Sonatine - Août 2024 - Traduction (anglais) : Jean-Yves Cotté
Tags : Polar social Polar rural Discrimination Quidam Etats Unis Années 2020 Plus de 400 pages
Publié le : 11 octobre 2024
Toya Gardner, jeune artiste noire, est en plein happening. Accompagnée de quelques amis, tous blancs, elle a creusé de nuit quelques tombes à l’emplacement d’un ancien cimetière déplacé pour la construction d’un immeuble sur le campus du comté de Jackson, en Caroline du Nord.
Bientôt, la police interpelle Toya chez sa grand-mère. Le shérif Coggins, en place depuis des lustres, interroge l’étudiante. Il l’a connue plus jeune, avant que sa mère ne quitte la région pour la grande ville, Atlanta. Il a par ailleurs côtoyé et chassé avec son grand-père.
Toya, jeune artiste, est attachée à son histoire, celle de ses racines comme celle de sa terre natale. Elle est aussi au fait des méthodes à employer pour arriver à ses fins. Elle a prévenu la presse de son initiative et l’université ne tarde pas à retirer sa plainte.
Mais pour Toya, la mission qu’elle s’est elle-même fixée est tout autre : en finir avec le souvenir glorifié des confédérés…
Au même moment, Tim et Ernie, deux policiers de services différents, appréhendent un soir sur un parking Willie Dean Cawthorn, un homme éméché en provenance du Mississippi. La fouille de son véhicule, en dehors du bordel de détritus, révèle la présence d’une arme, enfermée à clef dans la boîte à gants, d’une longue chasuble blanche associée à une capuche conique et d’un carnet d’adresses où figurent les noms de quelques sommités locales, comme le chef de la police de la route, patron de Tim. Rien de répréhensible en soi.
Ils embarquent néanmoins le type en cellule de dégrisement et Ernie, qui lui fait partie des services du shérif, décide à la fin de son service de retourner consulter le fameux carnet qu’il trouve intrigant. Sauf que le carnet a disparu…
De son côté, Cawthorn n’est pas resté bien longtemps en cellule. À peine libéré, il prend contact avec un des pontes locaux qui l’ont sollicité. Bourgeois, racistes, voire suprémacistes, ceux-là ont une mission pour lui.
David Joy choisit une mise en place en « douceur » avant de faire monter la pression. Il prend son temps, alternant les narrateurs, passant de la jeune Toya — artiste noire en lutte contre le racisme latent de la société américaine — à Ernie l’adjoint du shérif local — représentant la partie congrue et intègre des forces de police — pour finir par Cawthorn, le suprémaciste au service des élites politiques locales.
On sait bien que ceux-là vont se croiser, le territoire qu’ils arpentent (les Appalaches) les ramènera inexorablement dans la même vallée et que rien ne pourra réconcilier l’intransigeance de la militante avec l’extrémisme de ses ennemis. Le drame couve… Il lui faudra un peu de temps pour éclore.
David Joy décortique le racisme endémique dans les états du sud des États-Unis, comment il s’inscrit insidieusement dans les esprits, dans la culture. Même le plus « ouvert » des shérifs, lorsqu’on lui ouvre les yeux et qu’il se retrouve confronté à la réalité de la construction d’une société sur l’esclavage, se doit de s’interroger sur ses propres actes et ses croyances.
Aussi lorsqu’une jeune artiste noire, à la recherche de ses racines, remet en lumière cet état de fait, la communauté à la mémoire si sélective se déchire. Et si les suprémacistes les plus voyants — ceux arborant le drapeau confédéré ou les membres du Klan — se font entendre, ce sont les plus discrets qui sont vraiment dangereux. Ceux-là instrumentalisent les dissensions, dressent les uns contre les autres, attisent les haines — suivez mon regard — et « travaillent » le plus souvent en secret, à l’abri des lois.
