Editions de l'Olivier - Août 2021
Tags : Polar rural Psychologie Quidam Etats Unis Années 2020 Moins de 250 pages
Publié le : 02 septembre 2025
Je l'avais loupé lors de sa parution en 2021, mais après la lecture de son second roman, Les Âmes Féroces (2024), je m'étais promis de revenir sur les débuts de Marie Vingtras. C'est désormais chose faite.
Une minute, pas plus. C’est le temps qu’il a fallu à Bess pour lâcher la main de l’enfant et refaire son lacet. Lorsqu’elle a tendu le bras, l’enfant avait disparu. Tout le monde sait pourtant qu’on ne sort pas par temps de blizzard ; une évidence qu’il est dangereux d’ignorer.
On est au cœur de l’Alaska, au bout du bout du monde. Là vit une microcommunauté : Bénédict, le bon samaritain qui s’est occupé de l’enfant ; Bess et ses deux sous de jugeote, qu’il a recueillie ; Clifford et Cole, les vieux ivrognes ; Freeman, dont personne ne sait pourquoi un noir comme lui est venu se perdre dans ce trou.
Un huis clos à ciel ouvert où chacun cherche dans le brouillard. Et quand on cherche, on trouve… Les fantômes ressurgissent du fond des crânes. Ici, au bout du monde, au milieu d’une nature luxuriante et hostile, les gens se cachent, tentent de faire taire leurs souvenirs en s’oubliant dans la survie.
Marie Vingtras triture ses personnages l’un après l’autre, explore leurs traumatismes et allume une faible lueur au milieu du brouillard givrant et des vents glacés.
C’est un drame qui se joue, un drame construit autour de la solitude de chacun des intervenants, lourde à porter, contraignante, déterminante. Tous se débattent avec leurs souvenirs, leurs passés respectifs. La nature hostile les oblige à une solidarité de circonstance, mais la nature humaine reprend le dessus et laisse les gens écorchés, à vif.
Avec toute sa sensibilité, Marie Vingtras nous offre un court premier roman choral construit en chapitres très courts, ne révélant qu’au compte-gouttes les interactions entre les personnages tout en distillant de vrais moments de surprise habilement amenés.
On regrettera, peut-être, le happy end qui défie la logique du récit tout en lui apportant, il est vrai, un trait de douceur bienvenu.
Une bien belle quoique douloureuse première fois.
(…) Ici tout a un sens, parce que chaque geste vous coûte un effort et que Dame Nature, elle vous fait jamais de cadeaux. C’est ça le deal. Vous voulez vivre ici ? Profiter de l’air pur, du gibier, du poisson ? Être libre de vos actes, ne rendre de comptes à personne et peut-être ne croiser aucun être humain pendant des semaines ? Libre à vous. Mais le jour où vous vous retrouverez nez à nez avec un kodiak ou que votre motoneige ne voudra plus démarrer alors que vous êtes à des miles de votre piaule, il faudra accepter l’idée que personne vous viendra en aide, à part vous-même.
Quelques pistes à explorer, ou pas...
Marie Vingtras, dès son premier roman, montre une grande maîtrise du récit à plusieurs voix. Elle récidivera d’ailleurs dès son second opus, Les Âmes Féroces (2024), tout aussi réussi.
Les dix premières lignes...
Je l’ai perdu. J’ai lâché sa main pour refaire mes lacets et je l’ai perdu. Je sentais mon pied flotter dans ma chaussure, je n’allais pas tarder à déchausser et ce n’était pas le moment de tomber. Saleté de lacets. J’aurais pourtant juré que j’avais fait un double nœud avant de sortir. Si Benedict était là, il me dirait que je ne suis pas suffisamment attentive, il me signifierait encore que je ne fais pas les choses comme il faut, à sa manière. Il n’y a qu’une seule manière de faire, à l’entendre. C’est drôle. Des manières de faire, il y en a autant que d’individus sur terre, mais ça doit le rassurer de penser qu’il sait. Peu importe, j’ai lâché sa main combien de temps ? Une minute ? Peut-être deux ? Quand je me suis relevée, il n’était plus là. J’ai tendu les bras autour de moi pour essayer de le toucher, je l’ai appelé, j’ai crié autant que j’ai pu, mais seul le souffle du vent m’a répondu. J’avais déjà de la neige plein la bouche et la tête qui tournait. Je l’ai perdu et je ne pourrai jamais rentrer. Il ne comprendrait pas, il n’a pas toutes les cartes en main pour savoir ce qui se joue. S’il avait posé les bonnes questions, si j’avais donné les vraies réponses, jamais il ne me l’aurait confié.
Quatrième de couverture...
Le blizzard fait rage en Alaska.
Au cœur de la tempête, un jeune garçon disparaît. Il n’aura fallu que quelques secondes, le temps de refaire ses lacets, pour que Bess lâche la main de l’enfant et le perde de vue. Elle se lance à sa recherche, suivie de près par les rares habitants de ce bout du monde. Une course effrénée contre la mort s’engage alors, où la destinée de chacun, face aux éléments, se dévoile.
Avec ce huis clos en pleine nature, Marie Vingtras, d’une écriture incisive, s’attache à l’intimité de ses personnages et, tout en finesse, révèle les tourments de leur âme.
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...