Fayard - Septembre 2011
Tags : Roman d'enquête Polar social Psychologie Flic France Années 2010 Entre 250 et 400 pages
Publié le : 21 septembre 2024
La lecture débute par une scène d’ouverture à l’ambiance insoutenable, façon thriller à l’américaine, dans laquelle une femme est prisonnière d’un détraqué, torturée dans une piscine désaffectée avant qu’une détonation ne vienne interrompre le récit.
Sans transition, on bascule ensuite du côté de Nogent-les-Chartreux, ville fictive d’une grande banlieue bien réelle, éloignée des centres urbains, entre petits commerçants et grandes enseignes, entre maisons bourgeoises et barres HLM. Vingt mille âmes bien tranquilles.
Là, Paul Garand, commandant de la gendarmerie locale, à la tête d’une brigade de cinquante képis, célibataire endurci depuis son divorce dix ans plus tôt, est au bout du rouleau. Il attend la retraite en s’empiffrant.
Dans une cabane isolée, le long d’un canal désaffecté, on découvre bientôt le cadavre d’un homme, étranglé au fil de pêche « en haut », à moitié brûlé « en bas ». Une vraie boucherie. Et de quoi emmerder Garand, pila avant le petit-déj’.
Pour sa première incursion dans le monde du polar, Olivier Bordaçarre nous propose d’entrée ce qui pourrait ressembler à un thriller, habité par un tueur en série sadique et bien déjanté. Ce n’est qu’une façade, un emballage clinquant qui ne tient que quelques pages puisque ce qui l’intéresse est ailleurs, au fond de la Beauce, cette terre plate où il ne se passe pas grand-chose : La France Tranquille.
C’est pourtant là qu’a lieu un crime effrayant, réveillant les peurs, attisant les méfiances.
Paru en 2011, le roman se situe dans le contexte qui précède l’élection présidentielle française, sans pour autant qu’il y soit fait directement allusion. Pour autant, il y est question d’insécurité, ou du sentiment d’insécurité.
Dans le roman, les victimes sont des sans-abri, des handicapés, des chômeurs, autant dire des assistés, des fainéants, des parasites. Il n’en faut pas plus pour attiser chez les « bons » bourgeois le réflexe de repli sur soi.
Sous la dent de la méfiance, il y a toujours une place pour l’étranger.
Vous sentez le parallèle ?
Et plus les morts s’accumulent, moins le commissaire Garand avance dans son enquête, plus il grossit, et plus Nogent a peur. On réclame de la vidéosurveillance, on s’organise en milice.
Quelque chose s’était déglingué. Les habitants ne riaient plus. Ça gueulait partout et pour tout, dans les magasins, les rues, les écoles. Ça sentait la crasse et la haine prête à jaillir. Malgré son aspect bon enfant, Nogent avait un flingue sous la caisse.
La France Tranquille s’inscrit dans la liste de ces romans qui montrent l’état de la société française, de cette France qu’on qualifie aujourd’hui de périphérique et qu’on appelait encore, il n’y a pas si longtemps, la province. Si la fracture s’est aujourd’hui aggravée, elle est déjà naissante à l’époque du roman, constituant le terreau oublié par les « élites » parisiennes et travaillé d’arrache-pied par l’extrême droite.
Au milieu de tout ça, reste le personnage de Garand, qui résiste :
— Y a pas de mais, y en a jamais eu et y en aura jamais ! C’est pas parce que t’es nouveau au labo que tu vas nous faire chier avec ta science et tout le barnum de tes diplômes ! Non, mais tu te crois où ! Tes analyses socio-machin, tes conseils et j’sais pas quoi, tes p’tits regards en coin de constipé scolaire, tout ça, tu peux t’le rouler très serré et t’l’enfoncer ! Pigé ? C’est pas la grande ville, ici ! C’est nulle part ! Colle-toi bien ça dans ton crâne polytechnique. Il s’passe rien ici, ou pas grand-chose, et on n’a pas besoin d’un prof pour nous dire comment c’est qu’faut vivre ! Alors si tu faisais tes photos aussi vite que j’t’emmerde, tu serais déjà à ton labo sur ton ordino ! Par conséquent, tu magnes ton cul et tu libères la place !
Quelques pistes à explorer, ou pas...
Parmi les auteurs qui font de la « France tranquille » un sujet de prédilection, il en est un qui choisit régulièrement de la secouer méchamment : Sébastien Gendron. Et si vous voulez des preuves, vous n’avez qu’à lire son dernier opus, Chevreuil.
Les dix premières lignes...
Par la fêlure d’une canalisation ruinée suintait une bouillasse de rouille froide qui lui dégoulinait sur la nuque. Son crâne pendait mollement, menton rentré. Sa frange en bataille, un rideau délavé. Des larmes de sang se détachaient de l’extrémité de son nez fracassé, une rouge pour deux croches imbibant en rythme le coton de sa marinière jaune, élargissant à l’impact l’auréole luisante qui lui poissait le ventre. Un épais bâillon de scotch d’emballage lui soustrayait un tiers du visage. Bras relevés en croix, poignets strictement ligotés au tuyau, jambes écartées et pieds en dedans, son corps inanimé dessinait dans la pénombre des vestiaires la silhouette christique d’une jeune femme amochée.
La main gauche plaquée sur le mur décrépi, l’homme tentait de contenir une mixture envahissante de panique et de vertiges, et lardait de coups de pied nerveux une des cuisses de sa proie inerte. Mâchoires serrées, il répétait comme pour lui-même, d’une voix maquillée de sang-froid :
— Tu vas te réveiller, espèce de pute bronzée !
Quatrième de couverture...
Nogent-les-Chartreux, c’est la France d’aujourd’hui.
Clocher sur fond de plaine, centre-ville soigné et périphérie discount, jeunesse désabusée, chômeurs exsangues et minorités trop visibles… Une France morose, minée par la crise et les JT du soir.
La folie d’un tueur met le feu aux poudres. En campagne électorale, les autorités sortent l’artillerie lourde : contrôles incessants, couvre-feu, patrouilles en treillis. Une politique sécuritaire souffle la peur sur les esprits.
Nogent désormais vit la main sur le fusil.
Boulimique et stressé, le commandant de gendarmerie Paul Garand assiste, impuissant, au triomphe de la haine ordinaire. Jusqu’à ce que son fils de vingt-cinq ans soit à son tour menacé…
Sa trombine... et sa bio en lien...
Informations au survol de l'image...