L’arbre qui possède les racines les plus profondes dans ce pays est l’arbre du suprémacisme blanc. Et le fait est qu’il n’est pas nécessaire d’être celui qui a planté cet arbre ou qui a veillé à l’arroser ou qui en a taillé les branches pour être celui qui bénéficie personnellement de l’ombre qu’il fournit. Il y a tout un tas de gens qui sont assis confortablement sous cet arbre, et certains d’entre eux savent fort bien où ils sont assis et restent tout simplement là à ne rien faire car ils aiment cet endroit où ils sont assis, et puis il y en a d’autres qui n’admettent même pas l’existence de cet arbre. Peut-être qu’ils ne l’admettent pas parce qu’ils ne le voient pas, ou peut-être qu’ils ne veulent pas le voir mais, en fin de compte, rien de tout ça n’a d’importance, parce qu’ils profitent tous de la même chose.
Depuis que le mouvement Black Lives Matter a vu le jour en 2013, ils sont quelques-uns parmi les auteurs américains à s’être emparés du sujet. Le racisme n’est cependant pas une affaire nouvelle aux États-Unis et c’est bien ce que l’auteur tend à démontrer ici.
L’intention est louable, mais ce qu’on peut néanmoins reprocher à David Joy, c’est le rythme qu’il donne à son récit, ou plutôt l’absence de rythme. En multipliant les points de vue et les personnages, certes sur un sujet complexe, la lecture perd en vivacité, l’auteur préférant relayer à l’infini son discours plutôt que soigner son intrigue. On se retrouve donc avec cet éternel « ventre mou » et les quelques longueurs qui vont avec.
Un peu plus de « nervosité » n’aurait pas desservi ce roman, lui apportant un supplément de puissance qui, à mon goût, lui fait défaut.
Quelques pistes à explorer, ou pas...
David Joy se plaît aussi dans son roman à décrire la vie ordinaire dans les Appalaches, mais il n’atteint pas le lyrisme et la simplicité de Chris Offutt.
De même, le personnage de la grand-mère de Dona n’est pas sans rappeler celui de Mary Pat crée par Dennis Lehane pour Le Silence. Avec un petit quelque chose en plus…
Les dix premières lignes...
Les tombes leur prirent toute la nuit. Il y en avait sept en tout, chacune d’un mètre cinquante à un mètre quatre-vingts de profondeur, creusées par une dizaine de paires de mains. Certains des fossoyeurs apportèrent des gants, et les prêtèrent à tour de rôle à ceux qui n’en avaient pas pour éviter qu’ils ne s’esquintent la peau. À la fin, toutes les mains étaient pareillement brûlantes et couvertes d’ampoules. Leurs doigts peinaient à se délier. Leurs dos ployaient telles des feuilles de laurier.
C’était le milieu de l’été, mais sur la montagne l’air était frais. Chaque fois qu’ils s’extirpaient des tombes pour se reposer, la sueur glaçait leurs corps, et ils goûtaient cette sensation car le labeur les avait comme embrasés. Les sauterelles s’égosillaient dans les arbres et c’était ce bruit qui étouffait la morsure et le cliquetis des lames creusant la terre, la respiration laborieuse de ceux qui enfonçaient leurs pelles toujours plus profondément.
Quatrième de couverture...
Après quelques années passées à Atlanta, Toya Gardner, une jeune artiste afro-américaine, revient dans la petite ville des montagnes de Caroline du Nord d’où sa famille est originaire. Déterminée à dénoncer l’histoire esclavagiste de la région, elle ne tarde pas à s’y livrer à quelques actions d’éclat, provoquant de violentes tensions dans la communauté.
Au même moment, Ernie, un policier du comté, arrête un mystérieux voyageur qui se révèle être un suprémaciste blanc. Celui-ci a en sa possession un carnet dans lequel figurent les noms de notables de la région. Bien décidé à creuser l’affaire, Ernie se heurte à sa hiérarchie.
Quelques semaines plus tard, deux crimes viennent endeuiller la région. Chacun va alors devoir faire face à des secrets enfouis depuis trop longtemps, à des mensonges entretenus parfois depuis plusieurs générations.
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...