L'Ivresse des Dieux

Laurent Martin

Gallimard / Série Noire - Février 2003

Tags :  Roman noir Polar social Polar urbain Flic France Années 2000 Littéraire Moins de 250 pages

Edition originale

Un avis personnel...

Publié le : 26 décembre 2007

Recommandé L'Ivresse des Dieux, en guise de préambule, s'ouvre sur l'assassinat en direct d'une femme par un psychopathe dérangé qui, après s'être acharné sur sa victime puis ayant effacé toute trace de son "passage", bute lors de sa fuite nocturne sur un clochard endormi sur le trottoir trop sombre.
Vient alors Max, le héros — ou plus précisément, l'anti-héros — de cette tragédie urbaine. Max Ripolini, de la police municipale de Marne la Vallée, un peu trop porté sur la bouteille et qui vit en célibataire dans son grand appartement vide en compagnie de son chien depuis que sa femme l'a quitté, un soir de Beaujolais nouveau trop arrosé :

Pourtant, il y en avait de l'amour. Ils ont même envisagé d'avoir un enfant. Ça n'a pas pris. Finalement, ils se sont contentés du chien Médor.

Laurent Martin assure sa mise en place avec une redoutable efficacité. Un crime, un personnage, un environnement — en l'occurrence celui d'une lointaine banlieue parisienne où quelques architectes aiguillonnés par des penseurs d'antichambre politique auraient voulu voir naître la ville du XXIème siècle. On se laisse porter, adroitement guidé par une écriture extrêmement précise et puis d'un coup, on entre dans la tragédie, le couperet tombe : la victime n'est autre que l'ex-femme de Max…

D'abord on voit la mort, cette raclure du futur. Une sale histoire qui commence par la fin. Par le grand saut. Par le néant. Par le retour à la poussière.
Ensuite ce sera un homme. Un homme livré en aveugle à la vie qu'il s'est construite. Balayé, secoué, malmené, il résiste, mais tout est sans doute joué d'avance. Un homme qui croit que les dieux ont soif du sans des victimes.
Alors on comprendra le monde, le monde tel qu'il est. Remugle infernal. Amalgame confus, confit, de vies tristes et mesquines.

Tragédie. Le maître mot pour qualifier ce roman d'une noirceur profonde. Laurent Martin reprend pour sa construction l'architecture "historique" de cette forme de théâtre ancien qui permit à nombre d'auteurs — et des plus illustres — de décrire leur monde à travers cette trame prédéfinie.
Le polar, ou le roman noir, sont comme chacun sait l'art de mettre en scène la décrépitude de nos sociétés modernes et Laurent Martin, avec L'Ivresse des Dieux, en apporte l'éblouissante démonstration en les mariant à une des formes les plus classiques de la littérature.
Il réussit le tour de force, à travers une écriture ambitieuse et exigeante — belle aussi dans son ardeur, son engagement, sa sincérité — de nous donner un récit particulièrement rythmé tout en respectant scrupuleusement les impératifs de forme qu'il s'est fixés.
Avec le drame personnel de Max Ripolini, admirablement mis en scène quand il est atteint par la douleur de l'absence, par la rage au cœur au point qu'il brûle toute trace de souvenir afin de laisser place nette à l'ivresse de la vengeance et d'oublier sa propre culpabilité, avec ce drame donc, c'est aussi le fond du récit qui importe, celui qui dresse le portrait sans concession d'une décrépitude urbaine. Marne la Vallée : une ville sortie de nulle part, sinon de l'esprit de ses concepteurs, présentée lors de sa création comme le grand projet en matière d'urbanisme conquérant, une promesse d'avenir meilleur, et qui synthétise quelques années plus tard tous les ratages en la matière. La ville comme symbole du gâchis humain… De l'abandon…

L'Ivresse des Dieux est de ces bijoux qui se démarquent, qui laissent des traces, et Laurent Martin mérite incontestablement le Grand Prix de Littérature Policière qui lui fut décerné à sa sortie.
Ne boudez pas ce triste plaisir de la lucidité.


Vous avez aimé...

Quelques pistes à explorer, ou pas...

Laurent Martin est incontestablement un auteur exigeant, mais le résultat est à la hauteur. Vous pouvez retrouver Max Ripolini, qui apparaît régulièrement dans son œuvre, dans par exemple Le Cantique des Gisants, explorant à nouveau le contexte de Marne la Vallée, et tout aussi réussi.

Le début...

Les dix premières lignes...

Il se, d'un geste lent, relève. Le génitoire en débandade. Les mains tremblantes encore. Il contemple devant lui le corps sans vie. Comme une offense à ses yeux. Son souffle, celui d'un bœuf, commence à s'assagir. Il s'étonne. Ça va vite la mort. Comme une vois qui ordonne. Après on doute. On s'interroge. On déchante. La vie est une maladie honteuse. On l'attrape au hasard. Avec n'importe qui. On reste à ses côtés. On la transmet. On la soumet. Et un jour on en meurt. C'est ça ! Le vie, on en meurt. Il le jure. Ils peuvent tous en crever de la vie. Lui, c'est différent. Il n'en est pas malade. Il le sait bien (…)


La fin...

Quatrième de couverture...

« Je me souviens vaguement de quelques cauchemars pleins de carnavals tristes et de chagrins radieux. Je m'éveille enfin à l'existence. Je suis fatigué, fiévreux. Un bruit sonne. Ma tête résonne. Je reconnais mon salon. J'ai dormi vautré sur le canapé. Je reconnais les trois bouteilles vides de vieux malt, l'album de photo, les paquets de lettres, qui jonchent le sol. Il y a comme une odeur. Le chien Médor s'est laissé aller à ses fonctions primaires. Il a pissé, chié, devant la porte. Il a agressé violemment la poubelle pour tenter de se nourrir. Moi aussi, je me suis laissé aller. Les toilettes, le lavabo sont arrosés de vomissures séchées. Tout l'appartement pue, et moi plus encore. Je mets un disque. Schubert, Franz. La Jeune Fille et la Mort. C'est de circonstance. »


L'auteur(e)...

Sa trombine... et sa bio en lien...

Laurent Martin










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Du même auteur...

Bibliographie non exhaustive... Seuls sont indiqués ici les ouvrages chroniqués sur le site.

Cantique des Gisants