Denoël - Janvier 2024
Tags : Roman noir Polar social Psychologie Quidam France Années 2020 Entre 250 et 400 pages
Publié le : 28 janvier 2024
2004, chez les Raybert, on a le sens de l’hospitalité. Les parents en premier lieu, Nadine et Alain, qui se sont constitués famille d’accueil pour les enfants en difficulté. Leur fils Gabin ensuite, qui fidèle à l’engagement de ses parents, se démène pour apporter un peu de chaleur aux vies cabossées des ados qui leur sont confiés, comme Gustave, traumatisé par ses mère et grand-mère qui l’ont séquestré et torturé toute son enfance. À force de patience, une amitié indéfectible naît entre les deux garçons…
2024, la famille Stout s’apprête à fêter les quarante-cinq ans de monsieur. Odile a préparé un bourguignon, les jumeaux de quatorze ans, Eddy et Tara, ont faim, mais Hervé est en retard. Une heure déjà qu’il aurait dû être rentré. Pourtant, normalement, on n’oublie pas son propre anniversaire…
Un homme a disparu. Le temps s’est figé, chacun est dans l’attente, sa famille, ses employés, et c’est une diapositive qui apparaît, version haute définition. Olivier Bordaçarre explore, scrute le moindre détail, le met en lumière puis modifie l’éclairage afin que toutes les aspérités soient visibles au grand jour.
Les Snout sont une famille ordinaire, plutôt aisée. Les parents forment un couple vieillissant de quinze ans d’âge, ce qui n’a pas forcément bonifié leur relation. Leur fille, discrète, rêve d’émancipation tandis que son frère, futur winner auto proclamé en phase d’apprentissage de son rôle de futur mâle alpha, commence à penser aux filles comme à des proies. Une famille ordinaire… Dont le père n’a plus donné signe de vie, ce qui a tout déréglé.
Cette mystérieuse disparition confronte ceux qui y sont soumis à leurs propres failles. C’est un phénomène de résonnance qui se met en place et les échos sont nombreux.
Le temps passe sur les couples et les use plus rapidement qu’un galet de granit. Le galet, lui, s’érode, s’arrondit, se polit, embellit, tandis que le couple se creuse, perd ses rondeurs au profit d’angles et d’arêtes tranchantes, gagne en rugosité, se ride, vieillit (…)
Elle forme avec Hervé un couple sans histoires (inutile d’être fin psychologue pour déceler, dans cette expression tant maladroite que malheureuse, le terrible poids de l’ennui. Qu’est-on sans histoires ? Un vide ? Un trou de mémoire ? Une absence ?).
Si la première partie du récit consiste en l’autopsie fouillée d’une famille morte, la seconde se présente comme un léger flash black à travers lequel on découvre mieux la personnalité d’Hervé Snout. Il dirige un abattoir d’une main de fer et, parmi ses employés, on retrouve nos deux adolescents du début, assignés au poste de tueur. Vingt ans ont passé, ils ont bien grandi, mais rien ne les a séparés. Gabin veille toujours sur Gustave, chétif, fragile et inadapté compte tenu de son passé douloureux. Dans sa nouvelle famille, lui a appris à se reconstruire, tant bien que mal, avec les morceaux qui lui restaient et sous la bienveillance de ses parents adoptifs. Une famille aimante pour réparer les dégâts d’une autre, destructrice.
Ce retour en arrière, ces multiples déplacements dans le temps devrait-on préciser, vont éclairer les circonstances de la disparition d’Hervé Snout et ce sera un voyage glaçant au pays de l’horreur ordinaire. Avec une froideur clinique, sans un sourire, Olivier Bordaçarre va nous confronter au quotidien de ses personnages. Ce sera notamment l’occasion de découvrir un monde caché que personne ne désire voir en face : celui de l’abattoir et du sort réservé tant aux animaux qui y finissent qu’aux hommes et femmes qui y travaillent. Qu’on le veuille ou non, c’est tout un univers qui existe, pas forcément reluisant, derrière le film d’une barquette.
Dans ce récit aussi poignant qu’horrible, peu de lumière à l’horizon. Les relations humaines y sont tordues, hypocrites, contraintes. Que ce soit au sein du cercle familial ou au cœur du monde du travail, ce ne sont que noirceur et violence, luttes de pouvoir, qui ont pourtant, et paradoxalement, le parfum de la « normalité ».
Et c’est bien ce qui rend cette lecture addictive. Chacun se reconnaîtra dans l’un ou l’autre des personnages, dans l’une de leurs maladives facettes, et l’on enchaînera, dévorera même, les chapitres, jusqu’à l’écœurement final.
Olivier Bordaçarre est un observateur attentif. Sans jamais forcer le trait, il dresse un portrait marmoréen de la misère ordinaire, celle qui guette, tapie dans l’ombre, et qu’on côtoie au jour le jour en détournant le regard. Sombre jusqu’aux extrêmes, La Disparition d’Hervé Snout est un drame savamment construit, déroutant, dérangeant, qui appuie là où ça fait mal. Le genre de littérature dont on peut se payer une tranche. De temps en temps…
La Disparition d'Hervé Snout a été couronné du Grand Prix de Littérature Policière 2024 dans la catégorie roman francophone.
Quelques pistes à explorer, ou pas...
Le précédent roman d’Olivier Bordaçarre, paru en 2021 dans la collection Fusion des éditions de l’Atalante sous le titre Appartement 816 est du même acabit et de la même qualité. Pas sûr, cependant, qu’il soit judicieux de les enchaîner ; une petite « respiration », légère, peut s’avérer nécessaire entre deux plongées en eaux troubles…
Les dix premières lignes...
De Gabin, dont on venait de fêter le quatorzième anniversaire, Nadine, sa mère, disait qu’il était un beau-jeune-homme-maintenant, et elle lui resservait une part de pâté à la viande avec des patates rissolées comme il les aimait, et elle lui arrangeait son lit chaque matin après avoir ouvert la fenêtre pour aérer un peu, et elle venait déposer un baiser sur ses cheveux blonds quand il était enfoui dans le gros fauteuil de fourrure synthétique devant un épisode de Plus Belle la Vie, tandis qu’Alain, son père, moins démonstratif, prouvait son amour à son fils en dirigeant des stages réparation de scooter des dimanches entiers ou en lui offrant une vraie canne à pêche professionnelle.
Nadine et Alain Raybert étaient de ces êtres qui ne comptaient rien. Ni l’argent, ni le temps, ni la peine, et encore moins l’affection, dont ils distribuaient les bienfaits sans distinction de sang aux enfants du nid, un fils unique et des gosses placés par l’aide sociale qui se succédaient sous leur toit pour des périodes plus ou moins longues, quelques mois, quelques années (…)
Quatrième de couverture...
Odile Snout s’affaire dans la cuisine de son pavillon cossu. Le bœuf bourguignon qui a mijoté toute la journée est prêt. Avec ses deux adolescents, elle attend son époux, dont on fête ce soir-là l’anniversaire. Les heures passent et Hervé ne se montre pas. Quelque chose ne tourne pas rond chez les Snout et l’angoisse commence à monter. Le lendemain matin, à la gendarmerie, le lieutenant ne semble pas inquiet. Hervé finira par rentrer chez lui, et reprendre son travail. On a bien le droit de disparaître.
Dans sa langue incisive d’où émerge une poésie du quotidien, Olivier Bordaçarre brosse une analyse glaçante du monde du travail, du couple et de la vie de de la famille.
Sa trombine... et sa bio en lien...
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