Gallimard / La Noire - Avril 2025
Tags : Roman noir Comédie Quidam Paris Années 2020 Littéraire Entre 250 et 400 pages
Publié le : 08 septembre 2025
Augustin Cami est un écrivain qui, après un premier roman ayant rencontré un certain succès, n’a plus rien publié. Cinq ans que ça dure. Pour autant, il est toujours invité régulièrement dans les émissions littéraires ou les talk-shows télévisuels dans lesquels il donne son avis sur l’actualité en tant que pseudo anar-écolo. C’est ce qu’on appelle un « bon client » qui a toujours une indignation sous le coude. Il est aussi très actif sur les réseaux sociaux, ce qui occupe une bonne partie de son temps, sous le regard amusé de sa fille Camille, treize ans, dont il assure la garde alternée depuis qu’il a divorcé.
Deux rendez-vous le même jour viennent perturber son quotidien. Le premier avec un député socialiste qui lui propose d’entrer en politique comme suppléant et faire valoir du candidat « officiel ». Le second avec un commissaire qui lui apprend qu’un de ses followers sur les réseaux est passé à l’action en incendiant la porte de l’immeuble où habite un ministre et qu’il est lui-même soupçonné d’une forme de complicité.
Pour Augustin, qui refuse à la fois l’autorité et le pouvoir qui le dépriment, c’en est trop. Il se réfugie chez son pote d’enfance Greg qui a repris, du côté de Montrouge, le bar de ses parents qu’ils fréquentaient tous les deux alors. Une soirée dans ce qui est sans aucun doute l’ancêtre des réseaux sociaux, au milieu des piliers de bistrot, ça ressource…
Une bonne gueule de bois plus tard, Augustin décide de se retirer provisoirement des réseaux sociaux et c’est là, à sa grande surprise, que la machine s’emballe…
Sébastien Rutés nous propose un style très littéraire mais jamais empesé pour son roman et son personnage d’écrivain. Il a l’amour de la belle phrase, de la tournure, tel un artisan d’art qui peaufine son ouvrage. Il a aussi quelques vérités à asséner et une série de coups de griffes à donner en direction du monde de l’édition. Au fil des pages et malgré les « avertissements » de rigueur, on reconnaîtra quelques figures inspirantes comme Sylvain Tesson en écolo voyageur indigné, le bon client des plateaux, ou encore Nicolas Mathieu et sa présence compulsive sur les réseaux sociaux, voire un François Busnel égratigné en tant que présentateur un peu trop mielleux.
On n’est pas vraiment dans le règlement de compte, plutôt dans le portrait réaliste et vachard d’un petit milieu parisien qui offre l’occasion à l’auteur, après sa volée de bois vert, de prendre un peu de hauteur, délaissant la satire pour une réflexion plus profonde. Il sera question de rapport au pouvoir et de la volatilité des indignations sur les réseaux sociaux, une bonne cause étant toujours à l’affût pour remplacer la précédente, mêlée à la culture du buzz qui conditionne la visibilité supposée de ces prises de position perpétuellement renouvelées et qui finissent en galimatias indigeste.
Augustin tente de s’en échapper en retrouvant son troquet d’enfance, le bar du temps qui passe, où se rassemblent une galerie de personnages hétéroclites qui, chacun à leur manière, prônent une philosophie du « moins » plutôt réjouissante dans cette société moderne qui en veut toujours plus.
Dans la société de consommation, il en va des opinions comme des bananes : on les cueille encore vertes en espérant qu’elles mûrissent sur le cargo. Et à l’arrivée, elles sont pourries.
Mais il reste un rôle dont il ne peut s’échapper, celui de père. Il a élevé sa fille Camille, treize ans, en lui transmettant son propre refus du pouvoir, se transformant ainsi à ses yeux en une sorte d’idole. Reste que son comportement ressemble fort à une trahison de ses idéaux au regard de l’adolescente et que si Augustin paraît sincère dans ses convictions, il s’avère particulièrement brouillon dans leur application dès lors qu’il se confronte à la dure relativité de la nature humaine.
Le Syndrome du Cordonnier est un roman à l’humour agressif qui arrachera sans doute quelques sourires jaunes aux acteurs de l’édition en général mais qui parvient à s’élever au-dessus du microcosme pour interroger notre époque de « likes » et notre rapport au pouvoir.
Et toi, tu fais chier qui ? Personne. Au contraire, t’es très utile. Tu sais pourquoi tout le monde te cire les pompes ? Parce que t’es une pub grandeur nature pour cette société de merde. La preuve vivante que l’ascenseur social fonctionne. T’as gagné le droit d’être libre parce que tu fais gagner du fric à plein de gens, sur le dos de ceux qui sont restés en bas. T’es pas un homme, t’es une carotte ! La société t’autorise à jouer les individualistes, tu vois pas comme une contradiction ? Faut bien qu’elle offre à quelques-uns l’illusion d’être libres pour mieux faire bosser les autres. Tu te sentirais pas à l’étroit dans ta liberté, des fois ?
Quelques pistes à explorer, ou pas...
Je n’ai pas grand souvenir de polars mettant en scène le monde de l’édition, mais on pourra toujours se replonger avec délice dans La Fée Carabine de Daniel Pennac pour y retrouver le bouc émissaire idéal.
Les dix premières lignes...
Un jour, Augustin Cami réalisa qu’on n’est jamais tout à fait débarrassé du pouvoir tant qu’on n’a pas renoncé à l’exercer, et cette découverte tardive fut à l’origine de toutes ses mésaventures.
La veille, il avait participé à une émission de télévision. Bien qu’il n’eût rien publié depuis longtemps, on l’invitait toujours régulièrement sur les plateaux, aussi bien des émissions people auxquelles il apportait complaisamment une caution intellectuelle que des programmes dits culturels, comme ce jour-là. Il faisait figure, pour le petit écran, de bon client. L’enregistrement avait lieu en fin de matinée pour une diffusion en deuxième partie de soirée. Des murs verts pour les incrustations d’images, des flèches au sol pour s’assurer que l’invité ne dévie pas du droit chemin, deux fauteuils à boutons en imitation cuir, une table basse couverte de livres dont on lui avait demandé une liste à l’avance et un présentateur qui l’avait déjà invité trois fois. Réputé pour l’excellence de ses fiches qu’il ne lisait pas, Jacques Corsan-Barreau fondait sa crédibilité professionnelle sur une diction molletonnée d’académicien au pousse-café et toute une gamme de confortables costumes en tweed véritable qui endimanchaient son je-m’en-foutisme franchouillard de flegme anglo-saxon.
Quatrième de couverture...
Auteur d’un unique roman immédiatement devenu best-seller, Augustin Cami coche toutes les cases à la mode : écrivain voyageur, porte-parole des classes populaires, icône écolo. Cet anar de cœur trouve dans le succès la liberté qu’il a cherchée toute sa vie. Chouchou des médias, omniprésent sur les réseaux sociaux, il donne son avis sur tout, tout le temps. Lorsqu’il est convoqué au commissariat et se retrouve accusé, dans un contexte social tendu, d’inciter ses lecteurs à la rébellion, le romancier prend conscience de l’autorité morale qu’il exerce bien malgré lui et décide de se retirer de la vie publique. Mais renoncer au pouvoir peut s’avérer encore plus compliqué que d’y accéder. Et si, pour Augustin, les problèmes ne faisaient que commencer ?
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...