations qu'au compte-goutte.
Au fil des pérégrinations de Council, Richard Price nous sert une galerie de personnages évocateurs, du jeune rebelle, au pasteur se prenant pour Martin Luther King, et ce groupe de femmes spécialisées dans la recherche d’enfants disparus, en passant par le père d'un garçon atteint du syndrome de la Tourette.
Le fossé entre les communautés blanches et noires, se creuse au fil des pages, nous forçant à voir d’un œil nouveau le titre du livre. Et l'on se rend compte que chacune des deux communautés vivait habituellement de son côté, évitant, par un accord tacite, de se mélanger. Se fréquentant volontiers, mais évitant de se mélanger. Les limites d'un communautarisme de ghetto.

Lorenzo leur avait vainement expliqué — pendant les arrêts au stand — qu'au dix-neuvième siècle cette partie de Dempsy était un bidonville avant la lettre, le seul endroit où les Blacks avaient le droit de vivre, et donc appelé Darktown. À ces mini-conférences de coin de rue, à ces sermons musclés de cage d'escalier, les jeunes opposaient généralement un haussement d'épaules et déclaraient : C'est vieux, tout ça. Maintenant, il est à nous, ce putain de quartier !

Le tout sous les yeux de la journaliste, Jesse, qui a connu pareil clivage lorsqu'elle était jeune et ses parents communistes. Cette journaliste, qui elle aussi est confrontée aux conséquences des dires de la presse. Une presse qui est toujours dans l’instant, mais qui ne répare jamais les vies qu’elle a si bien détruite.

Véritable étude sociologique, ce livre est servi par un rythme souvent lent, envoûtant, qui participe à l'ambiance oppressante et à une espèce de fatalité, mais qui risque de décourager les amateurs de thrillers.
Il m'a fait penser aux romans de Pelecanos et son Derek Strange, dont les similitudes avec le Council Lorenzo de Price sont indéniables, mais aussi à Hubert Selby Jr et son Le Démon, pour son rythme et son ambiance particulière.
Malgré le côté pavé du livre, Richard Price réussit à tenir la route sur la longueur. Bref, il ne faut surtout pas hésiter à entrer dans cette Ville Noire Ville Blanche.


Vous avez aimé...

Quelques pistes à explorer, ou pas...

La couleur du CrimeLes autres romans de Richard Price comme Clockers, Les Seigneurs ou Le Samaritain mais si vous avez aimé l'ambiance, allez donc fouiner aussi du côté de Pelecanos.

Le roman a fait l'objet d'une adaptation cinématographique en 2005, sous le titre La Couleur du Crime (Freedomland), signée Joe Roth, avec Samuel L. Jackson et Julianne Moore dans les rôles principaux.


Le début...

Les dix premières lignes...

Les frères Convoy, qui traînaient dans l'air étouffant du passage couvert du Bâtiment 1, furent probablement les premiers à la repérer, et la vue de cette silhouette spectrale les figea dans une posture de curiosité méfiante : Caprice, vautré dans un fauteuil rouillé, la tête émergeant d'un peignoir de coiffeur fait avec un vieux rideau de douche ; Eric, derrière lui, quatre doigts enfoncés jusqu'aux jointures dans un pot d'huile à nattes.
C'était une Blanche maigrelette, montant de la partie Hurley Street de la cité, la tête apparaissant la première, tel le mât d'un voilier doublant la courbure de la Terre, la femme révélant un peu plus d'elle-même à chacun de ses pas rapides et raides dans l'ovale d'asphalte fissuré constituant le centre de la cité Henry Armstrong (…)


La fin...

Quatrième de couverture...

Une jeune femme blanche, en état de choc, se réfugie aux urgences d’un hôpital. L’inspecteur qui l’interroge relève très vite dans son récit et son comportement des contradictions… Roman choc entre deux communautés — la noire et la blanche, dans une banlieue new-yorkaise —, ce livre n’est qu’en apparence un thriller et révèle une ampleur sociale et psychologique d’une intensité impressionnante.


L'auteur(e)...

Sa trombine... et sa bio en lien...

Richard Price










Edition(s)...

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Bibliographie non exhaustive... Seuls sont indiqués ici les ouvrages chroniqués sur le site.

Les Seigneurs